Zara menait depuis mi-septembre une toute autre vie. Cela lui faisait tellement du bien, de ne plus mettre les pieds à la fac, de ne plus avoir de cours théoriques. Là, elle faisait ce qu’elle aimait réellement : danser, et ça presque tous les jours. Elle évoluait et s’épanouissait vraiment dans son métier. Une chance pour elle d’avoir été repérée pile au moment ou elle voulait tout arrêter…

La blonde marchait joyeusement dans les rues de Downtown, regardant les vitrines dans le but de trouver quelques cadeaux de Noël pour pas trop cher… Finalement, elle se rendit sur la grande place, ou pas mal de choses avaient été installées pour la période des fêtes. Stand de gaufres, de décorations faites mains, d’emballages cadeaux… Il y en avait pour tous les gouts. Après avoir fait le tour, la jeune femme comptait regagner les rues commerçantes, mais l’odeur de la nourriture attira son regard sur un stand. Frites, hot dog, burgers… Et pas mal de monde qui attendait. Il était vrai que cela donnait plutôt envie… Mais Zara devait passer son chemin. Pas question de craquer pour autant de calories…

Mais son regard se posa alors sur une silhouette familière. Silhouette qu’elle avait l’habitude de toujours croiser par hasard. Il semblerait que le destin remette ça à nouveau. Elle se faufila dans la file jusqu’à lui et lui tapota le dos. « Barth ? »

Barth a laissé Bloom auprès de sa maman pour la journée. Zoé a enfin repris des forces et embrasse avec beaucoup d’ardeur son nouveau rôle de mère. L’agent immobilier l’a rarement vu aussi rayonnante d’ailleurs et il s’en réduit. Ils forment une belle petite famille ces trois-là, même s’il n’y a aucune drague ou aucun sentiment entre les deux parents, autre qu’amical du côté de Barth en tout cas.

Il profite donc de sa journée pour faire quelques achats de noël. Il sait que sa fille est bien trop jeune pour avoir conscience de la signification mais il tient tout de même à marquer le coup et pour ça, il faut un sapin de noël, un vrai, et puis des décorations, des boules, des guirlandes et même des clignotantes d’ailleurs ! C’est le sac à dos chargé qu’il croise bientôt un visage familier qui vient de l’interpeler. « Zara ?! Mais ça fait une éternité ! » Ils s’étaient croisés régulièrement à la faculté ces dernières années. Ils avaient même pris quelques repas ensemble à la cafétéria lorsque Barth était l’assistant d’Hendrick. « Comment ça va ? » Il lui sourit, et son ventre gargouille. « T’as du temps devant toi par hasard ? Je m’apprêtais à aller manger si tu veux te joindre à moi. »

L’ambiance de Noël mettait réellement Zara en joie. Elle adorait prendre le temps de choisir des cadeaux pour ses amis. Elle préférait largement offrir que recevoir. Malheureusement elle n’avait pas encore trouvé grand chose. Peut-être qu’aller faire un tour au centre commercial ne serait pas une mauvaise idée…

Voilà qu’elle croisait Barthelemy. Zara lui fit un sourire, consciente qu’ils ne s’étaient pas croisés depuis longtemps. « Carrément ! Tu ne travailles plus à l’université il me semble? » De toute façon, Zara non plus. C’était sans doute pour ça que la dernière fois qu’ils s’étaient vu remontait à si loin. « Ca va et toi ? Quoi de neuf ? » Il proposait à Zara de manger avec lui. La blonde hocha la tête par la positive. « Pas de soucis ! » Mais intérieurement, elle regretta presque instantanément. Son compteur de calories se remettait comme en route. Elle avait conscience que ses vieux démons étaient réapparus. Et comme d’habitude, elle n’allait rien faire pour les empêcher de lui gâcher à nouveau la vie. « Tu restes ici pour les fêtes ? » Demanda t'elle. Barth avait peut-être de la famille à voir en France. Zara, elle, resterait à Austin. Elle était toujours en froid avec sa famille...

Barth fait un signe négatif de la tête, avant de reprendre enthousiaste : « Et non ! Figure toi que je suis agent immobilier désormais ! Je me suis découvert une nouvelle vocation. » Il en rit presque, ce changement complet d’horizon ayant été assez inopiné. Ce n’était pas si illogique par rapport à ses études dans le commerce, sans pour autant être dans le même domaine. Bref, personne n’avait vu ça venir dans son entourage, mais ça a au moins le mérite de lui plaire comme métier. « Et je suis devenu papa aussi, il y a quelques semaines. Une petite Bloom. » Il a plein d’étoiles dans les yeux en racontant cela. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa vie a changé du tout au tout. Il est loin l’étudiant en commerce international… « J’en aurais plein d’autres à te raconter mais ça risquerait d’être long. » Il pense en particulier à ce mariage blanc, au fait qu’il était amoureux d’une femme qui n’a jamais voulu de lui, que la mère de sa fille n’est qu’un plan d’un soir… Sa vie n’est décidemment pas bien stable ! « Oui, je n’ai personne pour garder la petite et la maman est repartie un peu dans sa famille. » Il appréhende un peu de se retrouver seul avec Bloom, et en même temps, il est excité. Ils avancent en direction du food truck qui est seulement quelques rues plus loin. « Et toi alors ? Qu’est-ce que tu deviens ? Dis moi tout. »

Agent immobilier. La grande classe ! « C’est génial, je suis heureuse pour toi ! » En ayant eu sa claque de l’université, Zara comprenait tout à fait que d’autres cherchaient également à en sortir. Elle fut surprise également d’apprendre que Barthelemy soit devenu papa. Elle ne l’avait jamais vu en compagnie d’une femme, mais après tout ils ne se connaissaient pas non plus très intimement. « Félicitations ! Décidément, ta vie a pris une tournure vraiment rapidement ! » Depuis qu’elle était à Austin, Zara avait mené une vie de routine très ennuyeuse. Heureusement, tout avait changé en septembre. Elle allait enfin pouvoir s’épanouir pleinement.

Barthelemy restait ici pour les fêtes. Et la mère de leur enfant était repartie dans la famille. Zara aurait aimé savoir de qui il s’agissait, peut-être une collègue, une autre professeur de l’université ? Mais évidemment, elle ne demanda pas, par politesse. « J’ai quitté la fac moi aussi ! C’est tout récent. Une de mes profs m’a décroché une audition cet été. J’ai été prise, je suis danseuse dans une compagnie maintenant. » Ca ne la rendait pas peu fière. C’était son rêve depuis toujours après tout. Et elle ferait en sorte que rien ne vienne entraver ça. « On est sur Austin pour l’instant mais il n’est pas impossible que l’on parte faire quelques représentations à New York ou ailleurs. Si tu savais comme je suis heureuse ! » Heureuse, mais toujours pleine de pression malheureusement. Zara n’avait jamais su faire taire ses angoisses.  

Les deux jeunes gens semblent avoir chacun une nouvelle vie, pour leur plus grand bonheur et Zara a raison sur un point : tout s’est passé un peu trop vite dans la vie de Barth, même s’il en savoure désormais chaque instant. « Ouais, un peu trop vite peut-être même. » Il se met à rire. Il avait dû revenir de sa formation en immobilier qui se déroulait à Miami, quelques jours en avance afin de pouvoir assister à l’accouchement de Zoé. Heureusement pour lui, son employeur avait très bien compris, venant lui-même d’être papa depuis peu.

« Toi aussi ça se bouscule dis donc ! Tu m’étonnes que tu sois heureuse, c’était ton rêve si je me souviens bien ?! » Ils en avaient discuté à l’occasion, pas très en détails mais assez pour que le brun sache à quel point la danse est une passion pour la belle blonde. « C’est l’occasion de voyager en plus ! Le rêve ! » Barthélémy adore voyager. Il a déjà fait plusieurs pays, mais pas encore assez à son goût.

Ils arrivent bientôt devant le foodtruck. C’est un restaurant ambulant proposant une nourriture assez variée, mais qui se contente de choses rapides tels des frites, des sandwichs, hamburgers, part de pizza, etc. Ca suffit à faire le bonheur de notre agent immobilier. Ils s’installent au bout de la file. Environ 5 personnes sont devant eux. « Ah ça va, il n’y a pas grand monde aujourd’hui. D’habitude, j’attends au moins 30 minutes avant de pouvoir être servi. » Il se met à rire encore à cette anecdote. « Je sais déjà ce que je vais prendre ! Un hamburger poulet fois gras. C’est leur spécialité de fin d’année, un vrai délice ! » Il annonce ensuite.

Son rêve, oui tout à fait. Elle le touchait enfin du bout des doigts, prudemment, ne voulant pas s’emballer trop vite. Le milieu de la danse était stricte, cruel : rares étaient les secondes chances. Une erreur et c’était la porte. Et ça, Zara ne s’en remettrait pas. Elle avait trop donné pour en arriver là. « Oui tout à fait ! » Commenta t’elle gaiement. Elle allait maintenant danser chaque jour et voyager ! Ces voyages seraient sans doute sources de stress puisqu’il y avait des tonnes de répétitions et de spectacles à prévoir derrière mais cela importait peu. Elle s’y ferait. « Eh oui ! C’est génial. »

Ils avancèrent jusqu’au food truck ou Zara commença à s’inquiéter. La vue des frites et des burgers la rendait malade. Tout ce gras… Ca ne respecterait jamais le programme qu’elle s’était fait. Elle allait dépasser son quota et ça ne serait pas rattrapable. Barthélémy savait déjà ce qu’il allait prendre. Zara lui fit un sourire mais cela ne suffisait pas vraiment à gommer son inquiétude. « Ils font des salades ? » Demanda t’elle, priant pour une réponse positive. « Tu sais… Les danseurs peuvent pas vraiment manger tout ce qu’ils veulent. » C’était un peu comme pour le mannequinat. En revanche, cette surveillance à outrance au niveau de sa morphologie n’avait pas vraiment lieu d'être pour Zara. Dans la compagnie, on lui avait répété qu'elle était parfaite. Cette limite, c’était elle seule qui se l’imposait.  

L’homme est tout excité à l’idée de manger un de ses plats préférés du moment, mais ça ne semble pas être le cas de sa voisine, qui s’inquiète pour savoir s’il y a des salades. « J’dois dire que j’en sais rien… Mais je suis pas sûr. » Sur la carte, il y a toute une multitude de propositions, mais Barth n’a jamais vu personne repartir d’ici avec une salade. « Au mieux, y’a quelques tranches de salade dans le sandwich. » Il rit légèrement, loin d’être conscient du véritable problème. « C’est quand même pas un écart qui va changer quelque chose. Fais-toi plaisir, on n’a qu’une vie. » Il tente de se montrer rassurant. Il connaissait très bien Lily et Swann, toutes deux danseuses et jamais il ne les a vu se priver. Bien entendu, elles faisaient un minimum attention à ne pas grossir pour garder la forme, mais pour le reste, elles se dépensaient tellement en répétitions et entrainement que ça roulait tout seul d’après ce qu’il en sait. « J’en connais des ballerines, et je peux te dire qu’elles ne se privent pas, alors ne te mets pas autant de pression, surtout que tu es magnifique ! » Il lui sourit encore. Il repense à leur première rencontre à l’hôpital où ils avaient parlé rapidement des soucis d’alimentation de la jeune femme. Est-ce que ça ne serait pas ça le problème ? Il préfère ne pas tirer de conclusion hâtive, tant qu’il n’en est pas certain.

Elle aurait dû s’en douter. Jamais de salade dans ce genre de trucs. Elle hésita un instant à dire qu’elle n’avait finalement pas faim mais il était trop tard. De toute façon, sa rencontre avec Barthelemy avait eu lieu à l’hôpital il y avait quelques années déjà, alors qu’elle se battait déjà avec ses démons, ses foutus troubles alimentaires. Elle avait été tranquille quelques temps et voilà qu’ils refaisaient surface. Barth avait raison : un écart ne changerait rien au corps de Zara. Ni même son poids. C’était dans sa tête que ça n’allait pas. C’était cet écart auquel elle penserait quand elle serait tentée de se faire vomir. Il lui disait qu’elle était magnifique. Elle ne put s’empêcher de sourire, touchée d’un tel compliment. « C’est gentil… » Autant ne pas lui cacher, de toute façon, il ferait très vite le lien entre ça et l’hôpital, Zara n’était pas dupe. « J’ai des troubles du comportement alimentaire. C’est pour ça que je suis aussi… » Elle ne savait pas comment finir sa phrase : folle ? stupide ? Tout collait finalement. Elle osait enfin mettre un nom sur ses problèmes et les assumer. Ce fut à leur tour de commander. Prenant une grande inspiration, Zara prit son courage à deux mains : « Un sandwich fromage et crudités. Sans beurre ni sauce. » C’était déjà exceptionnel. Elle se tourna vers Barth avant qu’il ne commande à son tour « C’est déjà une petite victoire… » Elle regretterait sans doute après coup mais autant ne pas y penser tout de suite.  

Barth se sent mal en apprenant pour les troubles alimentaires de la jeune femme. C’est comme si une partie de lui se sentait coupable de ne rien avoir vu pendant toutes ces années, bien qu’ils ne soient pas assez proches pour qu’il ait à ressentir ça normalement. Finalement, il n’a pas le temps de répondre convenablement qu’on leur demande ce qu’ils souhaitent commander. Sortant de sa stupeur, le français débite le nom du burger dont il a parlé juste avant, ainsi qu’une grande barquette de frites, sauce ketchup et moutarde pour accompagner le tout. Puis, il hoche la tête lorsque sa partenaire lui indique que c’est une petite victoire, ne pouvant cependant pas s’empêcher de penser que son sandwich allait être bien sec et pour ainsi dire immangeable. « Je suis désolé. Je ne savais pas… » C’est ce qu’il trouve enfin le courage de dire alors qu’ils s’éloignent un peu, le temps d’attendre leur commande, et notamment le burger de monsieur qui chauffe. « Ça fait longtemps ? Tu veux en parler ? » Elle lui aurait annoncé être atteinte d’une maladie incurable que sa réaction aurait sans doute été la même. Il faut dire que Barth n’a jamais été très doué pour faire face à ce genre de situation, lui qui a pourtant un savoir être plutôt hors du commun. « Et tu… ça se caractérise comment ? » Parce que des troubles alimentaires, rien que le terme englobe tout un tas de possibilités que le brun tente d’énumérer dans sa tête. On lui tend bientôt son repas et ils peuvent alors se diriger vers une table de pique-nique libre, mise à disposition.

Zara avait lu dans le regard de Barth ce qu’elle détestait voir chez les gens : de la pitié, de la désolation. C’était bien pour ça qu’elle taisait tous ses maux, toutes ses peines, préférant tout affronter seule. Ca rendait le combat difficile, mais néanmoins pas impossible. Il s’excusait, il ne savait pas. Zara lui fit un sourire. « Tu n’as pas à t’excuser. Personne ne sait. » A part Nathan Wilson, un de ses anciens professeurs qui avait fuit il y a bien longtemps après que leurs sentiments se soient un peu emballés. « Ca a commencé quand je suis arrivée à Austin. Ca faisait longtemps que ça n’était plus arrivé. C’est depuis que j’ai quitté la fac que c’est revenu… » En fait, le stress était un peu la principale cause de ses troubles. Cette foutue peur de ne pas être à la hauteur, et de vouloir se venger sur son corps. Cette foutue idée préconçue qu’en danse, il fallait être parfait ou du moins viser la perfection. Il demandait comment ça se caractérisait. Zara ne répondit pas tout de suite, leurs plats étaient prêts et elle n’avait pas vraiment envie que tout le monde entende les détails glauques. « Ca dépend… J’ai comme un compteur de calories dans ma tête. Parfois c’est la privation, parfois c’est… Pire. » Se faire vomir. Mais elle n’osait pas prononcer le mot alors qu’ils s’apprêtaient à manger. « On devrait parler d’autre chose. Ca va aller Barth, t’en fais pas ! »  

Barth aquiesce de la tête, peut-être un brin maladroitement. C'est toujours difficile de savoir comment réagir face à ce type d'annonce, mais il comprend rapidement qu'il ne vaut mieux pas qu'il pose plus de questions, malgré qu'il en meurt d'envie, évidemment. Ils prennent leur sandwich et s'éloigne de la foule avant de rejoindre un petit parc non loin. Ils s’assoient là sur un banc et continue leur conversation, tout en mangeant. Le français ne peut pas s’empêcher de regarder le rictus qui précède chaque bouchée de son amie. Ca a l'air d'être un véritable combat au jour le jour et il se dit alors, que même si aujourd'hui, il n'a aucune arme pour l'aider, il sera là pour elle au long de son combat.