Dans mon salon, avec Kenna pour seule compagnie, je suis hésitante. Je regarde la carte du docteur Seidel, rencontré plus ou moins par hasard aux urgences. J'ai peur de le déranger, je crois. Je soupire et regarde ma chienne avant d'hocher légèrement la tête. Je n'ai rien à perdre, pas vrai...?

Bonsoir. C'est Heather. La patiente à l'épaule un peu déglinguée. Celle que vous avez harcelée en pensant qu'elle est une femme battue. Je dérange?

J'appuie sur envoyé sans m'en rendre compte. Waouh. Génial. Super entrée en matière Heather!

Je me sens un peu bête sur la façon dont je me suis présentée. J'ai essayé d'être la plus précise possible pour être sûre qu'il sache qui je suis, même si en même temps, je doute qu'il donne sa carte à tout ses patients, surtout pas avec son numéro personnel. Finalement, la réponse arrive. Je souris doucement avant de répondre à mon tour.

J'avais envie de parler. Je dois avouer angoisser un peu. C'est un soir sans. Trop de choses se bousculent dans ma tête et je me disais que parler avec quelqu'un me ferait pas de mal. Vous n'êtes pas de garde?

Je soupire doucement. J'arrête pas de me triturer l'esprit. Vais-je un jour pouvoir redevenir celle que j'étais? C'est clairement un soir sans, où trop de questions se bousculent dans ma tête et si je ne m'occupe pas l'esprit, je vais devenir chèvre.

Je ne sais pas trop quoi faire. Est-ce-que je dois me confier à lui? Est-il digne de confiance ? Suis-je apte à supporter son regard si jamais je venais à le recroiser?

Je ne vous ai pas menti l'autre soir en vous disant que je ne suis pas une femme battue, vous savez?

Je ressens le besoin d'être sûre qu'il le sache. Autant je ne suis pas à l'aise avec ma vérité, mon passé, autant je ne veux pas mentir ou qu'il s'imagine des choses fausses. Je n'ai jamais été victime de violences conjugales en tant que telles. Le kidnapping et la torture n'était pas au sein du couple si je puis dire. Ça aurait pareil que je sois sa femme, son amie ou sa pire ennemie.

Non, il est certain qu'il n'a pas toute la vérité. Je ne sais pas si je dois lui la dire. Nell ne sait rien, pourquoi je me confierais à un inconnu? Peut-être justement parce qu'il ne me connait pas? Je le croiserais peut-être à nouveau mais même si son regard changeait, ce ne serait pas pareil que si c'était celui de Nell qui venait à changer. L'impact sur moi-même serait totalement différent.

Non, je ne me les ai pas faites toute seule...

C'est sûr qu'il m'aurait été difficile d'atteindre certains endroits de mon corps pour me blesser. J'hésite puis j'envoie un second texto:

Le secret médical s'applique t-il ici?

Avant d'éventuellement me confier, je veux savoir à quoi m'attendre, si je suis couverte.

J'hoche légèrement la tête en lisant son message puis je regarde Kenna qui est couchée sur le sol, à mes pieds. Je souris doucement.

Mon ex-mari trempait dans des affaires illégales. Il a commandité des meurtres. Je l'ai découvert. Il m'a kidnappée, torturée pour trahison. Pour survivre je lui ai fait croire que j'avais des copies alors il m'a torturée pour découvrir où elles étaient. Six semaines. Voila comment j'ai eu les cicatrices.

Les cicatrices et les préjudices moraux qui vont avec. Ma peur d'être touchée. Ma peur qu'il sorte de prison aussi. Voila, c'est dit. Est-ce-que je me sens soulagée? Non, pas vraiment. Mon angoisse est toujours présente en cette jolie soirée étoilée.

Tu parles. Il n'y a eu aucune force ni aucun courage particulier. Mon corps a tenu le coup parce que mon mental a plus ou moins tenu. Si Kenna n'avait pas été là, je n'aurais pas tenu le choc. J'ai tellement voulu qu'il mette un terme à ma vie...

C'est justement ce qui me fait peur... Qu'il sorte un jour. Cette pensée arrête pas de m'obséder ces derniers temps. C'est clair que si il sort, il me fera la peau. Je suis étonnée qu'il n'a encore envoyé personne pour m'assassiner. Sûrement qu'il veut le faire de ses propres mains...

J'ose pas parler comme ça d'habitude. Je garde mes craintes pour moi. Mais ce soir, j'ai besoin d'en parler. Je ne sais pas pourquoi ça me trotte tout le temps dans la tête.

Ce n'est pas simple. J'ai vécu un enfer pendant les six semaines durant lesquelles j'ai été sa prisonnière et même après qu'il soit enfermé, il continue à me hanter. Combien de temps encore va t-il me pourrir l'existence? Je sais que le seul moment où je serais réellement libérée de Max, ce sera le jour où il sera six pieds sous terre...

Il ne devrait pas sortir avant longtemps. Sauf s'il demande un jour un recours et que sa peine serait allégée mais je doute que qui ce soit se montre clément avec lui. Ceci dit... Je ne suis pas à l'abris si il venait à s'évader.

Appeler ne servirait à rien. Ce n'est pas parce qu'il lui reste tant et tant de temps derrière les barreaux que ça va me sauver la mise. S'il s'échappe, je serais la première personne qu'il cherchera et pour qui il viendra, croyez-moi.

C'était gentil de la part de Stanislas de me proposer son aide si j'en avais besoin mais très honnêtement, je ne vois pas ce qu'il pourrait faire. Ceci dit, c'était toujours bon à savoir et bon à prendre. La question que je me pose plutôt c'est si sa proposition est sincère ou si c'est juste pour être poli...

Non, aucun programme de protection des témoins, pas de changement de nom. Mais effectivement, j'ai déménagé. Je supportais plus la ville où j'habitais. Les regards des gens, les mauvais souvenirs. Ça a été bien plus médiatisé que ce que j'aurais voulu.

Je n'avais pas apprécié d'être sous le feu des projecteurs mais ça n'aurait pas dû m'étonner. Quand une telle affaire arrive, que ce soit dans une grand ville ou dans une petite, les médias s'en mêlent forcément et le public est toujours au rendez-vous. À croire que ça le malheur et les horreurs qui arrivent dans le monde doit être un spectacle. À croire que ça en excitent certains... J'envoie un autre sms dans la foulée:

Vous avez toujours voulu devenir médecin? Aider les autres?

Ma curiosité naturelle prend le dessus.

Spoiler:

J'ai besoin de me changer les idées. Je ne peux pas me permettre de ne penser qu'à la peur qui me prend aux tripes qu'un jour Max soit relâché ou qu'il s'évade. Je sais que si ça venait à arriver, ça signerait mon arrêt de mort. J'ai donc besoin de vraiment penser à tout autre chose. Ainsi, je ne réponds pas à son premier sms. Je suis d'accord avec lui sur le fait que prendre un nouveau départ peut être bénéfique. Si je n'avais pas décidé de tout plaquer, je n'aurais jamais rencontré Nell après tout...

Et pourquoi cette spécialité? Pourquoi pas la cardiologie ou que sais-je d'autre?

J'ai envie de savoir pourquoi il a choisi ce métier. C'est un parcours long et difficile après tout. Je le rejoins quand il dit qu'on a souvent déjà un membre de la famille dans ce domaine pour le suivre. C'est pareil avec le métier d'avocat. Mes parents étaient persuadés que je prendrais la suite de mon père. Pour être honnête, c'était aussi ce que je croyais. L'amour des livres a été plus fort que l'amour du droit et de la justice. Vendre du rêve ou permettre aux gens d'exprimer des choses, de faire bouger les pensées, était plus important pour moi. J'aurais eu trop peur de tomber sur des monstres à défendre, je crois. A une période, j'ai presque regretté. Après tout, j'aurais pu défendre des victimes aussi. Mais qui sait? À ce jour, je ne regrette plus rien quant à mon choix de carrière.

Spoiler: