-Dis maman, ils seraient pas plus heureux dehors les animaux?
-Si, certainement, mais certains sont nés ici dans le zoo, si on les remettait dehors maintenant, ils ne sauraient pas se débrouiller tous seuls dans la nature?
-Pourquoi maman?
-Tu sais faire à manger tout seul toi?

Le petit semble réfléchir un petit moment:

-Non..., il secoue la tête brièvement. Si, je sais faire des cookies maintenant et j'allume le four tout seul.
-Oui, mais comment tu as su le faire?
-Tu m'as appris maman, et mamy Chelsea aussi.
-Et les animaux qu'on mettrait dehors, pourquoi ils ne pourraient pas se débrouiller seuls?
-Parce que leur maman ne leur a pas appris...

Soudain, le regard de Théo se fait moins triste. Moi non plus, je n'aime pas voir les bêtes en cage, mais parfois c'est le seul moyen d'enrayer l'extinction d'une espèce:

-Mais, maman? Le maître a dit que parfois ils retournaient dans la nature quand même plus tard.

Je passe une main dans les cheveux de mon bonhomme qui grandit trop vite à mes yeux. Il n'aime pas ça et me le fait vite comprendre en repoussant vite fait bien fait ma main. Il sera malgré tout toujours mon bébé:

-Et bien, cela arrive, mais ils ne sont pas relâchés comme ça, ils sont surveillés et ça se fait progressivement jusqu'à ce qu'on juge qu'ils peuvent se débrouiller seuls.

Nous reprenons notre marche et nous observons quelques secondes les lions dans leur espace ouverts et les observons à travers la vitre. Une maman relèche son petit pour lui faire sa toilette:

-Maman, j'ai faim...  
-On vient de déjeuner...
-Oui mais j'ai encore faim...
-Tu as vu le stand de glace, c'est ça?

Il se retourne et rigole comme pour me confirmer:

-Bon, une glace mais c'est tout, d'accord?

Il se retient de justesse de faire un salut de la main à la mode militaire, puis prends son argent de poche que je lui tends. J'aurais dû ne rien dire, pour qu'il apprenne à le gérer. Je lui donne un peu plus, sans lui dire, pour voir comment il allait se débrouiller. Je l'accompagne et ne dis rien, le laissant faire. Quand on se retourne, Théo sa commande en main, une petite fille venait juste de faire tomber la sienne, et se met à pleurer. Théo sort un mouchoir et parle doucement à la petite:

-Tiens, prends la mienne...

La petite lui dit merci et retrouve le sourire, puis Théo nettoie ses larmes. Les parents nous remercient et mon fils leur dit qu'il n'y avait pas de quoi. Je le vois tout content, aller s'asseoir sur un banc, à côté d'une autre personne déjà installée non loin de là:

-C'est gentil ce que tu as fait là...
-Oh, c'est rien..., la même réponse qu'il a donné aux parents de la petite fille, en rougissant, pareil.
- Je suis quand même très fière de toi. Il te reste un peu de sous?
-Oui, mais c'est pas grave, je n'ai plus faim de toute façon...

Si je lui avais demandé s’il avait encore un peu d’argent, c’était pour voir ce qu’il pourrait se racheter quelque chose et j’avoue que je suis fière de lui que j’étais prête à lui offrir moi-même une autre douceur mais je suis prise de court par le geste du monsieur qui était assis sur le banc où nous nous étions installés, un enfant dans les bras.

Théo me regarde puis regarde le monsieur, hésitant à prendre le paquet de gâteau car je lui ai toujours dit de ne rien accepter d’un inconnu. Qu’il ait assez de discernement pour se dire qu’il fallait se fier même d’un homme avec un enfant dans les bras me soulagea grandement. J’avais aux informations que certains ravisseurs d’enfants agissaient en attirant les enfants avec des petits chiots. Comment résister dans ces cas là, car l’animal fait établir directement le contact. C’était pareil en présence d’autres enfants. Ceci dit, en jetant un coup d’œil au paquet, je remarque qu’il est encore intacte et que le sachet est suffisamment hermétique pour que ça soit autre chose que ce que c’est ou un leurre. Je fais un petit sourire à mon fils pour lui faire comprendre que c’est bon et il sourit à son tour en prenant le paquet pour l’ouvrir tout en observant le poupon avec curiosité :

-Merci monsieur. J’ai juste imaginé ce que maman aurait fait. Il a quel âge votre bébé ?

Je suis un peu gênée à mon tour cette fois-ci :

-Merci pour les biscuits, c’est gentil de votre part…

Là encore, en temps normal je n’aimais pas que Théo mange des produits industriels mais j’étais prête à lui laisser ingurgiter une glace, alors autant être cohérente et le laisser profiter. Surtout que ça fait plaisir qu'un acte de générosité en ait inspiré un autre. Mon petit garçon prend rien qu’un gâteau et retends le paquet au monsieur :

-Il est beau… J’aimerais bien qu’on en ait un comme ça à la maison…

Je lâche un petit rire sans pour ajouter de commentaire pour autant à ce propos, tandis que le petit brun aux cheveux bouclés fixe longuement le petit bout de chou comme hypnotisé :

-C’est vrai que votre bébé est beau. C’est une petite fille, on dirait, non ?

Je regarde la petite bouille et moi non plus je ne peux pas résister à me laisser attendrir par ce petit ange endormi.

Théo croque dans son gâteau en assimilant les informations données par le monsieur. Le connaissant, c’est déjà en train de tourner à plein régime dans sa petite tête, comme quoi la petite a l’air toute neuve, mais aussi toute fragile, se demandant aussi pourquoi son père ne lui donnait pas de gâteaux à-elle, pourquoi elle dormait alors qu’elle était au zoo, s’il pouvait la prendre dans ses bras ou lui faire un bisous, jouer avec elle… Son agitation intérieure se traduisait aussi par sa façon de balancer ses jambes d’avant en arrière, en plus de sa bougeotte naturelle, alors qu’il était pourtant très attentif aux paroles du monsieur et les yeux toujours rivés sur la bouille de la princesse endormie.

Il se tourne seulement vers moi pour me poser la fameuse question fatidique mais se contente de me regarder dans les yeux sans oser demander réellement, puis de faire un aller retour du visage vers le monsieur en continuant de déguster les succulents biscuits. S’ils lui plaisent tant que ça, je pense que je demanderais au monsieur où sa femme travaille pour me fournir de temps en temps afin de faire plaisir à Théo, si c’est dans mes moyens.

Théo et moi sommes aussi surpris l’un que l’autre et on doit offrir la même bouille étonnée quand l’homme fait mention des forces de l’ordre. Ceci dit, les réactions suivantes diffèrent largement. Si la question bébé m’avait un peu titillée, la proposition concernant la police m’agaça prodigieusement. Mon visage se ferme automatiquement. Théo, lui, s’excite en expliquant avec un grand enthousiasme qui n’a rien de démesuré :

- Une fois  on a rencontré un policier qui travaille là-bas avec maman, mais un vrai de vrai hein,  au commissariat, tu sais ?!

Si excité qu’il est d’ailleurs, il agite ses bras en se levant automatiquement et en oublie le vouvoiement lorsqu'il s’adresse au monsieur et hausse la ton. De mon côté je suis étonnée qu’il ait retenu l’abréviation. Quoique quand ça l’intéresse, il retient tout. J’avoue qu’il est aussi très bon observateur et qu’il devait l’avoir lu car je ne lui avais jamais apprise :

-Théo, tu vas  finir par réveiller la petite. Fais-attention s'il te plaît.

Je le dis sans crier mais avec une certaine fermeté, assez pour qu’il se contrôle un minimum :

-Et je sais déjà que je veux être policier plus tard pour aider les gens. Mais maman, elle n’aime pas ça, parce qu’elle a peur qu’on me fasse du mal…

Je détourne le regard. Loin de moi l’idée de mettre des bâtons dans les roues de mon fils car je veux avant tout qu’il soit heureux, mais je ne peux pas encore me faire à cette idée qu’il intègre la police quand il sera grand et qu'il se retrouve dans des situations dangereuses. Il a encore quelques étapes à franchir jusque là, tout de même :

-On pourra y aller maman ?
-On verra…
-Tu dois en discuter avec Neil d'abord?
-Oui…

Et comme si de rien était, car mon fils me connait assez bien pour comprendre que je ne suis plus très à l’aise, il reporte la discussion sur l’enfant :

-Et elle s’appelle comment ? Elle ne mange pas ? On peut lui donner un gâteau, j’en ai encore un dans mon paquet.

Je suis bien rassurée quand le papa me dit que la petite n'a pas le soleil léger. Au moins, on ne troublerait pas son sommeil avec nos bavardages. A cet âge-là, dormir est important, c'est là où les substances chimiques qui contribuent à la croissance se développent. J'essaie, d'un sourire, de montrer au monsieur que je ne lui en veux pas. Il ne savait pas ce que ça provoquerait en lançant le sujet. Je sais qu'il ne m'a pas mis dans l'embarras volontairement.

Théo se tourne quelques secondes vers moi quand on lui apprend qu'à cet âge là on ne mange pas encore de gâteaux, cherchant à comprendre cette donnée. Même s'il se doute que c'est difficile sans avoir un minimum de dents, il ignore la suite. Et il est toujours soucieux de savoir ce qu'il ne comprend pas.

-Ils ne peuvent pas manger des aliments avant un certain âge car leur estomac ne le supporterait pas car il n'est pas encore assez développé. Quand on sort du corps de notre maman, nous ne sommes pas entièrement « terminés », il faut qu'on se développe pour ça.
-Ah, c'est pour ça qu'on est petit et qu'après on grandit ?
-C'est à peu près ça aussi …

Je n'entre pas dans les détails sur les processus de vieillissement, et le papa enchaîne en expliquant les besoins des nourrissons. On apprend alors que la petite a noué une relation avec les chiennes de la famille. Je n'ai pas le temps de rebondir dessus que Théo et l'homme continue de discourir sur les enfants au point où j'aurais pu m'éclipser, qu'ils ne se seraient pas aperçus de mon absence tellement ils étaient absorbés dans leur discussion. Je suis contente qu'il puisse avoir un autre point de vue masculin sur la vie que celui de son père, même si je dois avouer qu'en apprenant sur le tas, Neil se débrouille très bien et que c'est un papa exemplaire que Théo a en amour, même si ce n'est pas les liens du sang qui les lient tous les deux.

Je ne sais pas si c'est cette constatation qui me conforte dans cette idée, ou le fait d'avoir fait la connaissance de cette mignonne petite fille, mais j'ai bel et bien envie de me replonger dans les couches et de redécouvrir les joies d'être maman, accompagnée par l'homme que j'aime, cette fois-ci. Cette envie se fait de plus en plus sentir depuis que nous avons recommencé à nous fréquenter avec mon amour et j'avoue que je regrette ce  temps où mon fils n'arrivait à s'endormir que dans mes bras, après quelques minutes de berceuse.

C'est avec un sourire attendri que j'observe la princesse se réveiller :

-Bonjour Elanor . Je peux lui faire un bisous sur le front ?

Théo termine alors le paquet de gâteaux à une vitesse grand V et va jeter le papier à la poubelle en revenant en courant puis déclare à la petite :

-Moi aussi j'aime beaucoup les animaux, c'est pour ça que maman m'a emmené au zoo, pour me faire plaisir. Tu veux faire le tour du parc avec nous ?

Hors sujet:

On ne peut pas forcer le papa à accepter que Théo l'embrasse mais j'avoue que les arguments avancés me gênent un peu car en étant infirmière je pense qu'il y a deux écoles comme on dit. Ceci ne me regarde pas pourtant, donc je ne dis rien et n'en laisse rien paraître. Même si je sais que Théo est déçu, il n'insiste pas comme il pourrait le faire parfois quand un truc lui tient bien à cœur. Mais comme il a reçu une explication légitime à son refus, ça passe plus facilement chez lui.

Et puis c'est vite passé quand le père accepte de faire un tour avec nous, alors je n'allais pas retirer ce plaisir à mon enfant, surtout que cela ne me gênait pas et qu'on aurait dû recommencer la visite après notre petite pause.

-Je suis d'accord, fis-je en souriant à mon fils en lui caressant ses boucles brunes.

J'arque, ceci dit, un sourcil quand l'homme affirme que Théo s'y connaît en animaux, en me demandant comment il peut faire un tel constat sans le connaître mais déjà ce dernier brûle de dire tout ce qu'il sait. Je vois à son expression qu'il est prêt à exploser en explication fournies mais qu'il se contient un peu:

-Ouais, y'a des animaux, ils viennent pas d'ici tu sais mais d'Afrique ou d'Australie! On peut pas voir des ours polaire car ça ferait trop froid pour eux! Tu sais que certains animaux sont carnivores? ça veut dire qu'ils mangent que de la viande et... Ouais! Les reptiles c'est bien! J'adore les serpents!

Et il commence à s'emballer et à marcher un peu vite et je dois gentiment le rappeler à l'ordre:

-Reste près de nous, s'il te plaît! Déjà ça va trop vite pour Elanor, et puis je ne tiens pas à te perdre dans le parc, même s'il n'est pas immense non plus. On a le temps de visiter tranquillement.

Je suis peut-être trop protectrice mais j'aime autant pour sa propre sécurité. L'enfant revient sur ses pas en s'excusant auprès de la puce puis lui montre du doigts un alligator:

-Tu vas voir, ils ont une gueule énorme et des dents super pointues. Mais ne t'en fais pas, ils ne peuvent pas te faire de mal, ils sont dans un enclos exprès pour eux, qui ressemble à leur maison de leur pays...

Il penche un peu la tête sur le côté et la fixe pour être un peu à sa hauteur, avant de finalement se pousser pour qu'elle puisse voir:

-Tu vas voir, plus loin y'a des girafes, je l'ai vu sur le plan d'entrée. Et des éléphants d'Afrique! Ce que je préfère ce sont les lions et les loups.