Physique :

Je rentre du travail, je pose mes clés dans l'entrée. Théo dort probablement puisqu'il est passé trois heures du matin. J'ai beau me recoiffer plusieurs fois dans la journée, le miroir accroché au mur me renvoie continuellement cette même image depuis des années, une femme échevelée, comme si son apparence ne lui était plus importante. Si on fait abstraction des cernes et des traits tirés, je pense qu'on pourrait dire que je suis encore une belle jeune femme, âgée de trente et un an, avec quelques formes bien placées au niveau du buste et des fessiers, une mâchoire et des épaules peut-être un peu trop carrées ou prononcée, mais un visage aux traits doux. L'ensemble forme un tout harmonieux avec mes 1m70 tous mouillés. Sans être très grosse, je suis assez voluptueuse, comme tous ces clichés de latinas de télénovelas.

Je traverse l'espace réduit qui sépare la cuisine de l'entrée, et mes yeux chocolat se posent sur la machine à laver. Je soupire, et las, sort de mon sac mon uniforme de travail qui ne me quitte plus, comme une seconde peau, et le fait tourner. Parlons en de ma peau... Beaucoup pensent que je viens des îles, ou que je suis métisse. Ils n'ont pas tort sur le métissage, mais je suis simplement d'origine mexicaine, par mon géniteur.

Je retire mes habits qui sentent la sueur, et je vais prendre une douche pour rincer mes longs cheveux bruns et alors un sourire de ravissement s'étire sur mes lèvres, le temps que l'eau chaude fasse son office. Ce sourire sera de courte durée, car il a beau mettre en valeur une bouche peut-être un peu trop grande pour vous, il est rare de le voir éclore en présence d'autres présence que celle de ma mère ou de mon fils. Ce n'est pas que je suis malheureuse, mais la fatigue et la vie difficile que je mène m'érodent parfois. J'ai beau être jeune, j'ai l'impression parfois d'être centenaire, même si j'ai la peau douce et lisse comme celle d'un bébé. Je ne fais rien de spécial pour l'entretenir, je n'ai plus le temps pour cela. Je ne l'abîme juste pas avec des centaines d'artifices qui écaillent la peau. Je ne me maquille pas, ou que très peu, et souvent parce que c'est dimanche, et que mon fils insiste. Il veut me voir jolie, et je lui fais plaisir en passant une robe simple, élégante et d'une longueur raisonnable.

Je ne suis pas du genre bigote, mais je n'ai plus le temps pour ce genre de choses au quotidien, ni les moyens financiers. Je sors très vite de la douche, et attrape une serviette de bain pour me sécher, puis enfile un pantalon de pyjama et un t shirt large. C'est ma tenue de maison, et quand je sors... Cela fait des années que je ne sais plus ce que c'est que se faire belle pour sortir. Alors disons que quand je suis en congés, je porte un jean, des baskets et un haut très classique ou pratique. Il m'arrive de mettre des talons mais c'est plus pour donner une bonne image au travail. Je retire mes boucles d'oreilles, héritage familial donné par ma mère, légué de mère en fille, et porte ma main à mon cou nu, comme s'il me manquait quelque chose. Rien ne l'orne non plus. J'éteins la lumière et me traîne en baillant, cachant ma bouche de ma main aux ongles limés pour le travail. Ils sont beaux, mais courts, sans vernis. Je me faxe dans mon lit, et sombre aussitôt. Pas le temps d'attendre, je me lève dans quatre heures pour faire déjeuner Théo, et l'emmener à l'école.

Caractère :

Sur certains points, on peut dire que la demoiselle est quelqu'un de simple. Altruiste, elle aime aider les autres et serait prête à faire passer leur bonheur avant le sien. Elle a de l'humour, mais son affection va droit à sa mère ou à son propre fils. Elle a des amis, mais elle ne traduira pas ce qu'elle ressent par des manifestations affectives physiques. Elle sera là pour vous encourager, et même vous dépanner en cas de souci, mais ne sera pas à vous faire des câlins car elle est un peu pudique sur ces choses là et aussi sur ce qu'elle peut ressentir. Quoique depuis quelques années, les amitiés sont passées au second, voire arrière plan. C'est une personne réfléchie, mature et entière. Elle a un sens fort des responsabilités et est une personne très droite. Elle bosse énormément, et tient fort à son indépendance financière. De ce fait, elle met tout en oeuvre pour offrir des conditions de vie décente à son enfant. Elle ne vivra pas au crochet de ses proches et ne rechigne jamais à la tâche. Elle espère même un jour pouvoir élever sa condition. Appelez cela de l'ambition, elle y met la croyance en de jours meilleurs, de l'espoir que son sort s'améliore.

Elle n'est pas dépensière puisqu'il s'agit pour elle de faire des économies, si possible, car elle aimerait que son fils puisse aller à l'université plus tard, et surtout pour ne pas se retrouver dans une situation financière qui les mettrait en danger sa famille et elle. Cela ne veut pas dire qu'elle est avare, mais elle fera attention à rendre la plupart de ses dépenses pragmatiques. Hors de question d'offrir à Théo la dernière console portative dernier cri pour lui faire plaisir pour son anniversaire alors qu'un jouet pour enfant de son âge lui conviendrait parfaitement. Bien-sûr, elle préfère lui offrir un gateau et un goûter d'anniversaire pour lui faire plaisir que de dépenser de l'argent en "futilités".

Elle a d'ailleurs été éduquée avec un certain système de principes et de valeurs qu'elle compte bien transmettre à son enfant, en essayant de toujours rester la plus juste possible. C'est probablement une manière de vouloir le protéger, mais elle voudrait qu'il soit fort face à l'adversité. Elle ne veut pas qu'il se laisse influencer par la vie dans les rues, dans les quartiers un peu durs. Ni qu'il sombre dans l'alcool ou la drogue, ou même se fasse de l'argent facile ou traîne dans un gang. Elle veut qu'il soit heureux avant tout, pas qu'il se détruise, que comme elle, il passe à travers les mailles du filet du cliché mexicain, des ravages que peuvent causer certaines de ces pratiques. En ce sens, elle peut se montrer très bornée et intransigeante sur le moindre faux pas qu'il pourrait faire. Elle veut qu'il sache que dans la vie rien n'est jamais acquis mais aussi qu'il puisse savoir se débrouiller par lui-même dans n'importe quelle situation. Mais comme une mère louve, elle sait lui apporter la douceur et l'amour dont il a besoin. Et également, à l'image de l'animal, montrer les crocs si on tente de leur faire du mal à elle et sa famille... D'ailleurs, les filles auront du souci à se faire plus tard, car elle risque de devenir le genre de belle-mère bien casse bonbon. Ne rentrera pas n'importe qui dans sa maison, et encore moins dans le cœur de son fils. Elle a intérêt à être bien, qu'importe d'où elle vienne, et à ne pas gagner d'argent sur le dos.

Elle sait quand même se montrer tolérante envers les gens, et trouver le bon en chacun. Elle essaie en tous cas, tout comme dans son quotidien. C'est un peu sa force, elle ne se laisse pas abattre par le premier obstacle venu. Bien-sûr, elle sait lâcher prise, quoi qu'on en pense, quand elle se retrouve au fond du gouffre. Elle sait accepter que parfois il faut savoir rester à terre un temps pour mieux se relever. Par contre elle s'interdit de ne pas se relever. Elle cherche à toujours aller de l'avant.

Elle n'est pas pieuse, et la foi, elle l'a un peu perdue. C'est sa mère qui la tire à l'Eglise le dimanche, chaque fois qu'elle estime qu'elle n'y est pas allée depuis bien trop longtemps. Cependant, elle est assez superstitieuse et pense qu'elle a subi une forme de malédiction qui feraient fuir tous les hommes de sa vie loin d'elle.

Histoire :

Madame Espinosa est attablée, en train de prendre le thé avec un homme assez jeune. Environ une trentaine d'années. Elle ne sait pas encore comment il a réussi à la convaincre de le laisser entrer, peut-être était-ce le flingue sur sa tempe qui l'en avait persuadé...

Elle feuilletait un album photo, et il la forçait à commenter. Chacune d'entre elle lui rappelait des jours heureux, d'autres plus douloureux, pour sa fille. Elle explique la naissance de sa fille, Kathlyn, et sur la photo on voit deux jeunes parents souriants, qui tiennent le beau bébé à la maternité.

-Il y'a trente et un an de cela, j'accouchais à Austin, ici même, au Texas. Nous étions la famille la plus heureuse du monde, même si Tilio était sans cesse catalogué de sale latino. Je m'en fichais qu'il soit mexicain, je l'avais épousé parce que je l'aimais, et on avait toujours voulu fonder une famille assez tôt après notre mariage...

Elle sourit et se dit que les années sont bien vites passées, bien trop vite. Elle désigne un cliché de Kat au jardin d'enfant, entourée d'une bande de copains et copines:

-Tu connais cette photo... Tu es dessus... Tu vois, elle était heureuse. Mais les années ont passé, certains sont partis, d'autres restés, car c'est la vie qui veut ça...
-Epargne moi tes jérémiades, veux-tu?
-C'est toi qui a demandé à ce que je commente les photos...
-C'est moi qui ait le flingue...

C'était le temps où ma fille était innocente et insouciante. Mais elle voyait bien ce qui se passait. Peu à peu notre couple a fini par s'étioler, et elle n'assistait plus qu'à de fortes disputes. Ses amis ont assisté à certaines d'entre elles, ceux qu'on peut compter sur le doigt d'une main, qu'importe de quel horizon ils venaient. Chaque fois que les disputes éclataient, elle ne disait rien mais je sais qu'on lui faisait vivre un enfer et qu'elle aurait préféré qu'on se sépare que de voir les disputes monter crescendo. Il y avait bien des bons moments, des pauses entrecoupées d'accalmie, mais plus les années passèrent et plus les difficultés de couple s'accentuèrent et le père de Kate finit par partir. Mais au lieu de demander le divorce et d'assumer sa part de responsabilité dans l'echec de notre couple, il a préféré fuir. Cela a fortement blessé Kat, qui a toujours pensé que même son propre père avait préféré se couper d'elle que de rester pour préserver l'unité de la famille.

Il a donc fallu que je joue mon rôle et que je continue à l'élever du mieux que je pouvais, seule. J'ai Dieu soit loué, réussi à la garder sur le droit chemin, ce qui peut paraître compliqué quand on manque  d'un père et qu'on déménage dans un quartier un peu plus défavorisé encore que le précédent, où se cotoient quelques menus dealers de drogues, gangs et petits voleurs. Je me suis montrée stricte, mais je l'aimais beaucoup et le lui montrait. Je pense que cela, ainsi que le fait que certains amis d'enfance soient restés dans sa vie ont aussi contribué à ce qu'elle ne devie pas.

Je tourne la page, et vint la phase de l'adolescence. Sur les prochaines photos on la voit un peu discrète, mais souriante, tandis que d'autres font la fête. Elle semble s'ennuyer, mais son regard se porte sur un jeune homme, qui semble aussi la regarder tout en faisant comme si cela n'était pas le cas. Je montrais du doigt, comme pour défier l'homme qui me menaçait d'une arme:

-Son premier amour... Ils devaient avoir à peine quinze ans... Rien à voir avec toi...

Je ne cherchais pas à le pousser à bout maintenant mais essayais de lui faire voir la vérité en face. Il ne lui avait jamais apporté ce que le jeune homme sur la photo lui avait apporté. Si ce n'était un soutien indéféctible. C'était une rare chose que je n'avais pas à reprocher à mon "beau-fils".

-Tu sais très bien qu'elle avait beaucoup d'affection pour toi, mais ses longues études et le chagrin au départ, deux ans après, du garçon qu'elle aimait ne lui ont pas permis de voir en toi l'homme que tu étais et que tu restes ... Un gros égoïste qui s'en va quand il apprend que sa femme est enceinte, parce qu'il ne pense qu'à lui-même et qu'il est trop jeune et idiot pour réussir à assumer la responsabilité de ses actes. Et qui revient emmerder sa propre mère des années plus tard, car même après bien des années, il est encore assez con et égoïste pour essayer de revenir dans la vie son fils et de son ex copine parce qu'il s'est réveillé un matin en se découvrant une soudaine fibre paternelle et une envie de renouer.
-Je l'aimais!
-Je n'en doute pas une seconde, mais pas assez... Et elle ne t'aimait pas. Tu lui as juste servi de bouée de sauvetage même si elle n'a jamais cherché à te manipuler ou à t'utiliser. Elle s'est juste raccroché au premier idiot venu qui semblait être son meilleur ami et pour lequel elle avait assez de tendresse pour l'accepter dans sa vie malgré ses plus graves défauts. Mais elle n'aurait pu t'ouvrir son coeur. Elle a fait des études d'infirmières pendant trois ans, j'ai bien cru que votre relation serait un frein dans sa scolarité mais elle lui ont pris tout son temps et quand il ne lui restait plus qu'une année, elle a dû la faire enceinte, sans toi à ses côtés pour continuer de l'épauler. Imagine ce qu'elle a dû ressentir en...

L'homme gifla la mère parce qu'il n'appréciait pas qu'elle le place face à lui-même et à sa vérité.

-La prochaine fois que tu dis un truc pareil, je te bute!

Le fait était que ma fille avait dû se sentir lâchée encore une fois par un des hommes de sa vie. C'est peut-être pour cela qu'au fond,  elle se consacre tant à Théo, son fils. Dés sa naissance, il y a sept ans, elle a cherché à prendre son indépendance financière. Bien-sûr, je l'épaule pour élever son fils, mais je ne fait office que de conseillère, je ne lui dicte en aucun cas ses choix. D'ailleurs j'ai vite accepté son envie de mener sa barque avec son propre fils. Aujourd'hui, il n'y a que lui qui compte à ses yeux, le seul qui ne la trahirait pas, car le lien entre certaines mères et leurs enfants est si indéfectible que personne ne peut se mettre entre eux...

L'homme tourne les pages de l'album photo, s'impatiantant, frôlant la crise d'hystérie.

-Il est où mon fils? Je veux juste savoir comment il va, et je voudrais lui parler!

Il tombe sur la photo de naissance de Théo et pendant quelques instants, sa main tremble, et son expression facial laisse place à ce qui ressemble à une vive émotion. Puis il l'arrache, et prends d'autres photos de lui plus vieux:

-Tu as intérêt à ne rien dire vieille bique... Ni que je suis passé, ni que je veux le voir, je ne veux pas qu'elle sache... Je veux juste... Juste voir mon fils...
-Tu ne pourras pas!
-Ferme-là, c'est mon fils, mon patrimoine génétique. Et Kate est ma femme! MA FEMME t'entends! Elle me revient de droit! Elle doit m'obéir et faire ce que je lui dis!
-Vous n'êtes pas mariés...

L'homme donne un coup de poing sévère à la femme d'âge mur. Quand elle se réveille sur le sol, une heure plus tard, elle peine à se relever et à y voir clair. L'album est sur le sol, certaines de ses pages arrachées, celle de la jeune femme adolescente lors de la soirée d'anniversaire est déchirée, ne subsiste que la partie du jeune homme sur le parquet. La mère de Kate se lève, choquée, puis remet de l'ordre dans ses affaires. Elle décroche le téléphone:

-Allô, j'aimerais avoir la police...
-Ne quittez pas, nous allons diriger votre app...

La femme raccroche, bien trop effrayée et impressionnée pour oser dire quoi que ce soit à quiconque.

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