Le pauvre Shane est tourmenté. Faut dire que depuis l’annonce de la purge, l’homme n’est clairement pas dans son assiette. Il sait que plusieurs personnes pourraient s’en prendre à lui et qu’il n’est à l’abri nulle part, et surtout pas dans le dortoir qu’il partage avec ses nombreux collègues hommes comme femmes. Et puis, il y a eu ces menaces, proférées à l’encontre de tous ceux qui travaillent ici, des menaces violentes de mort, comme quoi ils feraient tout bruler durant la nuit, et que ceux qui ne seraient pas là seraient retrouvés et tués.

Du haut de son mètre quatre-vingt, Shane est donc loin d’être serein à chaque fois qu’il doit faire le trottoir, et à tous les autres moments de ses journées également. Aujourd’hui encore, il arpente les rues, la boule au ventre et bientôt, ça recommence : des voix qui se font entendre sous forme de chuchotements, qui profèrent encore et toujours des menaces. Shane se retourne mais ne remarque rien de vraiment étrange, commençant alors à se dire que ça ne doit être que des hallucinations. Mais lorsque les voix se font plus intenses, l’homme comprend que tout ceci est bien réel et qu’il est en danger. Alors, il accélère le pas alors que le monde semble rétrécir autour de lui. Puis, il finit par s’arrêter et se met à crier en pleine rue. « Mais venez me tuer si vous n’attendez que ça ! Au moins, ce sera fait ! »

Bad day. Je veux rentrer chez moi. J’ai besoin de vacances. Tout le monde me casse les pieds. Mes clients, Elijah semble être sur une autre planète, Jaxson qui me stress avec l’invitation de sa mère à souper chez nous demain soir… Et thomas qui débarque dans ma vie et qui m’offre des billes d’avion. J’aurais dû les accepter et envoyer balader mes dossiers en cours et en attente. Je devais retrouver un équilibre entre ma vie privée et ma vie professionnelle sauf qu’à l’heure actuelle ma vie privée à tellement plus d’importance à mes yeux que j’ai du mal à faire du bon boulot. Ou du moins être à la hauteur de mes talents. Je suis dans Parker Lane avec un conçurent qui me fait perdre mon sang froid. J’ai envie de balancer mon téléphone contre un mur tellement sa voix m’insupporte dans le combiné. Je raccroche et j’explose « JE VAIS TE TUER ! TE DECHIQUETER EN MORCEAUX ET TE FAIRE MORDE LA POUSSIERE !! » Ma rage s’échappe et envenime mes mots. Puis là, une voix me répond. Je regarde autour de moi, livide. Je deviens fou ou bien ? Je marche quelques pas. Je suis prudent. Me battre, n’a jamais été mon fort, je le crains. Je tente un regard dans une rue annexe et j’aperçois Shane, les poings levés. Il a l’air de passer une journée pire que la mienne… Le voir, ça me retourne l’estomac. J’avais aimé Shane. Pas autant que j’aime Jaxson mais assez pour que lorsqu’il m’a largué ça m’avait fait de la peine parce que je n’avais pas compris pourquoi. J’avais été abandonné comme une merde. Ca n’avait pas duré longtemps mais j’ai cette horrible manie de m’attacher très vite. Mais il n’arrive pas à la cheville de Jaxson. « Shane ? » Je lève les paumes vers lui, l’air innocent « Ces menaces ne t’étaient pas adressées même si dans un sens tu les mérites… Tu as des problèmes ? »

Son nom résonne dans la rue. C’est étrange. L’homme sait donc en plus de cela comment il s’appelle ? Shane flippe, et pas qu’un peu. Son cœur se serre. La voix ne lui semble pas spécialement familière, mais le visage qu’il distingue bientôt, si. Bon dieu, la peur au ventre s’échappe enfin, bien que pas complètement. Oui, il ne l’a pas traité correctement, mais il l’a plaqué comme il aurait plaqué n’importe qui. C’était pour le boulot après tout, ou peut-être pas, il ne s’en souvient même plus. Tout n’est que boulot de toute façon, quand on est un prostitué… On mélange la réalité et le reste… Le brun aurait bien prononcé le nom de son interlocuteur en mode interrogatif, surpris de le voir là, mais de son prénom non plus, il ne se souvient pas. Fichue cervelle de moineau… « Je les mérite ? » Finalement, c’est tout ce qu’il trouve à dire, pas conscient qu’il ait fait quoi que ce soit de vraiment grave qui mériterait qu’on ait envie de le tuer. Au moins, personne ne va porter atteinte à sa vie aujourd’hui à priori. « Non, non, j’ai pas de soucis… Enfin, pas plus que d’habitude quoi. » Et vu le lot ordinaire, c’est difficile de faire pire de toute façon. N’importe quel mari trompé pourrait avoir envie de lui faire la peau… « J’me méfie, c’est tout… C’est pas la première fois que j’ai l’impression d’être suivi… » Il prend un air qui se veut détacher mais dans le fond, ça se voit qu’il n’est pas serein le gaillard. « Donc c’est qui que tu veux tuer comme ça ? » Dit-il juste histoire de changer la conversation, ne se souciant aucunement de la réponse en réalité.

Shane est là devant moi. Depuis tout ce temps, je n’avais jamais cru le revoir un jour. Combien de temps s’était écoulé depuis ? Un peu plus d’un an je dirais. Qu’importe, j’étais passé à autre chose même si voir son visage me provoque une certaine amertume. Il m’avait juste dit que c’était fini et avait disparu de la circulation, sans aucune autre parole. Très mature. « Si tu traites tout le monde comme tu m’as traité, alors oui, tu le mérite. » Le karma et toutes ces autres conneries, je n’y croyais pas et sans doute que moi aussi je mériterais d’avoir des menaces mais je n’ai jamais manqué de respect à une seule de mes aventures. « Si tu as cette impression, tu dois avoir quelque chose à te reprocher. Ou alors tu serais déjà mort. T’as échappé à la purge, du coup, c’est dans ta tête » Froid. Catégorique. Mon ton ne laisse aucune place à l’ironie. J’ai beau le regarder, je ne comprends pas ce qui m’a attiré chez lui. Autant Jaxson à cette bestialité sexy qui transpire, autant Shane est … inintéressant. Il ne respire rien à part le néant. Bon, après tout, je ne suis pas très objectif. « Ça ne te regarde pas il me semble. » Tranchant. Je ne suis pas d’humeur, et je n’ai pas envie d’être sympathique avec lui. Avec personne d’ailleurs. Je croise les bras sur ma poitrine, je veux une réponse maintenant : « Puis-je enfin savoir pourquoi tu m’as largué ou tu comptes faire le mort et ne pas me répondre comme toutes les fois où je te l’ai demandé ? »

Shane les yeux au ciel. Les rancoeurs ont la vie dure décidemment. « Tu t’en es toujours pas remis ? » Pour lui, ça n’avait été qu’un travail, ou tout comme, car l’australien est bien incapable de se rappeler s’il y avait bien un contrat derrière la liaison qu’il avait eu avec Jason. Il a tellement eu de clients, mêlés aux histoires qu’il a vécu par nécessité d’avoir un toit pour la nuit par exemple ; qu’il en a perdu le fil de qui est qui au fil des mois et des années. Heureusement, il a tout de même une mémoire physique, à défaut de se souvenir des prénoms de tout le monde, il reconnait au moins leur tête (ou leur corps…). Il ne préfère pas répondre à la provocation suivante, parce que clairement, ça ne servirait à rien. Il se contente de rouler des yeux, encore et encore, exaspéré. Au final, il aurait peut-être été mieux que ce soit un véritable assassin qui le suive, plutôt que ce rigolo… « Parce que j’suis une pute, au sens littéral du terme. C’est ça que t’aurais voulu que j’te dise tout du long ? C’est ça que t’avais envie d’entendre ? Que t’es pas le seul que j’me tapais et que t’étais rien de plus pour moi que n’importe quel client ? » Faut croire que toute cette situation a mis les nerfs à vif à notre australien, parce qu’il ne s’emporte pas si facilement d’habitude. Il est même plutôt fort pour garder son calme en toute circonstance, sauf que là, il est agacé. « Voilà, maintenant, j’imagine que t’es content et que tu te sens mieux ? » Reprend-t-il bientôt dans une ironie constatée, sachant pertinemment que personne n’a envie d’entendre les révélations qu’il vient de faire. Et au passage, je préfère les femmes ! Voilà ce qu'il aurait dû ajouter pour couronner le tout...

Shane. Il a cette arrogance détestable sur le visage et je ne vois que les mauvais défauts de ce type. Je l’avais apprécié. Vraiment. J’en étais pas amoureux comme je suis de Jaxson mais ça aurait pu fonctionner. « Je n’apprécie pas qu’on me manque de respect » Le respect, parlons-un. Un vulgaire sms de rupture, et puis silence radio. Comme si d’un coup de gomme j’avais été effacé. Il roule des yeux. Toujours. Il se comporte différemment. Il a changé mais je veux quand même des réponses. Mais la vérité me glace le sang. « Un… Une… pute ?! » Je suis estomaqué. J’ai le souffle coupé. Je ne m’attendais pas à ça. Heureusement que les tests que j’effectue régulièrement sont négatifs, je l’aurais attaqué direct. « Un client ? » Moi, un client ? De ce genre de réseaux ?! Jamais de la vie ! Mais il est malade, complètement taré ! C’est lui qui était venu m’accoster dans ce bar, je n’avais rien fait, rien quémandé ! Cette histoire est rocambolesque, inattendue. « Je n’étais pas un client et putain, je ne le serais jamais ! Je ne suis pas désespéré ! » M’avait-il volé de l’argent ? Je ne l’ai jamais payé pour les moments passés avec lui. Pour moi, c’était authentique. Ce n’était pas un jeu. Tout s’embrouille dans ma tête. « Tu m’a volé de l’argent ? » Première question. Est-ce que je ne me sens mieux, pas vraiment. Je me sens Sali par cette verge qui a connu plus de mecs que la plus pute des putes. Ma mine est grave. « Je… Je… tu me dégoûte » Comment a-t-il pu me faire ça ? Me prendre pour un client, moi qui suit la classe et le snobisme incarné ? J’ai envie de le cogner, de lui craché au visage, je me sens souillé, trahi par quelqu’un que je ne connais apparemment pas. C’est un autre homme qui se tient devant moi. Ce n’est pas celui que j’ai invité chez moi, avec qui j’ai partagé des cafés et mon lit. Je déglutis. J’ai la tête qui tourne et une furieuse envie de prendre une douche au desinfectant. "j'étais pas un client..." je murmure, vidé par tant de révélations.

Shane est tellement sur les nerfs à cause de sa vie, du fait d’avoir crû être suivi sur plusieurs kilomètres, entrainant cette peur qui vous prend du fond de vos tripes. Et cette peur, elle engendre des comportements pas forcément des plus normaux, même après coup. L’homme en face de lui ne semble pas comprendre ce que Shane lui dit. Il répète tous les mots, comme si ça allait leur donner plus de sens, et cela exaspère l’australien. Un autre jour, il se serait mis à la place de son interlocuteur mais pas aujourd’hui. Pourtant, ce mec n’a jamais été cruel avec lui, et il semble l’oublier, confondant tout et tout le monde. Ce n’est pas si étrange de ne pas se souvenir dans le fond. Il y a trop de gens dont il devrait se souvenir.

« Bien sûr que non ! Je ne suis pas un voleur ! » Shane est excédé. Comment peut-on penser cela de lui ? Il a bien des défauts mais jamais il ne ferait une telle chose. Il a bien trop de respect pour les gens et les choses. « Ecoute, c’est toi qui a voulu savoir, qui a posé la question. T’avais qu’à pas insister. Je n’ai fait que te répondre ! » Comme si ça allait tout excuser franchement. « Dans le meilleur des cas, ce qu’on avait été réel sauf que je n’ai jamais pu t’avouer la vérité à mon sujet par honte. Dans le pire des cas, quelqu’un d’autre que toi m’a payé pour coucher avec toi. » Et même s’il présente ça d’une manière qui laisse le choix à l’homme de savoir ce qu’il préfère dans tout cela, dans le fond, le brun ne se souvient même plus laquelle de ces options est la vérité.

En réalité ce n’est pas mon cœur qui est en miettes à l’heure actuelle mais mon égo. Je pensais avoir déjà tout entendu dans ma vie mais là… Je suis choqué, estomaqué et je ne sais comment réagir. Je répète ses mots comme pour me prouver que je ne rêve pas, que je les ai bien entendus. Mais comment pouvait-on faire ça à un être humain ? N’avait-il pas de cœur ? D’amour propre ? Voyait-il l’amour comme un commerce et non pas comme une chose rare et délicieuse ? Un graal qui méritait tous les sacrifices ? Une chose aussi précieuse que la pierre philosophale ? Je suis choqué. Littéralement. Et je me mets à voir des films dans ma tête. M’avait-il volé ? Ou pire, usurpé mon identité ? Il me dit que non. J’ai du mal à le croire. Avec lui, tout était possible à présent et j’ai envie de vomir. J’ai couché avec une pute. Je souffle et j’ai la tête qui tourne. J’ai eu le béguin pour une pute. Putain. Je m’appuie contre le mur afin de ne pas perdre l’équilibre. Toutes ces révélations sont trop dures à encaisser. « J’aurais préféré que tu continues de mentir ! » Ces mots sont un souffle presqu’imperceptible. C’était inhumain. Je secoue la tête, il fallait que je me ressaisisse. Je cligne plusieurs fois des yeux avant de me redresser difficilement. La nausée ne me quitte pas. Je pensais avoir tout entendu de lui mais la suite était encore plus innatendue. « Mais quoi ?! » Et ma main part dans son visage. La claque résonne dans la ruelle. Prenant conscience de ce que je venais de faire je recule de quelques pas. « Désolé je… je ne voulais pas…. » Elle est partie toute seule. Mais j’ai envie de le cogner plus et plus fort. Il m’a manqué de respect comme personne mais ce doute s’insinue en moi : qui aurait pu le payer pour se foutre de ma gueule ainsi ? Je fini par détourner le regarde et la tête, fermant les paupières assez fort pour prétendre que je ne sentirais pas le coup qu’il risque de me porter.

Continuer de mentir ? A quoi bon ? Lorsqu’on demande la vérité à Shane, il finit par la donner. Faut faire attention à ce qu’on demande, parce que parfois, on est bien dans l’ignorance la plus totale ! Et voilà qu’on plus, il se prend une gifle en plein visage. L’homme passe sa main sur sa joue. Le coup était fort, assez pour provoquer une douleur vive et intense, qui s’atténue au bout de quelques minutes. « La prochaine fois, tu y réfléchiras à deux fois avant de poser des questions ! » Il lance, fermement, froidement. Cet homme n’a peut-être pas compté des masses dans sa vie mais pour autant, il n’avait pas envie de lui faire du mal à la base, parce qu’ils ont quand même passés de bons moments ensemble.

Shane n’est pas un violent de base. Jason a sans doute cette chance. « C’est bon, j’vais pas te frapper, relax ! » Il voit bien que Jason est dans une position de défense, d’attente plus. « Moi non plus j’aurais pas aimé apprendre une telle chose. » Il n’est pas con à 200% Shane. Il a quand même un cœur, même si on l’empêche souvent de s’en servir. « Oublies tout ça, continue ta vie et tu ne t’en porteras que mieux… » Finit-il par lui dire du ton le plus neutre qui soit. Lui aussi a envie de passer autre chose car ces retrouvailles n’ont rien de bien réjouissante.

Je perdais mon calme. C’était trop de révélations d’un coup. La vérité me frappait comme une massue alors que nous avions partagés que deux mois ensemble avant qu’il ne disparaisse à l’anglaise comme un lâche. Ce n’était pas une relation longue, mais assez pour que des sentiments naissent à son égard à cette époque. Rancunier, je n’avais toujours pas digéré son comportement et là, je me sens complétement désabusé 0devant ses paroles. Je suis choqué, outré et Sali. Son comportement m’exaspère. Je ne le reconnaissais pas : « Excuse-moi de vouloir comprendre ! Mais dans un sens je suis rassuré, ce n’est pas de ma faute si tu es parti. » Au fond, il était soulagé mais les révélations étaient trop fortes pour qu’il puisse savourer la vérité. Et ma main va se jeter contre sa joue. Je ne suis pas violent, mais faut croire que c’en était trop pour mon corps. Directement, je m’excuse en bredouillant. Je tremble, j’ai peur de me faire frapper. Je lève des yeux peureux vers lui lorsqu’il me dit qu’il ne me frappera pas. Je reste tout de même peu sûr. Qui sait de quoi il était capable ? Au fond, je ne le connaissais pas. La tension semble tout de même se dissiper un peu plus lorsque Shane retrouve enfin de l’empathie. « Oui, je préfère oublier ça. » J’ai envie de gerber, de me soûler pour tout oublier. Si j’arrive défoncé à l’alcool, Jaxson risquait de ne rien comprendre et je serais obligé de tout lui raconter. Et Dieu sait ce dont Jaxson serait capable. « Pourquoi tu fais ça ? » Une curiosité malsaine vint s’immiscer dans la conversation. Son métier est inattendu et j’ai toujours au fond du mal à y croire. J’ai envie de tout savoir.

Vaut mieux pas qu’il réponde. Vaut mieux pas qu’il cherche à comprendre non plus, Shane. C’est au moment où il commencera à trop penser à sa vie, au passé, au temps gâché qu’il risque de sombrer. Vaut mieux qu’il continue à vivre au jour le jour, sans penser à la veille ou au lendemain. C’est difficile à faire mais vivre avec des œillères, c’est ce qu’il fait depuis des années maintenant. Un jour, réussira-t-il à être vraiment heureux, vraiment épanoui ? Et puis, voilà qu’on lui demande pourquoi il fait ça. « Pas eu le choix. » Dans le fond, il l’a toujours eu le choix, sauf qu’il s’est toujours dit qu’il ne pourrait rien faire d’autre, parce que le reste ne rapport pas assez, parce qu’on n’aurait pas voulu l’embaucher sans expérience. « Mes parents sont super endettés. Fallait que je les aide. Donc fallait un truc qui rapporte facilement et surtout rapidement. » Dans le fond, est-ce vraiment le cas. On lui prend une grosse partie de ce qu’il gagne, soi disant pour payer sa nourriture et son logement. S’il fait le calcul, il ferait mieux de se prendre un petit studio et de faire ses courses lui-même. Sauf que ça a une forme rassurante, de vivre dans une maison close, sans doute, d’avoir un cadre, des collègues… « C’est pas glorieux, mais c’est comme ça. On ne nait pas tous avec une cuillère en argent dans la bouche. » Il hausse les épaules. Il ne parle pas spécialement de Jason, mais d’une généralité.

Alors que Shane dominait la conversation, elle prit un nouveau tournant lorsque ma curiosité vint lui demander pourquoi il faisait ce travail dégradant.  Et je sentais que j’avais inversé la tendance lorsqu’il maugréa dans sa barbe un ‘’pas eu le choix’’ tellement significatif. Malgré moi, je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel. Bien sûr que si : on a toujours le choix. Et puis, alors que j’allais lui démontrer par A+B qu’avoir le choix est toujours possible, il se livre. Ses parents sont endettés, il les aide. Moi mon père était dans la merde, j’ai fui et fait ma vie. Depuis je gagne assez d’argent pour nourrir toute l’Afrique et aider mon père. Faut croire qu’entre lui et moi, j’avais tiré les meilleures cartes. « Déjà, tu n’as pas à payer pour les conneries de tes parents. Et… » Je réfléchis deux secondes avant de dire une connerie « Je crois que y’a des métiers bien plus valorisants et qui paient mieux que d’offrir ses fesses à des inconnus. » Je marque une pause « Et de leur faire croire que tout est possible. » Petite pique. J’ai toujours cette frustration, cette rancune. Elle ne va pas se dissiper si facilement. Mes yeux se plissent, mes dents se serrent lorsqu’il me dit que nous ne sommes pas tous nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Je le prends personnellement cette attaque. « Je ne suis pas né avec une cuillère dans la bouche. J’ai travaillé dur pour en arriver où j’en suis. Je ne te permets pas de me juger.» Il me fait perdre mon self control. Il m’énerve. Je redeviens froid. Il croit tout savoir alors qu’il ne fait rien. Mon costume sur mesure cache quelqu’un qui a du faire des sacrifices.

« Déjà, tu te calmes, j’disais pas spécialement ça pour toi ! » Shane en a déjà marre de cette conversation. Dans le fond, qu’est-ce qu’il en a à faire de ce type qui n’a eu que peu d’importance dans sa vie, voir aucune d’ailleurs. Mais Shane est plutôt bon dans le fond, presque jamais méchant intentionnellement alors il reste là et il ressent le besoin de se justifier. « Et si tu trouves quelqu’un qui est prêt à embaucher un ex-prostitué et à le payer des fortunes… Je dis pas non mais moi, j’en ai pas trouvé jusque là ! » Son ton est ferme, fermé également, comme s’il était résolu. « Et je ne peux pas me permettre que ça prenne des années en commençant à zéro ! » Il lance comme pour poursuivre sa justification. C’est tout à l’honneur de son interlocuteur s’il a réussi seul, mais tout le monde n’a pas les mêmes capacités. « T’as eu de la chance. La voix que tu as pris a fonctionné. Mais va pas croire que c’est pareil pour tout le monde ! » Déjà, il ne faut pas avoir envie de baisser les bras et ça, ça fait bien longtemps que l’Australien l’a fait. « De toute façon, qu’est-ce que t’en as à foutre que je réussisse ma vie ou non ? Tu vas repartir chez toi, dans ta maison dorée et tu m’auras oublié dans deux heures, si ce n’est avant. » Et c’est tout ce que lui demande le brun dans le fond. S’il était à la place de Jason, il serait le premier à agir de la sorte !

Je n’aurais jamais cru pouvoir être à ce point déçu de quelqu’un qui était sorti de ma vie il y a des mois et des mois. Et plus je le regardais et plus je l’écoutais, plus je me disais que j’avais eu de la chance qu’il disparaisse à l’anglaise. Il ne me méritait pas. Pas du tout. Nous n’étions pas du même monde et s’il était du genre à s’apitoyer sur son sort en cherchant la solution la plus facile et la plus indécente pour s’en sortir, nous avions assez de différences pour que je ne lui adresse plus la parole. Il s’énerve à chaque fois que je dis quelque chose et ça m’agace. « Si tu ne veux pas entendre mon avis, trace ta route. » Et puis, pourquoi restaient-ils là à se parler si aucun d’eux ne trouvait d’intérêt à cette conversation. Pour moi, il n’a pas assez cherché. Et puis c’est quoi cette excuse a la con. Il n’est pas obligé de mettre qu’il est pute… On dit pute pour un gars ? J’en sais rien. Je soupire et croise les bras écoutant à peine ses justifications. Je commençais sérieusement à m’impatienter : je déteste les gens faibles, mais je déteste encore plus les gens faibles qui me font perdre mon temps. « Oh mais tu as raison : je n’en ai rien à foutre. » Je replace mon sac à bandoulière sur mon épaule. Le nez levé je m’apprête à tracer la route « Ouais, je vais t’oublier dès que j’aurais tourné là, à l’angle de la rue et te rayer de ma vie comme toi tu l’as fait. » Si je n’avais pas cette rancœur, si lui et moi ça s’était terminé autrement, si je n’étais pas fou amoureux de Jaxson, j’aurais cherché à l’aider et j’aurais sans doute replongé dans ses yeux bruns. Mon téléphone sonne. Je sors mon cellulaire de ma poche arrière : son prénom s’affiche sur l’écran. Il me demande où je suis et je réponds « J’arrive bébé, j’ai été retardé par un caillou dans ma chaussure. » Dis-je sans lâcher mon regard froid envers cet homme sans vertu. Je termine par un je t’aime avant de raccrocher. «Je file. » Pas d’aure voir, pas d’adieu, pas de formule de politesse, il m’a gavé à jouer aux victimes. Je vais même en profiter pour ramener des pralines ou des gourmandises pour Jaxson qui lui, mérite plus que n'importe qui mon attention.