Cela fait un bout de temps que je ne suis plus dans les forces de l'ordre maintenant, mais pourtant, je ne peux m'empêcher de me rendre dans des lieux comme le Blazer Tag. Cette fois-ci, je m'y étais rendu avec quelques collègues de la caserne, laissant mes jumeaux entre les mains de leur nounou. Ils sont encore trop jeunes pour que je les initie à ce genre de pratique. Je me sens revivre à chaque fois que je me retrouve avec une arme dans les mains, même si c'est juste pour le fun. J'aime mon métier de secouriste, mais je dois bien admettre que celui de flic me manque. Malheureusement, je ne peux en parler à personne sans prendre le risque de me mettre en danger. Moi et ma famille. J'ai déjà perdu ma femme. Je refuse que cela recommence. Pourtant, le danger n'est pas loin. Je n'en ai pas encore conscience. Soudain, je suis touché à l'épaule. Même s'il s'agissait de bille, la violence du choc était telle que je me retrouve au sol. Lorsque je lève les yeux, je l’aperçois. Nan, c'est pas vrai ! Je dois rêver ! Pire, c'est un cauchemar ! Je garde l'espoir qu'il ne m'a pas reconnu. Mais cela ne dure pas. Lorsqu'il s'approche de moi, j'ai un instant de panique. Pourtant, je ne ressens pas la menace, même si j'ai peur. Pas pour moi, mais pour mes enfants. Je ne supporterais pas qu'il leur arrive quelque chose. Je sens que mon cerveau tourne à plein régime pour trouver une raison à ma présence ici. Naturellement, il sait qu'à l'époque où l'on se côtoyait, je n'étais celui que je prétendais être. Un peu comme aujourd'hui au final.

Je finis par me relever alors qu'il me demande si je suis toujours connu sous le nom de Steeve. J'esquisse un sourire.

« Salut Cayden. La police s'est finie pour moi, j'ai pris ma retraite. Je profite d'une petite vie calme et tranquille. »

J'improvise totalement. Je ne pouvais pas nier et faire celui qui ne comprenait, lui faire croire qu'il faisait erreur. Cela manquait de crédibilité. Ma seule chance venait du fait qu'il n'appartenait pas au cartel que j'avais infiltré à l'époque. Peut-être que l'information ne leur parviendrait jamais. Je préfère changer de sujet.

« Et toi? Tu es bien loin de la Californie? »

Ma voix est plutôt chaleureuse, mais je dois bien avouer que l'angoisse me vrille les intestins. Je ne peux m'empêcher de penser à mes petits garnements qui m'attendent à la maison. Je sais bien que ce n'est pas lui qui ira me faire la peau, mais il pourrait très bien le faire savoir à ceux qui voulaient ma tête.

Je ne suis pas certains qu'il me croit quand je lui annonce que j'ai pris ma retraite des forces de l'ordre. De toute manière, je m'en fous. Je n'irais pas le balancer, je n'ai rien contre lui. Il n'en serait pas de même pour l'homme qui a commandité le meurtre de ma femme. Celui-là, je serais certainement déjà allé le tuer de mes propres mains s'il n'y avait pas les jumeaux. Du coup, je fais comme si de rien n'était et continue sur le ton de la conversation, prenant des nouvelles à mon tour. Il m'explique qu'il a voulu changer d'air, mais qu'il a toujours des contacts. Mon intuition me dit qu'il s'agit là d'une menace à peine voilé. Mon cœur se sert. Maintenant que les jumeaux vont à l'école et que j'ai pris mes marques à Austin, je n'ai pas envie de voir tout bousculer à cause de ce fichu retour d'un fantôme de mon passé. Mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur cette information, car déjà, mon interlocuteur m'annonce qu'il est courant pour ma femme et me demande comment je m'en sors ainsi que les enfants. Pourquoi s'intéresse-t-il autant à mon état mental ?

« Les nouvelles circulent à ce que je vois. Cela ne m'étonne pas vraiment cela dit. J'imagine que ca à bien du jubiler dans le milieu quand ils l'ont appris. »

Je pousse un soupire avant d'ajouter :

« Pour les jumeaux, ca ne va pas trop mal. Ils n'avaient même pas un an quand leur mère a été tuer. Mais ils commencent à me poser des questions. Et ce n'est pas évident de leur expliquer. Quant à moi, elle me manque toujours autant. Mais j'avance. C'est pour mes garçons que je tiens le coup. »

Je sens que mes poings se serrent à en faire blanchir mes jointures alors que je commence à m'étaler un peu trop sur le sujet. Cela va faire cinq ans que ma femme n'est plus là et pourtant repenser à tout cela fait toujours naître une rage en moi. Le besoin de vengeance qui m'a hanté pendant des mois après le drame me revient en pleine face, comme un boomerang. Je n'avais pas ressenti cela depuis des lustres.

« C'est sympa de t'en inquiéter, mais faut mieux éviter le sujet. Je risquerais de perdre le contrôle et j'aimerais éviter que mes collègues ne voit ce mauvais côté de ma personnalité. J'ai déjà assez d'emmerdes au taf avec mon impulsivité, je ne voudrais pas en rajouter. »

Je tente d'esquisser un sourire, mais en vain.

« On ferait bien de ne pas rester planté si on ne veut pas se faire mitrailler. »

Un frisson que je ne peux contrôler me parcourt la colonne vertébrale quand mon interlocuteur me confirme que les cartes sont une grande famille même s'ils sont concurrents et qu'ils ne sont pas prêt de lâcher l'affaire tant que je ne serais pas six pieds sous terre. L'image de mes garçons s'impose à mon esprit quand il me met en garde. Il a raison. Je dois prévenir qui de droit afin de m'assurer que les jumeaux ne risquent rien. Pour ma part, je me débrouillerais seul. Jamais je n'aurais imaginé que ma vie prenne une telle tournure quand je suis entré dans la police. Ceci dit, je ne pense pas que le savoir m'aurait fait changer d'avis. Travailler pour le lieutenant Chambers, dans cette unité si particulière, passer cinq ans de ma vie dans la peau d'un autre a été une expérience qui m'a fait grandir dans un sens. Et je dois admettre que sans cela, je n'aurais jamais connu Maeve et je n'aurais pas deux enfants pour illuminer mes tristes jours. Cela m'évite d'avoir des regrets malgré les conséquences dramatique de cette période de ma vie et le risque que cette rencontre pourrait me faire courir à nouveau. Je ne peux retenir un rire sardonique quand il déclare que je suis un type bien.

« Attends que je tombe sur la main de celui qui a tué ma femme et crois moi que je ne le resterais pas. Sans mes enfants, il y a longtemps que je serais partie faire une expédition pour me venger. Même si cela devait me coûter la vie. »

Un jour, quand les jumeaux seront des hommes et qu'ils n'auront plus besoin de moi, je le ferais. Après tout, on dit bien que la vengeance est un plat qui se mange froid non ? La mienne sera glaciale et sanglante ! Jamais je ne lâcherais l'affaire. Mon interlocuteur m'annonce que la partie est finie et que j'étais le dernier homme à abattre. Pris dans le jeu, je ne m'en étais pas rendu compte.

« Décidément, il faut que j'arrête de venir avec mes collègues. Ils ne sont franchement pas doués. »

Je me déleste de mon équipement avec un certain soulagement. Je dois avouer que cela fini par peser même si je suis assez bien bâti. Je refuse d'un mouvement de la tête la cigarette qu'il m'offre.

« Je respire assez de fumée dans mon boulot merci. »

Bon d'accord, je ne vais pas au feu, mais je me retrouve souvent suffisamment près d'eux pour inhaler les particules qui s'en échappent. Mikkel ? Le nom me parle vaguement. Mais je n'ai pas de souvenirs précis. Je lui donne une tape amicale sur l'épaule en esquissant un sourire.

« Je te remercie de m'en informer. Je tâcherais de rester prudent. »

Même si dans mon ancienne vie on était plutôt proche. Je trouvais quand même cela bizarre qu'il soit aussi prévenant et qu'il m'informe de ce genre de détails.

« Pourquoi tu es aussi sympa ? Je veux dire, tu devrais me haïr pour se qu'il c'est passé. »

« Rester le même ».

Ces mots résonnent bizarrement en moi. Suis-je vraiment le même qu'à l'époque ? Certainement pas. Bien que je n'ai pas radicalement changé non plus. C'est sûrement dû au fait que mes priorités ont changé depuis le temps. Mais étrangement, les paroles de mon interlocuteur me réchauffent un peu le cœur. Il a l'air de parfaitement faire la part des choses entre ce que je suis et ce que je faisais à l'époque. Ils sont rares les membres de gangs qui réfléchissent ainsi. J'ai finalement un peu de chance d'être tombé sur lui et pas sur un autre qui aurait une vision différente des choses. Je reste malgré tout méfiant pour la suite. Si Cayden m'a retrouvé, même par hasard, dieu seul sait se qui peu encore me tomber sur le coin du nez. Cela serait quand même cruel de la part du créateur de me mettre encore à l'épreuve. Je n'ai jamais été croyant, mais quand même, il y a des limites à l'acharnement du destin. Sans la présence des jumeaux, j'aurais peut-être pu croire que j'étais né sous une mauvaise étoile. Je ne peux m'empêcher de rire légèrement lorsque je l'entends comparer tout cela au jeu du cow-boy et des Indiens. Je ne peux m'empêcher d'avoir l'image de mes deux garçons dans leurs déguisements lors de leurs séances de jeux qui se court après. Finalement, est ce que tout cela se résumait à cette simple image ?

« La lutte éternelle du bien contre le mal, de la lumière contre les ténèbres, du gendarme et du voleur. Finalement, il n'y a rien de nouveau dans tout cela. Mais je trouve cela sympa de voir que malgré tout, on peut parfois se rapprocher suffisamment de la ligne pour oublier un peu tout cela. »

Alors qu'on discute, je me rends compte qu'un de mes collègues me fait un signe pour me dire que certains d'entre eux s'en vont. C'est vrai qu'ils doivent prendre leur tour de garde. L'avantage d'être secouriste, c'est que mes gardes sont plus courtes, mais plus nombreuses. Je lui réponds par un signe de tête, sachant pertinemment que je le reverrais dans vingt-quatre heure avant de porter de nouveau mon attention sur mon interlocuteur.

« Je t'offre un truc à boire ? Histoire de parler de chose plus gaie... Après tout, c'est ce que font de vieux potes qui se retrouvent non ? »

Je ne sais pas vraiment pourquoi je lui ai proposé de boire un verre. Une question de politesse sans doute. J'ai bien conscience que plus je passe de temps en compagnie de Cayden et plus je prends le risque de me faire repérer, de mettre mes enfants en danger et ceux qui me sont devenu proche avec le temps. Je n'ai pas envie de vivre un nouveau drame. Je me sens déjà assez coupable comme cela. Sa remarque sur le fait qu'il n'est pas le temps de perdre son temps me fait sourire. Je prends le morceau de papier qu'il me tant sur lequel il a gribouillé son numéro de téléphone avec un hochement de tête.

« Je n'y manquerais pas. »

Répondis-je machinalement avant que mon interlocuteur ne disparaisse. Sans vraiment y faire attention, je glisse le papier dans ma poche avant d'aller rejoindre mes collègues qui sont rester prendre un verre. Je ne pense pas que je l'appellerai un jour. À moins d'avoir un énorme problème... Seul le temps nous le dira. Quoiqu'il en soit mon coéquipier, me tape amicalement sur l'épaule et me demande ce que je veux boire, me ramenant à l'instant présent. Rapidement, je finis par oublier ce rapide retour de mon passé pour me mettre dans l'ambiance potache qui règne.