Je suis au briefing avec mes hommes, Indian head, Boomer, Eastman et Stinger écoutent aussi attentivement que moi les ordres venant de l’état-major que le colonel Hartman est en train de nous exposer sous la tente de commandement. Notre unité de la Delta Force va être déployée pour éliminer un objectif important et difficile à atteindre.

Colonel – Messieurs, vous sauterez HAHO cette nuit d’un C-130 pour vous poster sur le flanc de cette colline au-dessus du village, décollage à deux-trois-zéro-zéro. Nos informations indiquent qu’une réunion des chefs de clans aura lieu ici dans un ou deux jours. Votre cible est cet homme.

Il nous montre une photo qu’on connait tous, c’est le chef d’un clan pakistanais qui aide les Talibans. Je n’ai pas besoin de regarder très longtemps cette photo, mes hommes non plus. Son visage est déjà gravé dans nos mémoires pour ne pas le laisser passer.

Colonel – Vos ordres sont d’éliminer cet homme et tout chef de clan fiché comme ennemi lors de cette réunion que vous pourrez avoir en plus. Ashfaq Ayub Bajwa est votre cible principale. C’est probablement notre seule chance d’avoir ce salopard, ne la ratez pas.
- A vos ordres mon Colonel !
Colonel – Un CH-47 viendra vous récupérer au point Bravo. Des questions ?
- Non mon colonel.
Colonel – Ayub Bajwa est votre cible prioritaire. Je ne veux pas un tir avant que vous soyez sûrs de pouvoir l’éliminer.

Il nous regarde chacun notre tour en silence avant d’ajouter.

Colonel – Bonne chance messieurs.
- Merci mon colonel.
Colonel – Rompez !

Alors que nous allions sortir de la tente de commandement après un salut réglementaire, le colonel me rappelle.

Colonel – Whiplash !?

Je fais volte-face.

- Oui mon colonel ?
Colonel – Neil, faites gaffe, vous serez de l’autre côté de la frontière, on ne pourra pas vous envoyer du soutien si ça merde.
- Je sais mon colonel, c’est bien pour ça qu’on s’y colle.
Colonel – Ramenez-moi vos hommes entiers avec la tête de ce salopard !
- A vos ordres !

Après un salut militaire dans les règles, je vais rejoindre mes hommes et leur ordonne d’aller se reposer en vue de la mission. A 20h00, après un solide repas, nous sommes dans le hangar de la base à préparer le matériel pour la mission. Comme d’habitude, je commence par enlever les écussons de mon uniforme ainsi que la bande patronymique et y joint mes plaques d’identification. Je ne garde que la médaille de Kate autour du cou comme je le fais toujours. J’ai quitté Austin il y a dix ans et je doute qu’elle m’attende encore mais je n’arrive pas à me séparer de cette médaille de St Jude qui semble me porter chance.

- Prêts ?
Mes hommes – Parés mon capitaine !
- Alors on embarque !

A 22h50, chargés comme des mules avec notre équipement de saut et de combat, nous montons à bord du C-130 Hercules pour un vol d’environ une heure. Pendant le vol, nous restons silencieux pour nous concentrer sur la mission à venir. Un saut HAHO comme nous allons le faire comporte des risques qu’il ne faut pas prendre à la légère. On va sauter à une altitude où l’oxygène est rare, nous imposant le port d’un masque respiratoire et la température sera largement en dessous de zéro. La moindre erreur de préparation sur un saut comme ça peut signifier la mort. A une cinquantaine de kilomètres de l’objectif, l’officier de largage nous fait signe de nous préparer lorsque la lumière passe au rouge au-dessus de la porte avant d’ouvrir la porte arrière. Je fais signe à Boomer de passer en tête, c’est lui qui nous guidera aux instruments lors du saut.

Arrivés à la zone de largage, l’officier nous fait signe de sauter dès que la lumière verte s’allume pour remplacer la rouge. Boomer se jette dans le vide et ouvre sa voile dans la foulée, je saute à sa suite et le reste de l’unité en fait autant. La nuit sans lune nous camoufle aisément mais nous complique la tâche pour la navigation. Je garde un œil sur le compas et suis Boomer qui navigue au GPS. J’arrive à voir Eastman derrière moi mais ni Stinger, ni Indian Head. Je lance un appel à la radio pour m’assurer que l’équipe est au complet.

- Whiplash pour unité. Toujours au contact ?
Boomer – Boomer ok!
Eastman – Eastman ok!
Stinger – Stinger ok!
Indian Head – Indian Head ok!
- Whiplash terminé.

Je suis rassuré, l’unité est au complet. On peut continuer l’opération. Boomer nous guide toujours et fini par nous faire poser de l’autre côté de la colline. En silence, nous plions les parachutes et camouflons le matériel de saut. Une fois équipés pour le reste de l’opération, je fais signe aux autres. Boomer et Indian Head partent contourner le sommet par la gauche, Stinger monte au sommet et j’embarque Eastman avec moi pour passer par la droite. Stinger arrive en position en premier à environ 01h00 du matin et s’installe à couvert sous le sommet pour observer le village pendant que nous rejoignons nos positions.

Stinger – Stinger pour unité, aucun mouvement dans le village. A la thermique j’ai 5 individus adultes et 3 enfants dans les bâtiments. Je scanne les alentours.

Je n’aime pas ça, le village aurait dû être vide à cette heure-là en prévision de la réunion des chefs de clans. La progression n’est pas facile entre les rochers, surtout par nuit noire et en essayant de ne pas faire de bruit, mais nous arrivons finalement sur une position idéale avec une belle vue plongeante sur le village.

- Whiplash en position.

Quelques minutes plus tard, c’est Boomer qui indique la même chose par radio avant que je ne demande des infos à Stinger par le même canal.

- Whiplash pour Stinger.
Stinger – Stinger.
- Tu vois quelque chose à la thermique ?
Stinger – Négatif, c’est calme.
- Ok. Silence radio. CAT si mouvement ennemi, annonce à la radio et attente de mes ordres.
Stinger – Affirmatif.
Boomer – Affirmatif.
- Whiplash terminé.

L’attente commence, Eastman garde les yeux dans les jumelles de vision nocturne à côté de moi pendant que j’utilise la lunette de mon fusil pour scruter les mouvements dans le village. Mon canon est aussi loin du sol que possible pour ne pas lever de poussière lors du tir qui pourrait trahir notre position même si nous sommes à plus de 700m du village. Lorsque le soleil se lève derrière nous à droite, le village s’anime doucement et un homme sort d’une maison pour aller au puits.

Stinger – Un homme vient de sortir.

Je cale mon regard dans la lunette de mon fusil et trouve rapidement l’individu.

Stinger – Identité non confirmée. Civil.
- Stand-by, on attend la cible.

Civil ou combattant, ici la frontière est mince mais ce n’est pas lui notre cible et nos armes restent silencieuses pour l’instant. Je reste penché sur mon fusil alors que les heures défilent à observer les mouvements dans le village et autour comme ce berger qui revient avec son troupeau de chèvres. Je change parfois légèrement de position pour éviter l’engourdissement sans trahir notre position et sans stopper mon observation du village même pour manger un morceau vers midi. Nous avons identifié les six adultes du village, aucun ne fait partie des cibles prioritaires et je commence à me demander si les infos qui nous ont conduit ici étaient bonnes.

En début d’après-midi, Stinger nous annonce un 4x4 arrivant du nord sur la route. Je décale mon fusil pour caler ma lunette sur le véhicule jusqu’à ce qu’il s’arrête dans le village. Ce n’est pas notre cible qui en descend mais un commando de quatre hommes armés de Kalachnikov qui aligne les neuf habitants du village sur la place centrale et les fait mettre à genoux avec les mains sur la tête. Nous avons tous compris ce qu’ils s’apprêtent à faire. Ils doivent certainement tenter de faire dégager les habitants en vue de la réunion.

Eastman – Putain Whiplash, on peut pas laisser faire ça !
- On a des ordres, la cible n’est pas là.
Eastman – Mais merde, ils vont les buter.
- T’en sais rien !

Je lui dis ça tout en sachant pertinemment que c’est certainement ce qui va arriver bientôt. Le ton monte visiblement au village et les coups de crosse commencent à tomber sur les têtes des habitants et aucun de nous n’aime voir ça. Stinger y va aussi de son commentaire à la radio lorsque je les vois abattre un des hommes d’une balle dans la nuque.

Stinger – Stinger pour Whiplash. On s’en charge ?
- Non, on a des ordres, la cible n’est pas encore là. Stand-by pour tout le monde.

A contrecœur, je les vois exécuter tous les adultes du village les uns derrière les autres et embarquer de force les gamins pleurants et apeurés dans le 4x4. J’ai envie de vomir mais nous avons des ordres et une mission à accomplir et c’est pour ça que je redresse mon index aussi loin que possible la queue de détente de mon fusil. Nous sommes des soldats des forces armées des Etats-Unis d’Amérique, pas de vulgaires mercenaires. A leur départ, je rumine ma colère en regrettant mes ordres mais mon sens du devoir fini par reprendre le dessus et j’essaie de faire abstraction de ce qui vient de se passer sous nos yeux, même si je reviens régulièrement aux six cadavres qui baignent dans leur sang entre les huttes du village. En fin d’après-midi, Stinger rompt à nouveau le silence radio.

Stinger – Stinger pour Whiplash, contact sur la route au nord. Trois véhicules, deux mitrailleuses lourdes.

Je décale mon fusil pour avoir le convoi en visuel. Un vieux Range Rover est encadré par deux pickups Toyota équipés de mitrailleuses DShK de fabrication pakistanaise dans les bennes. S’ils découvrent nos positions, ils pourront nous allumer sans problème et je préfère qu’on évite ça.

- Je les ai en visuel. Gaffe aux Douchkas, on aura le droit à un seul tir chacun. Si c’est Ashfaq, on l’élimine et on décroche en douceur pour éviter les représailles.

Je ne quitte pas le Range Rover des yeux et garde le réticule dessus jusqu’à ce que le convoi arrive dans le village. C’est bien notre cible qui en descend avec ses gardes du corps. Je fais claquer les ordres à la radio alors que j’ai déjà ajusté la tête de la cible de notre mission.

- Boomer sur le mitrailleur avant, je m’occupe de la cible prioritaire. Stinger, décomptes ! Feu vert.
Boomer – Feu vert !
Stinger – 3, 2, 1, feu !

Le tir de Boomer et le mien sont simultanés, les deux têtes explosent au même moment. Le deuxième mitrailleur commence à arroser les collines autour du village à 100m à droite de notre position. Il ne nous a pas repéré, inutile de l’arroser en risquant de dévoiler notre position.

- On se replie, mission accomplie.

J’ai confirmation par radio que tout le monde se replie et fais signe à Eastman de retourner de l’autre côté de la colline mais soudain, Stinger glisse et décroche de la caillasse qui se met à rouler dans la pente. C’est la merde ! Le mitrailleur le repère et commence à arroser dans sa direction alors qu’il vient de se jeter à couvert derrière un rocher. L’adrénaline pulse à mes oreilles alors que je me jette par terre pour ajuster le mitrailleur et que la deuxième mitrailleuse est récupérée par un autre taliban.

- Boomer, cible gauche, je prends à droite.
Boomer – Affirmatif.

J’ajuste ma cible et tire une demi-seconde plus tôt que Boomer. Nos tirs font mouche tous les deux, laissant un peu de répit à Stinger pour se dégager.

- Whiplash pour Stinger, c’est bon. On décroche. Rassemblement à côté du matériel de saut.

Le groupe se reforme de l’autre côté de la colline mais nous ne sommes pas encore tirés d’affaire. Il faut encore qu’on arrive au point Bravo de l’autre côté de la frontière pour que le Chinook vienne nous récupérer. En essayant de rester aussi hauts que possible sur le relief tout en restant à l’abri du terrain, nous voilà partis pour 20km de marche dans les montagnes pakistanaises en pleine zone tribale. A la nuit tombée, je chausse mes lunettes de vision nocturne et prend la tête du groupe pour guider tout le monde. Vers minuit, nous devons faire un détour pour éviter un village où des véhicules armés sont garés. Certainement un repaire de terroristes mais nous ne sommes pas là pour ça même si nous avons l’équipement pour nous en occuper. Boomer voudrait descendre pour piéger les véhicules mais je le lui interdis. L’objectif de notre mission est accompli et maintenant il faut rentrer même si j’aimerais bien m’occuper de ces salopards. Malgré l’entrainement, cette marche est éprouvante et ce n’est que lorsque le soleil pointe à l’horizon qu’on arrive en vue du point Bravo. Stinger sort le téléphone satellite et appelle la base avancée pour que le Chinook puisse venir nous chercher.

Stinger – Le Chinook est en route.
- Ok, on se déploie autour du point Bravo en attente.

Le point Bravo ne sert pas souvent, alors je préfère qu’on s’assure d’être seuls. On ne baissera la garde qu’une fois que le Chinook sera à bonne altitude. Au point Bravo, mes hommes se déploient autour de la LZ pour sécuriser la zone. Une demi-heure plus tard, le bruit caractéristique d’un CH-47 Chinook se fait entendre, on va pouvoir dégager de là. Dès que l’hélicoptère se pose dans la clairière avec la porte arrière grande ouverte, je donne l’ordre de sortir du couvert pour monter à bord. Je vois mes hommes sortir de leurs planques et se ruer dans l’hélicoptère. Une fois tous à bord, je fais signe de la main au pilote de décoller. Il acquiesce d’un signe du casque et décolle pour nous ramener à la base.

Même si nous sommes toujours en territoire hostile, je commence à me détendre un peu. On a eu chaud avec les mitrailleuses mais j’ai des hommes de valeur avec moi et on a réussi à s’en tirer, cette fois, sans casse. Notre mission est une réussite totale jusque-là. Soudain, le pilote fait faire un violent break à gauche au Chinook et je me retrouve catapulté au sol avec Eastman et Stinger. Sachant très bien que la roquette qu’il vient d’éviter peut en annoncer d’autres, je fais signe à mes hommes de se cramponner. Bordel que je n’aime pas dépendre d’hommes que je ne connais pas mais je n’ai pas le choix pour l’instant, je dois faire confiance à l’équipage de cet hélicoptère.

Ce n’est que lorsque je pose le pied sur le sable de la base que je me détends enfin et commence à blaguer avec mes hommes pour laisser échapper la tension de la mission. Après un débriefing rapide avec le colonel, je vais déposer mon équipement à l’armurerie et remets mes écussons ainsi que mes plaques d’identification. Je rédige ensuite un rapport qui finira classé secret défense et que probablement personne ne lira jamais puis vais me coucher pour essayer de dormir un peu malgré la chaleur qui règne sur la base. Comme à chaque fois que je m’allonge pour dormir un peu, j’attrape la médaille de Kate et l’embrasse avant de la laisser pendre à nouveau à mon cou avec mes plaques d’identification.