Les retours de vacances, c'est toujours un peu compliqué. Après deux semaines paradisiaques passées à Hawaii à oublier tous ses soucis, autant dire que le retour à la réalité est d'autant plus rude. Marlon n'est toujours pas autorisé à reprendre le boulot et ses problèmes ne sont toujours pas réglés. Ça lui fait comme l'impression de se prendre une bonne grosse droite dans la tronche, et un seau d'eau glacée dans le dos pour bien compléter le tout.

Alors il décide de prendre le taureau par les cornes pour pouvoir enfin aller de l'avant. Plutôt que de tenter d'ignorer et d'esquiver, il est grand temps d'affronter ses démons et de demander l'aide d'un professionnel. Enfin... en l'occurrence, une professionnelle. Son nom est revenu plusieurs fois dans la conversation quelque peu gênante mais vraiment instructive avec Tyler, et Marlon a pris rendez-vous par téléphone avant de pouvoir se dégonfler. Il ne pensait pas obtenir une consultation aussi rapidement mais pour une fois que les choses sont en sa faveur, il ne compte certainement pas cracher dans la soupe.

Il ne sait pas si c'est courant de se présenter à ce genre de consultation avec son partenaire mais... aussi intime et embarrassant que ça puisse être, il ne s'imagine pas pouvoir surmonter ça sans son homme à ses côtés.

Le nom du cabinet lui semble bien un peu étrange mais... il fait confiance à son ami. Si Tyler lui dit que Madame MacWhite est compétente, il n'a aucune raison d'en douter. Maintenant qu'il est sur place... Et bien, la salle d'attente et l'atmosphère qui s'en dégagent lui paraissent particulières également mais c'est probablement son stress et son anxiété qui parlent. Seb n'a pas l'air particulièrement perturbé par ce nouvel environnement mais ça ne veut pas dire grand chose, son homme étant imperturbable par environ 99% des choses.

Après quelques minutes d'un silence pesant, pendant lesquelles Marlon imagine environ 17583 scénarios différents pour pouvoir s'échapper, son nom est finalement appelé et il se lève d'un coup, le visage crispé par une peur panique. Trop tard, plus moyen de reculer maintenant...

Marlon n'arrive même pas à répondre lorsqu'on lui demande s'il est bien Mr Ramirez. Sa gorge est trop sèche, son coeur bat la chamade. Non mais qu'est-ce qu'il fout ici, sérieusement? C'était vraiment pas une bonne idée. Et pourtant, il sait que c'est la seule solution. C'est d'ailleurs pourquoi il a pris Seb avec lui, pour ne pas se débiner et s'enfuir comme un lâche. Il n'empêche qu'il n'en mène pas large en entrant dans le bureau, pourtant décoré avec soin, aux couleurs très tendance comme le bleu de prusse et le jaune. Non mais regardez-le, on dirait les pages déco de Marie-Claire...

Après un dernier regard vers le paon empaillé dans le coin, il s'assoie sur le canapé blanc et parvient à se contenir suffisamment pour répondre. "Non merci. Quoique... Un verre d'eau, peut-être." Seb prend sa main dans la sienne et Marlon prend une grande inspiration, se calmant légèrement. Il tente de rendre à la psy son sourire mais ses joues lui brûlent et il s'arrête brusquement, se rendant compte que ça doit être loin d'être naturel. Bon, et maintenant? Est-ce qu'il est sensé raconter sa vie? Attendre qu'elle lui pose des questions? Il a déjà eu à faire avec un psy de la police, mais le mec en avait clairement rien à faire, et Marlon a juste eu besoin de lui dire que tout allait bien (ce qui était d'ailleurs le cas, une blessure à l'épaule n'a jamais tué personne) et là, c'est différent...

Marlon descend le verre d'eau cul sec et se sent immédiatement idiot. Maintenant, son verre est vide et dans le genre 'montre à tout le monde que t'es nerveux', il peut pas faire mieux à moins de mettre un panneau lumineux sur sa tête. Et puis la psy, qui sait, ça se trouve elle va en déduire des choses étranges, ou alors immédiatement noter dans son petit calepin, avec son petit stylo, qu'il a probablement un passé d'alcoolique ou autre vérité gênante dans le style.

Il est bien content quand Seb prend la parole lorsqu'elle demande d'expliciter la raison de leur venue à cette séance. Quelque part, il trouve plus facile de rebondir sur l'explication de son homme plutôt que de parler en premier. "Oui, je..." Il sert la main de Seb en signe de gratitude. "J'ai perdu ma mère l'année dernière, et je pensais gérer mais pas vraiment, en fait. Et puis j'ai aussi perdu un collègue de travail, je suis lieutenant de police et il est mort devant moi, du coup mes supérieurs veulent pas que je reprenne le travail, et j'aimerais qu'on ait un enfant mais Seb estime que je suis pas prêt, alors voilà..." C'est un peu confus et brouillon, et il espère que la remarque sur les enfants ne sonne pas trop comme une accusation, mais il a essayé de tout sortir au plus vite, comme un sparadrap qu'on retire d'un coup sec pour éviter de faire durer inutilement la douleur. Il a répondu à la question, maintenant. Ça lui donne droit à un bon point ou bien?

Elle est navrée. C'est bien, ça lui fait une belle jambe, à Marlon. Lui aussi il est navré. C'est d'ailleurs pour ça qu'il est là. Elle suit par une question qui lui semble un peu idiote. "Ben, euh, oui. Je suis plus émotif, je peux me mettre en colère rapidement pour pas grand chose," répond-il sur un ton pas vraiment très cordial, et il se rend compte lui-même qu'il est en train de démontrer à l'instant même ce qu'il explique.

Elle demande son avis à Seb, qui le lui donne, avant d'évoquer leur vie sexuelle. Marlon est tellement surpris qu'aucun son ne sort de sa bouche. Seb, lui, ne se prie pas pour répondre et Marlon est complètement mortifié. S'il pouvait disparaître entre les coussins du canapé, il le ferait. Malheureusement, toujours pas de super pouvoirs à son âge, c'est mal barré. "Vous voulez pas savoir combien de fois on baise par semaine tant que vous y êtes?" demande-t-il, un poil agressif avant de se lever et de faire les cent pas. "Et bien sûr que ça me blesse. J'ai peut-être du mal à faire mon deuil mais c'est pas pour autant que ça me rend complètement con. On peut pleurer quelqu'un et quand même vouloir un enfant, c'est pas incompatible que je sache." Sa voix part dans les aigus et c'est pas bon signe. Du tout. Il sent son cœur se mettre à battre de plus en plus fort, son souffle se fait plus court et difficile et son front se couvre d'une fine pellicule de sueur. C'est franchement pas le moment ni l'endroit pour faire une crise d'angoisse... Tentant de reprendre le dessus et de se redonner une contenance, il fait face à Seb et le menace de son doigt. "Tu vas la voir très vite, l'influence! Plus de sexe jusqu'à nouvel ordre, tiens, ça va te faire tout drôle!" Surtout après ces vacances à Hawaii, où ils ne se sont pas privés pour s'envoyer en l'air à toute heure de la journée. Mais Marlon est on ne peut plus décidé; à partir de maintenant, c'est la diète sèche. Zéro. Nada. Niente. Zilch.