J'ai besoin de reprendre ma vie en mains. Max l'a bien assez ruinée comme ça. Il faut que je tourne la page, que j'écrive un nouveau chapitre. Je dois vivre et non plus seulement survivre. Aussi difficile que ça puisse être à faire, je me dois de le faire. Un point c'est tout. Donc, pour la première fois, j'ai décidé d'aller à une soirée. Bon, d'accord, c'est pas une soirée style une fête. Mais y a une pièce de théâtre qui va être jouée et j'ai décidé d'aller la voir. Je me rends pour la première fois dans le théâtre de la ville. J'admire le lieu. D'après ce que j'ai lu, il a été rénové et est revenu de ses cendres, tel un Phoenix, d'où le nom qu'il porte d'ailleurs. C'est un beau nom. C'est poétique et symbolique. J'aime beaucoup. Je suis les personnes déjà présentes jusqu'à la salle et je m'installe sur un siège. Bien sûr que je suis nerveuse et je suis encore loin d'être au bout de mes surprises...

Le spectacle commence. Je dois admettre que la présence de Kenna me manque un peu mais les chiens ne sont pas autorisés. C'est aussi pour ça que je me suis lancée. Je dois apprendre à faire des choses sans avoir mon chien à mes côtés et si je ne vais qu'à des endroits où ils sont autorisés, c'est obligatoire que je l'emmène donc... Il faut que je fréquente des lieux où elle n'est pas acceptée. Tout se passe bien jusqu'à la fin du spectacle. C'est par contre là que ça se corse. Je cherche les toilettes. C'est pourtant indiqué mais je ne sais pas ce qu'il m'a prit, en l'espace d'une seconde, je me suis perdue dans les coulisses. La galère. Comment je vais retrouver mon chemin dans ce labyrinthe? J'ouvre une porte et là, la catastrophe! Un des comédiens est en train de se changer. Ce ne sont définitivement pas les toilettes. Je m'empresse de m'excuser et de me retourner. "Oh pardon! Je cherchais les toilettes! Désolée! Super spectacle!" Je suis super gênée, je perds tout mes moyens. Et là, encore pire: je me prends la porte en pleine face. Un beau bleu fera sans doute son apparition demain. "Aie." Je mets ma main près de mon oeil où je me suis prit le coup de porte. Moi qui croyais que c'était déjà le comble d'être arrivée dans les loges d'un comédien et de le voir se changer, je me prends en prime une porte dans la tronche. Qu'ais-je fait pour mériter ça?

Je ne sais franchement pas ce qu'il me prend. Je perds complètement mes moyens. Parfois, je m'en sors pas trop mal en société. Et d'autres fois... Je sais pas... C'est comme si mon cerveau réagissait au quart de tour sans prendre le temps d'analyser la situation. Pourquoi fuir? Je me suis trompée de porte, et alors? Je demande où sont les toilettes, on me l'indique et j'y vais. Mais non, au lieu de ça, j'ai paniqué. Je crois que j'ai encore bien plus de séquelles que ce que je veux bien admettre. Je tente de faire ma coriace, de sortir - sans mon chien - et j'essaie de reprendre une vie normale. Mais au fond, pour le moment, c'est loin d'être gagné. Max a vraiment laissé des traces indélébiles, que ce soit sur mon corps ou sur mon âme. Quoi qu'il en soit, je me suis prit la porte et je me suis sans doute ridiculiser au passage. Quoi que. L'homme se lève et s'approche pour poser un flacon de parfum juste à côté de mon oeil, endroit où je me suis prit la porte. "C'est la porte juste à côté, mais c'était bien tenté." Bon, bein, c'est déjà ça. J'étais pas trop à côté de la plaque en cherchant les toilettes. "En tout cas merci d'avoir pris le temps de vous être déplacée ici." Je souris doucement en posant ma main sur le flacon de parfum. Le froid fait du bien et ça évitera peut-être de trop grands dégâts. "C'était un chouette spectacle, ça aurait été dommage de rater ça." Il faut bien avouer que ce genre de spectacle, ça balance quand même du lourd. Les gens ne sont pas forcément réceptifs parce que de nos jours, je ne sais pas si tout le monde comprend l'intérêt du théâtre. "Je préfère l'art aux potins pour ma part, j'ai donc vu une occasion à ne pas manquer." J'ai d'ailleurs du mal à comprendre cet intérêt pour les rumeurs. Après tout, c'est un vrai travail d'archéologie de démasquer le vrai du faux.

"Au pire, vous en avez au fond à droite." Parce que oui, au départ, je cherchais les toilettes. N'oublions pas ce détail important. "Si vous pouviez refermer derrière vous s'il vous plait. Je préfère retourner dans la réalité en toute intimité." Pire qu'une célébrité, me dis-je pour moi-même, pour plaisanter. Je ne le dis pas à voix haute, ne sachant pas s'il a le sens de l'humour ou non. Je referme derrière moi et j'accepte d'utiliser les toilettes, mon corps me faisant clairement comprendre qu'il ne patientera plus très longtemps. Je me rends aux toilettes et fais ce que j'ai à faire avant de me laver les mains et de regarder mon oeil dans le miroir. Je murmure: "Quelle galère..." Je reprends le flacon de parfum et retourne dans la pièce de l'artiste. Je dépose le flacon sur le meuble. "Merci pour... le froid sur l'oeil. Et pour les toilettes." Je me dirige vers la sortie quand il me propose autre chose. "Vous voulez reste un peu en ma compagnie?" Je me tourne vers lui. Pendant ce temps, la foule se dissipera et je pourrais sortir d'ici sans avoir à paniquer au moindre coup de coude après tout. "Hum... Pourquoi pas." C'est aussi un travail sur moi-même. Oser rester seule avec quelqu'un que je ne connais pas, ça me demande un effort particulier. Cependant, ce n'est pas une épreuve insurmontable donc... Je tente le coup. "Alors... Vous jouez souvent?" Si déjà je reste, j'imagine qu'on ne va pas rester silencieux.

Je ne suis dans cette pièce que par pur hasard. Le hasard fait-il toujours bien les choses? Allez savoir. Peut-être que ce n'est pas pour rien que je me retrouve en face de cet homme, tout comme ça peut ne mener à rien du tout d'intéressant. Seulement, je ne suis pas là depuis longtemps et rencontrer des gens ne peut pas faire de mal. Sauf si je retombe sur un psychopathe mais soyons honnête, j'en ai déjà rencontré un donc, combien y aurait-il de chances pour que j'en rencontre un second? Elle sont quasi inexistantes alors, je décide d'accepter de rester. Je ne vais cependant pas rester silencieuse à attendre que les minutes s'égrènent. Je tente donc de faire la conversation. "Je suis aussi professeur de théâtre à l'université, ce qui me permet de jouer souvent oui, tout comme de transmettre cette passion. Puis les pièces, ça va, ça vient, l'inspiration ne peut pas être toujours présente." Je souris en hochant la tête. Je ne peux que comprendre la notion d'inspiration. J'ai beau ne pas être écrivaine, je suis éditrice alors les pannes d'inspiration des auteurs, je ne peux que connaitre. "Vous avez d'autres questions?" C'est là que je fronce les sourcils. J'ai la sensation qu'on est pas vraiment sur la même longueur d'ondes. "Par contre, je ne vous dévoilerais pas mes futurs projets, ça reste personnel. Je ne veux pas risquer de perdre tout le travail que je fournis à cause d'une personne qui manipule un peu trop bien les mots." On dirait que j'avais raison. Un rire de quelques secondes m'échappe. On dirait qu'il me prend pour quelqu'un que je ne suis pas. "Je pense que vous vous trompez sur mon compte. Je ne veux rien savoir sur vos futurs projets artistiques. Je faisais juste la conversation mais j'ai l'impression que vous pensez que je suis une journaliste." Autant être très claire sur le fait que je me fiche royalement de tout ça et ce n'est certainement pas moi qui vais faire d'articles sur ça. Je ne suis même pas sûre qu'il y avait un seul journaliste dans cette salle d'ailleurs. Dommage, un article sur une pièce de théâtre serait une bonne pub. "Je manipule peut-être bien les mots mais pas pour ce genre de choses. Je suis éditrice, pas journaliste." J'hausse les épaules. "Si je peux vous donner un conseil, évitez de vous fier à votre première intuition, elle ma parait pas très fiable." Mon ton reste doux. Je ne suis pas vraiment vexée d'avoir été prise pour une journaliste mais j'avoue que la façon dont il s'est avancé peut être un peu agaçante. Il pense savoir alors qu'en fait, il ne peut pas savoir justement. Ça risquerait de lui jouer des tours un de ses quatre. "Vous m'avez sûrement demandé de rester en pensant que je suis journaliste alors, je ferais sans doute mieux d'y aller." Vu la tournure des événements, c'est effectivement en pensant que je suis journaliste qu'il m'a fait rester. Manque de pot, il s'est trompé. Alors qu'ais-je encore à faire ici finalement?

J'hallucine. Il est sérieux? Pour qui se prend-il?! Il croit qu'il peut se permettre de parler aux gens de cette façon?! On dirait qu'il a tendance à oublier qu'il est avant tout prof de théâtre et pas un comédien très connu. Pourtant, il se comporte comme tel. On dirait une diva qui est prête à faire un scandale pour la moindre chose qui la dérangerait. Je crois rêver. Il ne répond à rien de tout ce que je lui dis, comme si il n'avait rien écouté en fait. La seule chose qu'il a retenue est que je mentionnais le fait de partir. Je l'observe se démaquiller et me faire un signe de la main digne de César. "Je ne vous retiens pas en effet." Je suis toujours la gentillesse incarnée. Je ne m'énerve pratiquement jamais. Je suis discrète, douce. Je n'élève que très très rarement la voix. Je préfère la diplomatie, les concessions de chacun, pour arriver à nos fins plutôt que de se faire des coups bas ou de s'engueuler à tort et à travers. J'ai toujours pensé que le conflit ne sert à rien, un mot plus haut que l'autre appelant à d'autres mots plus hauts que les autres. J'ai toujours pensé que la violence appelle à la violence et que finalement, on risquerait de dire des choses qu'on regretterait. Mais alors là, ce type dont je ne connais rien et qui ne me connait pas le moins du monde me pousse carrément à bout. C'était sensé être une soirée détente, je suis venue par hasard dans sa loge et lui se permet presque de m'insulter. Il me prend de haut et je n'apprécie pas. En temps normal, je serais juste partie mais j'en ai assez de me taire et de me laisser faire juste par peur de représailles. Il faut que je reprenne ma vie en main et si essayer de le remettre à sa place fait parti du processus, alors soit. "Vous n'êtes qu'un petit con égocentrique qui pète plus haut et se croit supérieur aux autres parce que Môsieur joue du théâtre. Mais laissez moi vous rappeler que la plupart des gens présents dans cette salle ne connaissaient pas votre nom en arrivant et ne le connaissent pas mieux en sortant. Vous n'êtes qu'un professeur de théâtre avant d'être comédien à succès. Permettez-moi de vous dire que tout ne tourne pas autour de vous: j'en ai rien à faire de vos futurs projets ou de ce que vous pouvez vouloir faire par la suite. Vous avez déjà la grosse tête avant d'être connu, je n'ose pas imaginer le jour où vous deviendrez connu. Si ça arrive. Je plains sérieusement votre femme. Ou votre famille." J'ai le coeur qui bat à cent à l'heure mais putain ce que ça fait du bien. Pourquoi je n'ai jamais fait ça avant? Ah oui. Je suis la gentillesse incarnée. Mais pour qui il se prend? Il mérite bien que je fasse une entorse à mon règlement de la gentillesse. Je n'ai pas crié mais j'ai été assez froide, je l'espère, pour impressionner et montrer que je ne suis pas toute sage. Pour une première fois, j'espère avoir réussi à faire passer le message surtout.