C'est toujours un peu triste, le départ de colocataires. Enfin, tout du moins, le départ de colocataires qu'on aime bien. Mais Tristan essaye de prendre les choses avec philosophie, se répétant que toutes les bonnes choses ont une fin et que ce n'est pas parce que Kristen et Kyle sont partis qu'ils ne resteront pas en contact. Et puis, c'est le début d'un nouveau chapitre. L'occasion de rencontrer de nouvelles personnes, de vivre de nouvelles aventures.

La petite annonce à peine postée sur internet et sur différents panneau à l'université qu'ils ont déjà une demande. Maria n'a pas le temps de s'en occuper, c'est donc à Tristan qu'incombe la responsabilité de faire passer un entretien à ce jeune homme de 30 ans qui a immédiatement demandé à le rencontrer. L'avantage d'être doctorant, c'est qu'on peut gérer son temps comme on veut, une fois les heures de cours assurées. Lorsqu'il ouvre la porte, il tombe sur un mec terriblement nerveux, tout rouge et qui parle beaucoup. Mais vraiment beaucoup. "Oui, c'est bien moi," répond-il passant outre la maladresse sur son nom de famille. Les noms polonais, c'est jamais évident pour les gens qui n'en ont pas l'habitude.

Il écoute patiemment son interlocuteur se présenter et lui raconter un peu sa démarche, tout d'un bloc, sur le pas de la porte. Il est un peu confus par le changement de nom mais c'est pas bien grave, les éclaircissements peuvent attendre. Non, ce qui le fait tiquer, c'est la solitude apparente du jeune homme et ça lui brise le cœur. C'est qu'il est sensible, Tristan, et il a presque envie de prendre l'inconnu dans ses bras et lui dire que tout ira bien. Mais comme il a quand même conscience des règles et conventions de la société, il se contente de l'inviter à entrer. "Enchanté Louis. Pour l'instant on est que deux à vivre ici, mais on espère être quatre bientôt. Proprio du Drive In, c'est cool, j'y suis allé quelques fois avec des amis mais comme j'ai pas de voiture, c'est compliqué..." Animateur radio, c'est cool aussi. Il y a pensé un moment, quand il vivait à Los Angeles, mais...

Tristan le guide jusqu'à la cuisine, où il l'invite à s’asseoir sur un des tabourets hauts qui bordent le plan de travail. "Un café, un thé? Une bière?" Histoire de se mettre un peu à l'aise avant de passer aux choses sérieuses. Non pas qu'il ait des questions très compliquées mais il en a quand même préparé quelques unes, parce qu'on ne peut quand même pas accepter quelqu'un comme ça, juste sur un coup de tête et un feeling positif.

Certes, avoir une voiture n'est pas obligatoire pour accéder au Drive In. Mais c'est quand même bien mieux, pour être bien confortable, pour mettre la clim quand il fait trop chaud, le chauffage quand il fait trop froid, pour pouvoir embrasser son ou sa partenaire du soir sans se faire repérer 8 kilomètres à la ronde. Mais ils ne sont pas la pour parler de ça donc Tristan se contente de hausser les épaules en laissant entre le potentiel colocataire.

Le feeling positif commence légèrement à s'estomper à la demande bizarre de Louis. Dans le meilleur des scénarios, il a un sens de l'humour très particulier que Tristan a du mal à saisir. Dans le pire des cas, eh bien... c'est le mec le plus relou du monde. Du chocolat pas trop chocolaté, sérieusement? Et puis qui a de la poudre d'amande chez lui? Ne parlons pas des chamallows. Tristan lui renvoie un sourire un peu figé, s'affairant à préparer un chocolat chaud des plus normaux.

Les choses se gâtent encore plus lorsque l'animateur radio se met à poser des questions et à faire des remarques toutes plus déplacées les unes que les autres et Tristan sent la moutarde lui monter au nez. Non mais quel mufle! Pour qui est-ce qu'il se prend? Tristan ne comprend juste pas ce qui est en train de se passer, n'imagine pas une seule seconde que l'homme est en train de le faire tourner en bourrique pour des raisons plus obscures et improbables qu'un scénario de sitcoms dont sa coloc' est si friande. "J'avais pourtant bien précisé dans l'annonce qu'on cherchait quelqu'un de sérieux," fait-il en fronçant les sourcils, posant la tasse de chocolat devant Louis de manière plus brutale qu'il ne l'avait prévue. Il a également préciser rechercher quelqu'un de sociable, et Louis semble l'être mais... un peu trop, peut-être.

Non. Non, cet horrible individu ne peut pas être sérieux. Et pourtant... Tristan doute. Quoiqu'il en soit, c'est tout bonnement inacceptable. Louis ne sera jamais, ô grand jamais, leur nouveau colocataire. Tristan aimerait bien le mettre à la porte mais il y a quelques petits problèmes avec ce plan:

a) Il a beau frôler le mètre quatre-vingt-dix, il n'est pas plus épais qu'un brin d'herbe et la force d'un mollusque en fin de vie. Si confrontation physique il devait y avoir, il se ferait allonger en moins d'un dixième de seconde.
b) Même s'il avait la carrure de The Rock, ce n'est tout simplement pas dans son tempérament. Lui qui évite la confrontation comme la peste, il ne sait pas quoi dire, ni faire, pour se débarrasser de cet odieux personnage.
c) Ça serait gâcher un chocolat chaud, et il déteste le gaspillage alimentaire. Bon, d'accord, cette raison ne tient pas vraiment la route.

Quand Louis se lance dans une séance de lamentation sur les gens qui le quittent, Tristan crève d'envie de lui dire qu'il les comprend parfaitement, ces braves inconnus, qu'il en ferait de même s'il le pouvait, malheureusement ils sont dans sa maison. "Vous avez bien compris, en effet. Je crains que vous ne deviez rester tout seul dans votre appart encore un bon moment," se contente-t-il de dire. Il n'ira pas jusqu'à espérer que Louis se tire une balle, comme il l'a précédemment mentionné, mais quoiqu'il arrive, ce n'est de toute façon pas de son ressort.

Comment peut-il vivre tout seul dans son appartement s'il a une fille, d'ailleurs? Qui est en âge de faire la cuisine et le ménage? Est-ce une fille dans le sens familial ou...? Il n'a pas vraiment envie de le savoir, tout bien considéré, mais il se demande s'il ne devrait pas appeler les services sociaux pour vérifier quand même.