Galates, chapitre 6, verset 7 : "L'homme récoltera ce qu'il a semé"

Non pas que Tristan soit grand adorateur de la bible, c'est même le contraire, mais il est plutôt d'accord avec ce principe. Quand tu es un connard qui aime foutre la merde, tôt ou tard, ça te retombe sur le coin du nez comme dit sa mère, et le poivrot qui fait une scène devant le food truck ne fait pas exception à la règle.

Alors que Tristan sort tout juste de l'université pour se rendre au Byzantium Theater pour y rejoindre des amis, chevauchant son fidèle destrier plus communément appelé vélo, il passe à côté d'une petite place où quelques food trucks servent des repas tous plus appétissant et originaux les uns que les autres aux clients de Downtown. Il entend bien un homme vociférer à propos de jambon, mais focalisé sur la route, il n'y prête pas plus attention que ça.

Jusqu'à ce que la roue avant de son vélo se décroche sans crier gare. Par une pirouette qui tient du véritable miracle, Tristan parvient à ne pas se ramasser et à garder l'équilibre, le restant de son vélo entre les jambes, alors que la roue fugueuse vient finir sa course dans la tête de l'ivrogne qui se retourne avec un air proprement scandalisé, et s'en va sans demander son reste avant même que Tristan n'ait le temps de réaliser ce qu'il vient de se passer et de venir s'excuser. Appelez ça comme vous voudrez : karma, providence, intervention cosmique...

Déposant la carcasse de sa vieille bécane sur un coin d'herbe, il s'approche pour venir récupérer sa roue. "J'espère quand même qu'il n'est pas parti sans payer," dit-il un peu penaud à la demoiselle qui travaille dans le food truck et qui a l'air aussi choqué que lui.

Vu sous cet angle... C'est pas plus mal que le pauvre diable qui s'est pris sa roue en pleine tête soit parti sans rien avoir consommé, au moins il ne risque plus de faire fuir le reste de la clientèle. Mais quand même, Tristan se sent un peu penaud, ça aurait pu être bien plus grave. Et puis, il se retrouve avec un vélo sans roue. Un peu compliqué de se rendre au cinéma, dans des circonstances pareilles.

La blondinette qui fait le service dans le food truck en descend, pour retrouver et lui tendre sa roue avant de disparaître aussi vite qu'elle n'est apparue et... C'est bien sympa, mais c'est pas le Saint Esprit qui va miraculeusement réparer tout ça.

La roue en main, il fait le tour du camion à son tour, sans trop savoir s'il a le droit ou pas, mais bon, c'est pas une propriété privée, ça reste une place publique pour laquelle les restaurateurs doivent demander une autorisation à la mairie, donc ça devrait pas poser problème, normalement. "Dites, vous auriez pas une clé de 12 par hasard?" demande-t-il, et... qu'est-ce qu'elle fait assise par terre, contre la roue, la main sur les yeux? Ce n'est que trop tard que Tristan comprend que non, la demoiselle n'est pas en train de prendre sa pause cigarette, mais qu'elle est en train de pleurer. C'est très gênant et il ne sait pas trop comment réagir. Il a l'impression de se voir lui-même en train de déprimer, à la BU, quand sa thèse n'avance pas comme il le souhaite et que la pression se fait trop forte. "Ouais euh... Oubliez, c'est pas grave, je vais juste..." Il fait un signe de sa main pour montrer qu'il retourne de l'autre côté, sans trop savoir si elle le regarde ou pas, s'enfuyant un peu lâchement sans demander son reste.

Ça ne change rien à sa situation, cela dit, il se retrouve toujours avec un vélo qui ne peut pas rouler, et son estomac commence à gargouiller. Maintenant qu'il y pense, des tapas, ça pourrait être sympa, et la queue s'est drôlement raccourcie depuis tout à l'heure. Alors il prend place, et attend son tour. Consommer pour rattraper un peu la clientèle qu'il a fait fuir, c'est la moindre qu'il puisse faire, non?  

Après ce moment très gênant, Tristan s'attend à moitié à ce que la demoiselle et lui s'ignorent poliment si elle refait son apparition dans le camion avant qu'il ne soit servi. Mais non, la voilà de retour pour lui demander si c'est bien lui qui a besoin d'une clé de 12, sans toutefois savoir à quoi ça ressemble. Pour être tout à fait honnête, il n'en est pas bien certain lui non plus, il sait juste que c'est l'outil dont il a besoin pour réparer sa roue, se remémorant le moment passé au garage à vélo il y a quelques mois de ça pour le même problème. Maintenant qu'il y pense... C'est peut-être à cause de ce garage et d'une roue mal serrée qu'il l'a perdue sans raison aucune aujourd'hui.

Il n'a pas le temps de répondre qu'elle est déjà repartie, après lui avoir ordonné de ne pas bouger. "Euh... ok," répond-il un poil trop tard, haussant les épaules. Quelle journée bizarre. La demoiselle (Lizzie, s'il a bien entendu le prénom prononcé par le patron du foodtruck) revient quelques minutes plus tard, posant une lourde caisse à outils en métal sur une table juste à côté. "C'est gentil, merci..." Reste plus qu'à espérer qu'il arrive à reconnaître la fameuse clé en question, au risque de passer pour un abruti. Elle lui propose de passer commande et Tristan lève le regard pour la 15ème fois sur le menu affiché en l'air. Le thème du jour, c'est le Mexique. "Euh... Je vais prendre un burrito avec riz, haricots, porc effiloché et fromage s'il vous plaît." Il ouvre alors la boite et commence à fouiller, les sourcils froncés, prenant l'air de quelqu'un qui s'y connaît.

Tristan fait une grimace quand il entend la voix du boss gronder mais la demoiselle (Lizzie... diminutif d'Elizabeth? D'Isabelle?) n'a pas l'air très inquiète de la menace proférée, bien qu'elle ne perde pas plus de temps à le rejoindre à l'intérieur du camion pour reprendre son service.

Pendant ce temps, il continue de chercher, sortant une clé triomphalement avant de se rendre compte que si c'est bien le bon type de clé, la taille n'est elle pas du tout adaptée... Raté. Il continue de chercher sans trop se décourager, finissant par trouver ce dont il a besoin pas longtemps après. Il s'apprête à commencer les réparations lorsque la jeune femme revient avec sa commande. Son premier réflexe est de penser "déjà" mais à vrai dire, il n'a pas fait très attention au temps qui passe. Pas sûr qu'il arrive à temps au ciné, même s'il est parti super à l'avance, comme d'habitude. Il devrait peut-être envoyer un SMS, pour prévenir...

La gentille Lizzie lui a ramené un soda en plus de sa commande, offert par la maison en plus! Enfin... offert par elle-même, le fameux Sergie n'étant pas au courant. "Motus et bouche cousue," chuchote-t-il à son tour, faisant mine de fermer sa bouche à clé, et de jeter la clé au loin comme l'andouille qu'il est. Puis il brandit fièrement la clé de 12 tant recherchée et hoche la tête. "Oui, j'ai trouvé ce qu'il faut. Ça devrait aller vite. Je vous dois combien, au fait? J'ai pas fait très attention aux prix," avoue-t-il en montrant le plateau de la tête, avant de faire de la place sur la table pour qu'elle puisse le poser. Non pas que ce soit très lourd, mais quand même.

Un coup d’œil sur le ticket de caisse et cest plus cher que le Chipotle habituel mais il fallait s'y attendre, et la première bouchée de ce fantastique burrito lui confirme que ça vaut bien son prix. La bouche pleine, s'efforçant de ne pas faire de bruit obscène alors qu'il savoure son repas, il lève son pouce pour répondre à la question de la jeune femme. Le soda, il n'en boit plus tant que ça, parce que trop de sucre ça ne lui réussit pas, mais de temps en temps, il apprécie énormément. Coca, 7up, Mountain Dew, Dr Pepper... il aime à peu près tout.

Une petite gorgée et... "Ah oui, je veux bien, ça sera plus facile en effet!" Parce que bon, Tristan n'est pas complètement manchot des deux mains mais on ne peut pas non plus dire que c'est un as du bricolage et de la mécanique non plus, alors une paire de mains en plus ne sera pas du luxe. Clé de 12, check. Assistante, check. Il s'essuie la bouche et brandit l'outil tant utile. "Moi c'est Tristan, enchanté! Bon, normalement ça devrait pas prendre plus de 30 secondes." Normalement. Mais avec sa chance légendaire...

Il se baisse et se met au boulot. Tout se passe pour le mieux et en deux temps trois mouvements, son vélo est comme neuf. "Aaaah trop bien, ça m'évitera de devoir appeler un taxi!" Un coup d’œil à son poignet, il a encore le temps de rejoindre ses amis et de ne pas rater le début du film s'il se dépêche un peu. Peut-être même qu'il pourra voir une bande-annonce ou deux! Mais avaler un burrito tout rond c'est pas la meilleure idée du siècle non plus. Tant pis pour les bande-annonces, il peut bien prendre 5 minutes avant de reprendre la route.

Tristan hausse les épaules lorsqu'Elisabeth mentionne les frais du repas. "Oh ben, faut bien manger hein. Et ce que j'ai dépensé ici, c'est toujours ça que je dépenserai pas en cochonneries au cinéma." Quoique... il n'a pas encore terminé son repas, pourtant bien copieux, que son esprit divague vers le choix de crèmes glacées Ben & Jerry's qu'il affectionne tant. Il essaye d'être sérieux et raisonnable la plupart du temps, mais on ne sait jamais. Il se laissera peut-être tenter quand même.

Il regarde ses mains quand elle lui fait remarquer qu'elles ne sont pas très propres mais c'est rien de bien méchant. Ça attendra un peu. "Je les laverai en arrivant, je risque de me salir encore sur le chemin." Qui sait ce qui peut bien se passer? Avec sa chance légendaire, rien n'est exclus. Et puis, du gel hydroalcoolique, ça nettoie pas grand chose en vrai. Pas très subtilement, elle enchaîne sur de la pub pour sa soirée dans un club de jazz. C'est amené assez maladroitement, et quelqu'un d'autre que lui aurait pu penser qu'elle le prend un peu pour un pigeon, mais Tristan devine bien qu'elle n'a pas de mauvaises intentions en l'invitant à passer la voir. "Pourquoi pas! Je vais demander à ma coloc si elle est intéressée, elle est nouvelle en ville, ça serait l'occasion de lui faire découvrir un peu du pays!" répond-il alors, en espérant ne pas oublier de demander à Alpha en rentrant. Après 3 heures de super-héros qui se tapent sur la gueule, c'est pas certain mais il finira bien par s'en rappeler en temps voulu.

Il termine son burrito en deux bonnes bouchées, et se relèche même les doigts, même s'il sait très bien que ça se fait pas en public, d'autant plus devant une demoiselle. Mais c'est plus fort que lui, c'est vraiment trop bon. "Vous direz à Sergie que c'était vraiment très bon, et pourtant, la concurrence est rude à Austin!" La cuisine Tex Mex, au Texas, c'est une histoire sérieuse, et encore plus à Austin, mais le cuistot s'en sort vraiment avec les honneurs. "Je vais devoir filer, si je veux pas rater le début du film! Le Lenny's, hein?" demande-t-il en enfourchant son vélo, prêt à repartir. Manque plus que le jour, et il fera de son mieux pour faire un tour dans ce bar qu'il n'a jamais fréquenté pour le moment.