Il est quatre heures, mes cours sont terminés. Je me prends une petite pause café, en croquant dans une barre chocolatée. Ce n'est pas forcément ce qu'il y a de plus diététique, mais je n'ai pas mangé ce midi, pour avoir le temps de relire des cours, donc il fallait que je puisse tenir jusqu'au repas de ce soir. J'aime prendre de l'avance sur mes examens de fin d'années, et j'estime que le faire le plus tôt possible, sera toujours le mieux pour moi.

Quand j'ai terminé, je jette les emballages aux endroits appropriés et pars me mettre au travail à la bibliothèque universitaire. Je récupère quelques livres pour approfondir mes cours et m'installe à mon habitude à une table de travail, le plus loin de l'entrée possible pour ne pas me déconcentrer à chaque allée et venue dans l'enceinte de la bibliothèque.

Je suis en train de revoir un cours sur le procédé de chromatologie des couleurs, même si cette base m'est acquise depuis un moment déjà, et ouvre un bouquin à côté, sur un autre sujet. Il m'arrive parfois de revoir deux sujets à la fois, je ne sais pas pourquoi mais j'apprends bizarrement mieux ainsi. Au bout de cinq minutes, je commence un peu à m'étaler en ouvrant d'autres bouquins, changeant de cours et en prenant des notes.

Quand on tire un peu sur mon stylo, je pense que c'est parce qu'une personne veut plus de place, et je m'apprête à restreindre mon champ de travail, quand cette fois-ci, on m'arrache le stylo des mains:

-Et petite! Arrête de bûcher, on t'observe avec mes copains depuis tout à l'heure, viens t'amuser avec nous... Y'a une fête ce soir chez Luck, on pourrait aller se fumer un ou deux joints là-bas, en attendant...

Je relève la tête vers les trois gus, il faut croire que la connerie ça marche toujours par trois ou quatre chez les êtres primitifs, et tente de récupérer mon stylo, en soufflant un bref mais poli:

-Non merci...

Il m'aurait rendu mon stylo, on en serait resté là. Sauf qu'un des autres types prendre un de mes livres que j'essaie d'attraper avant qu'il ne le fasse et le secoue au dessus de ma tête:

-Aller, n'aies pas peur, si tu viens, je te rends ton livre...

Tant pis pour le livre, il restera à la bibliothèque mais pas question que je me laisse intimider. Si je perds un stylo, c'est pas grave non plus, j'en ai d'autres. Je range ma trousse et mes cours dans mon sac et m'apprête à partir quand le plus baraqué m'attire à lui pour m'immobiliser dans un angle mort de la caméra de surveillance, tandis qu'un autre me prend mon sac:

-Fais-moi un bisous, et je te rends ton sac... ça se voit, t'es une bûcheuse, mais faut savoir aussi se détendre dans la vie...
-Rends-moi ça, et toi lâche moi, j'ai pas besoin de vos conseils de babouins!

Probablement que j'ai encore affaire à de ces types qu'on envoie bizuter les étudiantes pour passer je ne sais quelle épreuve initiatique de confrérie sécrète. J'avais déjà vécu le phénomène en Angleterre.

Je me demandais comment j’allais me défaire de ces nullos, mais il ne fallait pas compter sur moi pour que je cède à leur petit chantage. Ils ont de la chance, juste au moment où je me décidais à envisager de taper dans les parties celui qui me tenait de force contre lui, une personne les interpelle.

Les mecs ricanent, l’autre ne me lâche pas pour autant. Il a beau rétorquer à mon sauveur du jour qu’il n’a pas peur de lui, et je peux le comprendre, ils sont quand même en supériorité numérique, je sens bien que les mecs commencent à s’agiter. Il en est un qui capitule et laisse tomber mon sac sur la table.  Comme s’il suffisait de cela, l’autre lâche mon livre et me le fout contre le corps alors qu’on me relâche enfin. Je prends le livre et ne me fais pas prier.

J’aime bien me défendre toute seule mais je ne suis pas fâchée que le jeune homme soi venu à ma rescousse. On aurait dit qu’ils savaient à qui ils avaient affaire, en attendant, alors que je me réfugie presque derrière mon sauveur, les types se regardent en chien de faïence, et ceux qui en ont une plus petite repartent enfin la queue entre les jambes. Il faut dire que le gentil mec en impose malgré ses traits plutôt doux, et qu’il invite au respect, avec autorité.

Je souris alors à mon défenseur qui est le seul encore là :

-Ouais… ça va… Je crois que tu leur as fichu la trouille, j’ai beau être habituée à ce genre de lourdauds, je ne sais pas encore les gérer… Il faut croire que tous les groupes de garçon de cet âge sont aussi stupides que ceux que j’ai connus à Oxford…

Je replace machinalement mes vêtements avec les mains comme s’ils avaient été froissés durant l’incident, et ramène les affaires sur la table, faisant un peu de place, comme si de rien était même si je n’en menais pas spécialement large :

-Merci pour ton aide... Tu veux un coin de table pour bosser ? Je pense que je vais faire une petite pause en buvant un truc, ils m’ont fait perdre ma concentration… Desserre les poings… Ils sont partis.