Quand un coup de blues vous frappe, beaucoup de personnes trouvent refuge dans l'art. Certains écrivent leurs pensées les plus sombres, d'autres les dessinent. Je pourrais bien suivre ce chemin moi aussi mais je n'ai pas le coeur à m'enivrer de l'odeur de ces tubes de peinture. D'autres aussi, se dirigent vers des paysages qui leur coupent le souffle mais ça fait plus de quarante ans que je suis ici et j'ai l'impression d'avoir déjà tout vu et que cette ville ne regorge de plus aucun secret pour moi. Une recherche sur internet, regardant les choses à faire à Austin, je tombe nez à nez avec le Musée de la science et de la technologie. C'est vrai que je n'y ai pas vraiment mis les pieds depuis qu'il a été construit. Ca fait trois ans qu'il existe et je n'ai toujours pas trouvé le temps d'y aller. Il faut croire que je me suis trompé. J'ai encore bien à découvrir ici.

Et c'est d'un simple costard et de lunettes que je me rends à cet endroit, achetant mon billet comme un être humain normal. Je parcours les divers endroits, remarquant qu'une jeune demoiselle semble aussi s'intéresser à la chose. Nous faisons pratiquement le même chemin et je me sens seul depuis que Charlie n'est plus là. Peut-être que je pourrais rechercher une nouvelle compagnie mais je n'ai pas la force d'engager la conversation. Je préfère donc la suivre des yeux, lui adressant parfois quelques sourires pour qu'elle comprenne que j'aimerais venir à elle, au risque de me faire passer pour un pervers ou quelque chose du genre. Contemplant l'une des vitrines du musée, je me préoccupe plus de cette dernière qui est de l'autre côté, plus que de la chose encadrée. Je prends donc l'initiative de contourner l'oeuvre et de me pointer à ses côtés. "Bonjour. Vous... Vous aimeriez venir voir le planétarium avec moi?" lui demandais-je timidement. "Il parait qu'ils vont faire quelque chose de spectaculaire et je me disais qu'il serait regrettable de profiter de cette chose seul..."

Un soulagement s'empare de moi lorsqu'elle accepte mon invitation. Je lui souris avant que nous partions au planétarium. "Ah oui pardonnez moi mon impolitesse. Andria Giudicelli." lui répondis-je en la regardant. Je continue à marcher, faisant tomber ma tête en arrière pour observer les étoiles. "Vous êtes russe? Il y a beaucoup d'étudiants étrangers ici, ça fait plaisir." Je fais la conversation comme je peux. Quitte à passer deux heures ou une après-midi avec elle, autant m'y intéresser. Elle parviendra peut-être à me faire oublier cette Philippine qui me hante. "Pourquoi avoir choisi Austin? Il n'y a pas d'autres villes qui vous intéressaient plus?" lui demandais-je par curiosité. Je ne sais pas ce qui attire les gens ici mais ils viennent en masse et parfois décident de rester. Allez savoir. Ca me fait penser que je devrais peut-être sortir de mon confort et que je devrais aller voir le monde quelques temps. Charlie aura la paix comme ça, elle pourra respirer bien que je ne pense pas l'étouffer. Elle m'oubliera d'autant plus et j'essayerai d'en faire de même. Je pourrais faire semblant de m'intéresser à quelqu'un d'autre, l'épouser et revenir vers Charlie en lui disant que je me suis marié. Une scène digne de Jeux D'Enfants. "Ha je crois que ça commence." lui dis-je avant de voir que le ciel change de couleur et fait passer des étoiles filantes. "Faites un voeu." lui dis-je en rigolant avant d'en réaliser un dans ma tête: celui que notre histoire aboutisse à quelque chose de concret et non à des enfantillages. Oui Charlie, si tu m'entends, je t'assure que je t'aurais. Tu m'as pris dans tes filets, je ne risque plus de partir à présent.

Un silence reposant quant à la vue de ce spectacle qui s'offre à nous. J'écoute bien que captivé par l'espace ses petites explications et comprends mieux cette facilité qu'elle a à parler l'anglais. Après, en général, les russes sont plutôt doués pour les langues et j'aurais même pu me douter qu'elle venait de là-bas sans même qu'elle ne me dise son prénom; l'accent est souvent bien prononcé et elle ne fait pas partie des exceptions. Puis une proposition à la fin de show présenté. "Pourquoi ne m'amèneriez-vous pas dans votre café?" lui demandais-je. "Je n'en ai jamais entendu parler donc c'est qu'il doit être ouvert depuis peu." Un sourire amical. Je la suis à l'extérieur du musée et commence à prendre la direction de ma voiture. "Je vous y amène ou vous êtes venue aussi avec votre engin?" Je ne sais pas trop où me situer, valsant sur un pied en sa direction, l'autre vers ma DS, bougeant les mains dans ces mêmes sens pour lui faire comprendre que je suis légèrement perdu.

Je ne m'attendais pas à tant d'enthousiasme venant de sa part et cela me fait rire. Les choses prises en main, je me dirige vers ma Citroen DS bleu et la suis au doigt et à l'oeil, ne connaissant pas le chemin. Je me gare et descends, regardant la grande porte en face de moi. "Et bien, ça a l'air spacieux. Au moins il y a un avantage, c'est qu'il est simple à repérer en ville, pas trop loin des autres commodités. Je pense que vous aurez des clients facilement." lui dis-je en me rapprochant d'elle, restant à ses côtés le temps qu'elle finisse sa cigarette. Je suis la demoiselle jusqu'à l'intérieur de son cloître et une fois la lumière allumée, je jette un coup d'oeil sur l'endroit, mon automatisme se dirigeant vers la bibliothèque mise à disposition. "Des classiques. Le Docteur Jivago, Crimes et Châtiments, La Guerre et la Paix... Dans mon grenier je dois avoir de vieux livres aussi. Je peux toujours voir la provenance et vous les refilez. Ca serait bien qu'ils connaissent un nouveau souffle." lui dis-je en continuant de parcourir les livres suivant leur arête. "Oh! Une journée d’Ivan Denisovitch! Excellent celui-là!" fis-je remarquer avant de tourner les talons et de continuer à parcourir la pièce. "L'endroit est vraiment charmant. On a facilement envie de rester des heures autour d'un bon thé russe avec une part de Ptitchie Moloko." Je m'assois sur l'un des bancs remplis de coussins. "Vous avez des idées pour les finitions? Vous pensiez à quoi?"

J'avais bien vu les références littéraires qui se prônaient ici et ça ne pouvait qu'allumer la petite flamme qui se trouve dans mon coeur. Je regarde les plans et les idées qu'elle a pour essayer de trouver un moyen qui puisse être économique pour elle aussi. "Ca devrait être vite vu. Déjà vois avec des sites qui revendent les choses pas trop chers. Des coussins ou même des petites tables et tout ça, tu devrais en avoir à la pelle. Bon ça risque d'être différent entre quelques une peut-être mais si tu trouves les bons meubles ça peut faire une belle harmonie." Mon conseil n'est peut-être pas très utile mais je le lui donne quand même. "Vraiment, je peux t'aider à rapporter des trucs de chez moi. Ma maison est grande, et je suis seul. Je ne me sers pas de tout donc si ça peut te servir." Elle avait pris l'initiative de me tutoyer et j'avais hésité à commencer, préférant garder cette barrière de langue au cas où que je me prenne une remarque sous prétexte qu'on ne se connait pas. "Avec plaisir et un thé s'il te plait." J'espérais qu'elle me suive sur ce côté moins prise de tête au niveau du langage. "Du coup, tu as le bar, la cuisine là-bas, les toilettes et juste ça... La décoration murale, tu comptes en faire une?" lui demandais-je. "Et la porte... Elle va rester comme ça ou tu comptes la changer ? Car avec des vitres ça peut mieux faire entrer la luminosité et tu pourras même faire une terrasse extérieure surtout qu'on arrive dans une période estivale."

Je fais une petite moue sceptique. "Je pense que le chariot serait un peu too much comme on dit. Un simple plateau à la main serait suffisant je dirais. Surtout que ça serait presque encombrant à un moment donné." lui répondis-je en regardant son choix de thé. Je prends une cuillère et commence à déguster le gâteau. "Je prendrai le même que toi alors, histoire de goûter. Et très bon, tu es bonne pâtissière." lui dis-je en pointant la part du bout de la cuillère avant de lui sourire. "Je t'en prie. Ca me fait plaisir et surtout, si je peux me rendre utile..." Un petit clin d'oeil. J'écoute ses propositions qui sont plus intéressantes les unes des autres. "Ca sera parfait alors. J'ai hâte d'être là pour ta crémaillère, on va dire ça." Je continue à grignoter. "Par contre, après le gâteau, je vais devoir y aller, mais tu pourras compter sur moi pour t'aider à aménager et te faire de la pub. Si tu as une affiche ou quoi, je la plaquerai sur le mur en liège de mon Eglise." Je finis ma part, ayant complètement oublié ma commande de thé et attrape une serviette en papier derrière moi pour lui donner mon numéro. "Si besoin." Je pose le stylo sur la feuille et lui tends la main pour la saluer et de prendre la sortie. Une main en l'air, je m'exclame "до свидания" avant me retourner légèrement, de lui sourire et de disparaitre totalement et de reprendre ma voiture.