27°C. C'est relativement faible pour le Texas,mais suffisamment chaud pour moi et je décide de faire bronzette sur une chaise longue dans mon beau jardin. Faut bien profiter de ses jours de repos, non? Une petite serviette autour du coup et une bouteille d'eau à la main, je sors par la porte fenêtre de mon salon pour arriver sur la terrasse, uniquement habillé d'un short. Je commence à m'installer quand je remarque, du coin de l'oeil, un truc bizarre. Je tourne la tête, retire mes lunettes de soleil et... oui, c'est bien un trou.

Et maintenant que j'y regarde de plus près, il n'y en a pas qu'un. J'en compte cinq en tout, des trous plus ou moins grands qui défigurent ma pelouse jusque là parfaite (parce que je paye un mec pour l'entretenir, moi j'en serais bien incapable). Je sens la colère monter en moi, lentement mais sûrement, et je me vois déjà acheter un fusil de chasse pour dégommer les taupes responsables de cette catastrophe. Mais un dernier trou sous la clôture de bois finit par me faire comprendre que le coupable, ce n'est pas un rongeur aveugle mais bel et bien le chien du voisin. Il va m'entendre gueuler, celui-là!

Ni une ni deux, je fais le tour de la maison pour aller sonner chez lui. Une fois. Deux fois. Trois fois. J'attends comme un con avant de me rendre à l'évidence: il n'y a personne. Avec un soupir agacé, je donne un petit coup de pied dans la porte... qui s'ouvre. Et merde.

Je me rends bien compte que je suis pas très habillé pour venir engueuler le voisin mais j'ai pas vraiment réfléchis, me laissant porter par la colère. Maintenant qu'il se retrouve face à moi, je me sens un peu con. Mais quand je remarque la boule de poils dans ses bras, qui de toute évidence vient de recevoir un bain (PREUVE ULTIME DE SA CULPABILITÉ!), je me sens de nouveau vindicatif. "C'est lui!" je m'exclame, pointant le chiot du doigt avec toute la fougue de l'injustice dont je suis la terrible victime. "C'est lui qui a ravagé mon jardin! Un vrai désastre, on croirait les tranchées de Verdun!" Ouais, bon, j'en fais légèrement trop. Mais merde, quoi, ma pelouse parfaite est défigurée à tout jamais! Du moins, jusqu'à ce que Manuel revienne la semaine prochaine, peut-être qu'il pourra faire quelque chose.

Mon attention se porte alors à nouveau sur le voisin, parce que, que je sache, c'est pas le chien qui va payer quoi que ce soit. Il est plus grand que ce que je croyais, et tout aussi maigrichon que moi. Enfin, à côté du mec qui vient de temps en temps, il reste une vraie crevette. "Il est passé sous la clôture et il a creusé partout. C'est intolérable. In-to-lé-rable," je fais en secouant la tête, ma détresse évidente. C'est que le désordre et le chaos me font horreur, je ne le supporte pas. Tout le monde me dit que c'est pathologique chez moi, mais je ne suis pas d'accord. Ne pas tolérer le désordre et la pagaille n'est pas une tare, non mais!

Le voisin est bien plus calme que moi et même si ça a tendance à m'énerver encore plus en général, je sais qu'il faut que je me calme ou je risque de passer pour un allumé du ciboulot. Et peut-être que je le suis, j'en sais rien je suis pas psy, mais j'aime autant que ça ne se remarque pas. Je l'observe alors qu'il met ses chaussures et prend ce dont il a besoin, le chien toujours bien calé dans un bras, emballé dans une serviette de bain. "Je vais vous montrer ça," je répond en hochant fermement la tête. Quant à refaire la clôture... "Je ne sais pas si la clôture fait partie de ma propriété ou de la vôtre..."

Marchant d'un bon pas, je l'emmène jusque chez moi et on contourne la maison pour accéder à l'arrière du terrain où se trouve le jardin. "Ça doit faire à peu près 4 ans maintenant. Vous êtes nouveau, vous, non?" Je suis pas extrêmement sociable et je connais quasiment personne dans le quartier, mais il me semble bien que c'était la maison d'un chirurgien ou quelque chose du style il y a quelques mois en arrière.

On arrive au jardin et je fais un grand mouvement avec mon bras pour lui montrer l'étendue des dégâts, légèrement trop dramatique et théâtral. "Vous voyez? On dirait que j'ai été attaqué pour une armée de taupes!" Je fronce les sourcils en observant le chien qui fait mine d'être un petit ange, ne bougeant pas d'un pouce. Comment un truc si petit peut faire autant de dégâts à lui tout seul?

J'avais raison, le mec est bien nouveau. Moins d'un mois, et son chien commence déjà à causer des problèmes... Bon, je suis un peu relou, j'en ai bien confiance, mais il a quand même de la chance que ce soit tombé sur moi parce que dans ce quartier un peu prout-prout, on aurait pu lui faire un scandale et lui intenter un procès pour ce genre de conneries. Comme je dis toujours, les gens riches ont toujours trop de temps et d'argent et dépensent tout dans la frivolité. Enfin bref...

"Je vous laisse gérer pour la clôture mais pour le jardin, je préfère voir avec mon jardinier ce qu'on peut faire, je lui fais confiance pour ça. Et puis ça coûtera moins cher que de faire appel à une entreprise qui va facturer ça beaucoup trop juste à cause du quartier," je lui explique même s'il a l'air d'avoir les moyens de payer sans trop de soucis. Sa maison est plus grande, et il a une piscine...

Et apparemment, un jardin en fausse pelouse. Quelle drôle d'idée. Je suppose que c'est plus facile à entretenir dans la chaleur du Texas, surtout avec l'été qui approche, mais quand même. Une pelouse en plastique, c'est d'un triste... "Je le comprends un peu, le pauvre... Il a besoin de nature, pas de synthétique, le petit loulou." Je me permets de lui faire une caresse sur la tête. Je compatis pour l'instant mais qu'on ne s'y méprenne pas: s'il recommence, je fais ma Cruelle d'Enfer et je me taille un manteau avec sa fourrure. Enfin, tout du moins un bonnet, vu sa taille...

Bon, je sais pas si le petit le pense vraiment ou s'il essaye de me brosser dans le sens du poil pour me calmer mais peu importe. L'un comme l'autre, ça fonctionne et je me sens déjà moins stressé par tout ça, même si je trouve les trous et le désordre toujours aussi moches. "Manuel est un véritable magicien, c'est lui qui s'occupe de la pelouse et des arbres et de l'extérieur en général... Je vous enverrai la facture." Ça devrait pas non plus être trop ouf, je pense... Il aurait dégommé l'un des pacaniers, je dis pas, mais bon. J'envisage un instant de faire creuser une piscine mais... pour le peu de temps que je pourrais en profiter, ça me paraît bien superficiel. Et le jardin aurait l'air beaucoup plus petit en plus.

Le voisin m'explique alors son emploi du temps de ministre (il semble être étudiant et occuper un poste à responsabilité dans une entreprise...), et les origines de son immonde pelouse synthétique. "Il faudrait que je vous donne carrément le numéro de mon paysagiste, qu'il fasse quelque chose pour votre jardin et un coin pour le chien..." Je ne dis rien sur son cactus décédé (RIP petit ange parti trop tôt) parce que je n'ai pas vraiment la main verte non plus. A part quelques plantes aromatiques dans ma cuisine, et encore ce n'est pas moi qui m'en occupe, c'est niet. "Enfin il faut peut-être que vous en parliez avec votre copain... Mari...?" Je sais même pas s'il vit réellement ici, le beau blond aux yeux bleus et au corps de rêve. Mais euh, du calme Matteo, pas question d'essayer de piquer le mec du voisin.

Ma soif de justice et de vengeance étanchée par le calme olympien et la gentillesse de mon voisin, je balaye d'un geste de la main sa proposition de faire plus pour mon jardin. "Je suis pas là assez souvent pour réellement en profiter, ça serait franchement inutile," je lui explique en secouant la tête. "D'où l'avantage d'avoir un paysagiste qui s'occupe de tout ça," j'ajoute lorsqu'il affiche son scepticisme quant à changer sa pelouse. Moi, j'essaye de trouver de nouveaux clients pour Manuel? Absolument pas... Hum...

Là où ça devient vraiment intéressant, c'est quand il me propose d'utiliser sa piscine. Franchement, pour se rafraîchir entre deux séances de bronzette, c'est l'idéal. "Je dis pas non. J'envisage de faire creuser une mais je suis pas si souvent que ça à la maison..." On en vient à aborder son petit-ami et il se met à rougir comme un adolescent à ses premiers émois, c'est marrant. "Hadès, c'est... intéressant comme prénom. Moi c'est Matteo, au fait," je finis par me présenter parce que bon, il serait peut-être temps qu'on s'appelle par autre chose que 'mon voisin'.

"Voilà, problème réglé!" je m'exclame, satisfait. C'est une de mes grandes qualités, dans la vie de tous les jours comme en cuisine. Quand un problème se pose, je trouve systématiquement une solution. Pas forcément la meilleure, ni même la bonne, mais une solution quand même. Toujours avancer, quitte à se tromper. On apprend toujours de ses erreurs.

Je suis mon voisin jusqu'à chez lui et wow, il déconne pas avec la sécurité. Codes d'accès pour rentrer et caméras, carrément... C'est ouf. Moi j'ai même pas une alarme, ni rien. Je devrais peut-être revoir tout ça. "Ah, euh... C'est gentil, merci." Je me vois mal m'inviter comme ça chez lui mais bon, si un jour je sais qu'il part en vacances ou en déplacement, ça peut être utile.

Quand il se présente à son tour, il s'incline, comme une sorte de révérence et ça me laisse assez perplexe. Est-ce que c'est un truc de riche? Ou alors il est juste un peu bizarre... Est-ce que je dois faire la même chose? Aucune idée, alors je me contente d'hocher la tête l'air un peu gauche. "Enchanté. Je vis avec mon frère donc si vous voyez quelqu'un d'autre chez moi, vous inquiétez pas." Tyler, Hadès et Yuki. Quelle belle petite famille! Il relâche le chien qui se met à courir partout et... oh putain, la piscine est juste géante! Je m'approche pour regarder, trempe la pointe de mon pied pour prendre la température de l'eau avant de suivre à contrecœur le voisin pour aller voir la clôture en question.

J'écoute Tyler me raconter ses problèmes d'hyperactivité, complètement médusé. Ça me fait penser aux pubs pour le dispositif médical pour les vieux, qui peuvent appeler à l'aide en appuyant sur un simple bouton de leur collier ou de leur montre au cas où ils se cassent la gueule et n'arrivent plus se relever. Je me demande s'il a ça, aussi, sans toutefois être assez indélicat pour demander. "Ouais, les assurances, tout ça," je réponds avec aplomb alors que j'y connais absolument rien.

Apparemment la piscine a même un thermostat (le mec doit être plus riche que Crésus, c'est ouf!) et j'apprend également que le voisin donne du miel à son chien (encore plus ouf!). Il semblerait que le problème de clôture vienne d'un arbre dans mon jardin... "On peut quand même pas couper, le pacanier doit avoir au moins 100 ans... Je pense qu'il faut juste qu'on découpe le bas de la clôture pour laisser la racine passer. Ça devrait pas être trop compliqué et surtout, ne pas coûter grand chose." Manuel peut parfaitement s'en occuper, j'en ai aucun doute. Je pourrais certainement, moi aussi, si je m'en donnais la peine, mais les jours de repos sont fait pour... ben, le repos, quoi. Et la piscine du voisin, aussi, de toute évidence.

Pour la police? Le mec a souvent affaire aux flics ou quoi? C'est bizarre quand même, cette histoire. J'espère quand même que le beau mec qui lui sert de petit-ami ne lui tape pas dessus... Je vais devoir surveiller ça de plus près. Il propose que son mec bricole un peu la clôture et... "Euh oui, c'est tout à fait ce que je viens de suggérer..." Enfin, si Tyler est hyperactif, il a peut-être pas du tout fait attention à ce que je viens de lui dire.

Je regarde le chien sauter dans la piscine et nager en cercle, l'air heureux comme tout. Ça me fait sourire parce que je me rappelle mon chien quand j'étais enfant, un caniche hideux et hargneux qu'on avait trouvé abandonné près d'une poubelle et qui détestait l'eau. Tout le contraire de Yuki, en fait. "Le chlore n'est pas bien nocif s'il est bien dosé, mais j'avoue que je sais pas trop si c'est aussi vrai pour les chiens..." J'aime également travailler avec des produits naturels et bio au restaurant, mais pour ce qui est nettoyage et hygiène, je préfère pas prendre de risque et utiliser des produits efficaces qui ont fait leurs preuves. M'enfin, pour une piscine, ça devrait le faire et je prendrais une douche en rentrant. "Vous venez vous baigner aussi?" je demande.

Hadès, le beau-gosse potentiellement violent moins cher que Manuel? J'ai quelques doutes mais bon, après tout, pourquoi pas. Je hausse les épaules. Du moment que le problème est réglé, je m'en fous du comment.

On rejoint le chien au bord de la piscine et Tyler lui sort même un coffre rempli de jouets. Ça va, le toutou a plutôt la belle vie. Je me contente de hocher la tête lorsqu'il m'explique que la petite famille n'est pas vraiment fan des effets du chlore. Çà va pas fondamentalement changer ma vie, moi j'ai juste envie d'aller dans la piscine. Je lui demande s'il nous rejoint et il n'a pas l'air de s'attendre à cette question. Je vais quand même pas me baigner tout seul alors qu'il reste au bord à me regarder...

Pendant qu'il rentre se changer, je plonge dans l'eau dont la température est vraiment parfaite, ni trop chaude ni trop froide, probablement grâce au thermostat. Je fais la planche et ferme les yeux, un léger sourire sur le visage. Tyler finit par revenir, et là je me dis que j'ai beau me trouver trop pâle, je trouverais toujours plus blanc que moi! "Vous faites quoi dans la vie?" je demande, curieux.

"Ah ouais, quand même..." Le mec il dirige une grosse boite, tranquille pépère. J'y connais pas grand chose en informatique ou en jeux vidéos (je joue à Candy Crush sur mon téléphone parfois... Ça compte ou pas?) mais j'ai déjà entendu parler de Carter Corporation. Tyler est pas juste riche, il est très riche. C'est un peu impressionnant quand même.

"Bah euh... moi je suis chef dans un restaurant en ville." C'est moins glorieux, c'est sûr, et j'ai presque un peu honte. "Ma famille est à la tête d'Adele Winery, je sais pas si tu connais... Le plus vieux domaine viticole du Texas. Mais c'est pas trop mon domaine, je laisse mon père et mes frères gérer." Tyler joue avec son chien, c'est mignon. Ça me donne envie d'en avoir un, moi aussi, mais je sais que j'aurais pas le temps ni la patience pour m'en occuper donc ça restera du domaine de l'imaginaire pour le moment.

Il semblerait bien qu'être dirigeant d'une multinationale ne faisait pas non plus partie de ses plans et je me demande bien comment on peut hériter d'une si grosse boite d'un ancien collègue de son mec mais je me contente juste de hocher la tête, ça a l'air d'une histoire compliquée et à la base, je voulais juste faire bronzette, pas écouter les histoires rocambolesques du voisin.

"J'ai pas vraiment de genre de cuisine," je réponds, la voix un peu hésitante. "Je fais de la haute gastronomie mais je m'inspire de plein de pays, plein de cultures différentes. Je suis plus familier avec la cuisine française même si j'aime beaucoup la cuisine japonaise également." J'essaye de ne pas montrer mon étonnement lorsqu'il me dit être japonais. Il n'a aucun trait physique qui aurait pu me le laisser penser. Peut-être un des deux parents, mais il a hérité des gènes du parent blancs... Ou alors il a été adopté. Ou il est né sur le territoire japonais. Je n'ai aucune idée de comment ça fonctionne là-bas. "Le nom du restaurant c'est Maelström sur Red River Street."

Je ris un peu lorsqu'il me dit que son copain s'y connait en vin. "Ah, les français et leur vin, grande histoire d'amour... Ils ont tendance à penser qu'il n'y a qu'eux qui savent en faire mais nous les italiens on se défend plutôt pas mal, je trouve!" D'ailleurs, je sers beaucoup de vins du domaine familial au restaurant, au grand bonheur de mon père.

Et deux clients de plus, deux! Bon, en même temps, c'est pas comme si le restaurant en avait vraiment besoin, c'est tout le temps rempli mais quand même, c'est important de faire sa pub. "Je serais ravi de vous recevoir. J'y suis quasiment 6 jours 7 donc les chances sont plutôt bonnes pour que je sois là quand vous viendrez. Au pire tu me préviens... Et oui, vaut mieux réserver, on a déjà une sacrée file d'attente, on est complet pendant presque 3 mois... Mais je peux m'arranger pour vous trouver une table." Il suffit d'un désistement et hop, le tour est joué.

Le chien n'a pas l'air de comprendre que j'essaye de bronzer et de me reposer mais bon, c'est un chien. Je le regarde aller chercher ses jouer avec enthousiasme. Il finira bien par se calmer. "Tu sais, le vin, je suis plus doué pour le boire que pour en parler..." Je m'y connais un peu, famille oblige, mais je suis bien loin d'être œnologue.

Il me demande ensuite de lui apprendre la cuisine française et... c'est délicat, je ne sais pas comment dire non. Ce n'est pas que je veux pas mais je passe déjà tellement de temps à cuisiner au restaurant que pendant mes jours libres, j'ai pas spécialement envie de passer mon temps dans les casseroles. "Hmmm, j'ai pas vraiment le temps mais je pourrais te filer quelques recettes faciles si tu veux." Le hachis parmentier, la quiche lorraine, ce genre de trucs faciles et inratables à moins d'être un cas désespéré.