Je ne suis pas passée au refuge, depuis ce qui me semble une éternité. Pourtant, cela ne fait qu'une semaine, mais c'est vrai que j'ai un peu moins de temps maintenant, et que j'ai laissé ces pauvres petites bêtes en plan ainsi que les équipes bénévoles. Je m'en veux, et même si on m’accueille à bras ouverts sans me juger ou me porter rancune, je me sens très mal.

Alors je mets les bouchées double, même si cela ne rattrapera pas le temps perdu, et quand William arrive, le président de l'association qui gère le refuge, pour me dire de faire une pause, je suis toute pleine d'eau, après avoir fait la toilette d'un joyeux Terre-Neuve, choupette. Autant dire que je fais peine à voir. Je me fais sécher un peu au soleil, t-shirt et short compris, devant la grille du refuge, refusant de réellement rester inactive. Au moins je pourrais accueillir les gens d'ici, quand il en passe quelques uns. En plus, je savais qu'une vétérinaire arrivait toujours à cette heure-ci, donc c'était une raison de plus pour la cueillir et lui donner quelques infos importantes que je n'avais pas encore réussi à fournir à William.

Une personne arrive enfin, et je m'avance, vers la jolie brune qui s'approche de la grille:

-Bonjour Madame Bradley... Oh pardon, vous n'êtes pas Madame Bradley... Au loin, j'ai cru que c'était vous...

Il faudrait que tu songes à faire réviser ta vue ma petite. Bon, il faut dire que la main sur le front pour me couper les rayons du soleil dans les yeux ça ne m'aide pas, parce que j'ai naturellement oublié de mettre mes lunettes de soleil, sinon, ça serait pas drôle, par une chaude fin de journée.

Plus je vois la jeune femme avancer, et plus je ne peux que m’en vouloir de m’être trompée. La femme est jolie, bien plus jolie que notre vétérinaire qui est jolie aussi mais la jeune femme dégageait ce petit charme en plus. Bref, en réalité on n’aurait pas pu confondre, c’était deux types de beautés différentes.

Je glousse un peu à son trait d’humour sans répliquer à ça, du coup, puis lui souris avec chaleur :

-Ouip, j’aide un peu ici, dés que je le peux. Je m’appelle Morrigan !

Quand j’entends qu’elle a des affaires qui pourraient nous intéresser, j’en trépigne de joie, comme une petite fille et mon enthousiasme transparaît dans le timbre de ma voix :

-Génial ! C’est gentil de votre part. Voyons, allons voir ça !

Dynamique, je n’attends pas une seconde avant de me planter à l’arrière de sa voiture. Je dois avouer que je suis aussi très curieuse de savoir ce que contient son coffre, et je suis excitée comme une gamine, à l’idée de découvrir les trésors ramenés pour les animaux. Parfois, les gens nous ramènent des vieilleries, ce qui en soi n’est pas dérangeant tant que ce n’est pas dangereux et parfois même on fait de jolies trouvailles et les bêtes sont super heureuses. Là je me demandais ce dont il retournait.

Bien-sûr j’attends quand même la jeune femme avant d’entreprendre quoi que ce soit, je n’irais pas fouiner dans son coffre comme ça puis je réalise en me frappant le front :

-Oh mais je vais vous ouvrir le portail, ça nous fera gagner quelques centimètres. Il y’a déjà les véhicules de certains bénévoles garés là, je ne vois pas l’inconvénient à ce que vous fassiez de même. Sauf si vous n’avez pas envie de faire de manœuvre pour quelques maigres centimètres ?

Ce pourquoi je ne lui en voudrais pas non plus.  Et puis ça me fait une raison valable pour quitter ma pause forcée.

Il me faut une force de résistance de tous les diables pour ne pas aller papouiller la petite chienne au lieu d’aller ouvrir le portail mais j’aurais bien le temps après. Je laisse Heather s’installer dans sa voiture et je m’occupe donc de la grille puis laisse la demoiselle se garer. Je referme le portail par sécurité et rejoint nos bienfaitrices.

Quand la jeune femme sort et ouvre son coffre je suis estomaquée de voir tout ce qu’elle avait ramené et la générosité dans ses paroles me touche.

-Wouah ! C’est chouette tout ça !!!

Mes yeux pétillent d’émotion :

-On prend tout… Même les vieilleries, tant que c’est encore en état, et encore quoi que... Quand il s'agit de pantoufle à mâchonner... on n'est pas vraiment regardant. Chaque don est précieux. Après on n'a rien contre le neuf, on prend ce qu’on nous donne… Mais ça c’est juste… Génial… Merci pour eux ! ? Et si vous voulez, je pourrais vous aider pour les coussins mais je ne suis pas douée pour la couture…, je grimace un peu en repensant à toutes les fois où je m'étais piqué les doigts avec une aiguille et où mes "œuvres" avaient terminé à la poubelle.

Je me baisse alors pour faire des petites papouilles à Kenna, ne pouvant plus résister :

-Alors ma belle, tu as soif ? Merci d’avoir pensé à tes petits copains !

Bien-sûr, c’est surtout le fait de sa maîtresse, tous ces trésors, mais c’est comme remercier un enfant pour le cadeau qu’un parent a payé. Quand je me relève, je demande à la propriétaire de la chienne :

- Avant de commencer vous avez peut-être soif vous aussi ? Ce que je vous propose c’est qu’on amène la nourriture dans les locaux et une fois qu’on sera dedans on pourra tous prendre de quoi se rafraîchir un peu.  Cela vous dit ?

Je préfère ramener la nourriture en premier plutôt qu’elle se réchauffe dans le coffre. Et de toute façon, qu'elle dise oui ou non, il faudra de toute façon aller à l'intérieur et passer par la petite cuisine pour accéder au sellier où sont entreposés les denrées pour les animaux.

La réaction de la chienne me fait rire et je la gratifie d’une autre petite caresse entre les deux oreilles. C’est juste comme ça que je les préfère les animaux, quand ils sont si expressifs qu’on sait qu’ils ont compris ce qu’on leur dit. Ou du moins il nous en donne l’impression, pour les puristes qui penseraient que ce n’est pas le cas. En attendant, j’y croyais dur comme fer, et puis on communique de toute façon avec les animaux.

Une fois la demoiselle opérationnelle, je charge mes bras de tout ce que je peux en nourriture et entraîne femme et chienne vers « mes quartiers ». Elle m’interroge quand nous marchons et je fais une petite pause quelques secondes en faisant la moue, puis me reprend :

-Beaucoup trop si vous voulez mon avis… Plus d’une vingtaine, et encore, parce qu’on est qu’un petit refuge… Je ne comprendrais jamais ces propriétaires qui abandonnent leurs animaux comme si c’était des jouets… Je peux comprendre qu’on s’en sépare quand la situation est précaire et qu’on n’a personne à qui les confier, mais pourquoi les laisser à crever de soif et de faim un peu n’importe où ?! C'est juste de la cruauté pure!, déclarais-jesur le ton de l'indignation et de la colère.

Je resserre ma prise et me remets à marcher, en accélérant involontairement le pas, énervée d’y penser. J’essaie de me calmer et me dirige tout droit vers une porte battante que je repousse doucement de l’épaule :

-Attention, porte battante, j’ai pas envie que vous ou Kenna vous fassiez du mal…

J’essaie de rendre le ton de ma voix plus joyeux pour alléger l’atmosphère suite à mes premiers propos :

-Quelques années maintenant, je me sens un peu ici comme à la maison, même si je les ai délaissés un petit moment et que je m’en veux…

Je lui souris alors une fois les portes passées, et me dirige dans la pièce, aux allures de cuisine et de salle de réunion, puis descend quelques marches donnant sur une porte :

-Le sellier est un peu plus bas, ne vous en faîtes pas y’a à peine 5-6 marches, et elles ont été retravaillées de sorte qu’on ne glisse pas… Il fait un peu plus frais que dehors et je me dis que j’y séjournerais bien en cas de canicule.

Je rigole cette fois et une fois la deuxième porte ouverte après la petite volée de marches, je dépose mon chargement en poussant un petit ouf de soulagement :

-Vous pouvez mettre ça à côté si vous voulez, fis-je en désignant son propre chargement. Et vous, ça en vous intéresserait pas de venir nous aider de temps en temps ? Quelques bras en plus pour shampouiner les bêtes, ça serait pas de trop…

C'est probablement déroutant pour les gens qui ne me connaissent pas, mais je suis capable de passer d'une humeur à une autre en très peu de temps, parce que je n'aime pas m'appesantir en règle générale. Je préfère oublier le négatif.

Je ne suis pas étonnée d’apprendre que la petite Kenna avait été recueille par la jeune femme, par contre je ne relève pas la raison pour laquelle elle pense que la chienne l’a sauvée elle aussi même si c’est difficile pour moi de faire taire ma curiosité naturelle. Si la jeune femme avait voulu développer, elle l’aurait probablement fait, du moins, j’imagine, parce que ça doit être quelque chose d’intime. En attendant, j’ai déjà vu des animaux sortir bien des humains de mauvaises passe, ou de moments très sombres. Ils ont beaucoup d’empathie, probablement plus qu’on ne le pense, ne vous jugent pas et ils vous écoutent et vous comprennent. Certains sont sceptiques sur ce dernier, point, moi j’en suis convaincue.

Je ne suis pas insensible aux compliments de la jeune femme, même si en toute modestie je ne me considère pas mieux qu’une autre. Mais quelque part ça me console et me fait du bien, même si mon sentiment de culpabilité ne va pas s’enfuir pour autant. Je réponds alors d’un simple sourire de politesse.

Et viens la fameuse question des clims, qui me prend un peu au dépourvu. On n’a jamais vraiment fait attention à ce « détail » parce qu’on a toujours fait avec les moyens du bord, mais on gaspillerait sûrement moins d’eau en faisant l’usage de climatiseurs, même si au final, ça déborderait sur la consommation en énergie. En attendant, cela serait probablement mieux pour les bêtes, surtout qu’on ne peut pas toutes se relayer 24 heures sur 24 :

-Je dois avouer que non, et merci de soulever ce point. Cela me fait penser qu’il va falloir ouvrir et mener à terme un projet pour pouvoir lever des fonds en ce sens.  Et cela ne m’étonne pas ce que vous dîtes sur l’entente avec les animaux. Beaucoup de gens me disent ça. Pour ma part j’ai la chance de réussir à concilier les deux bêtes, mais j’avoue qu’il y’a quand même moins de cons dans le règne animal…, je me mets à rire et lui fait un clin d’œil.

Bon, j’avoue avoir abusé un peu en prêchant pour ma propre paroisse, mais en même temps, plus on est de bénévoles, mieux ce sera pour nos petites bêtes et aussi pour nos bénévoles. Comme la demoiselle a l’air réceptif, je donne un dernier petit coup de marteau sur le clou que j’avais tenté d’enfoncer :

-Je suis sûre que vous vous en sortiriez très bien. Si ça vous dit on peut même voir le projet à deux ? Si vous venez un de ces soirs, on peut même se réunir avec les bénévoles, que je vous présente et commencer à potasser sur le sujet. Je ne vous cache pas que ça demande du temps et de l’investissement.

Je tente de la rassurer, car ça a de quoi mettre la pression dit comme ça :

-Enfin, chacun fait comme il peut selon ses propres possibilités,  vous savez. C’est juste qu’une personne qui viendrait tous les trois mois, c’est plus difficile de l’intégrer qu’une personne qui vient régulièrement. Et puis les gens vous connaissent mieux après. Mais là encore c'est selon comment chacun le sent

Tout en demandant cela, je nous ramène vers la pièce à vivre et sers à boire à Kenna en premier puis à la jeune femme et moi.

Je comprends tout à fait que la jeune femme puisse ne pas être à l'aise en présence de beaucoup de monde. J'en ai un qui est pareil à la maison, et puis tout le monde ne peut pas être à l'aise avec les gens comme moi. Du coup, qu'elle se montre réticente ne me choque pas même si nous serions tout au plus cinq ou six dans la pièce, elle comprise. Mais j'avoue que si je ne lui dis pas, elle ne peut pas le savoir. Ce que je m'empresse de faire quand elle a l'air d'envisager de faire l'effort :

-Primo, je te rassure, on sera peu dans la pièce, les bénévoles concernés, on les compte sur les doigts d'une main ici. Nous sommes cinq en tout, ça ferait six avec toi, donc ne t'en fais pas. Les autres bénévoles sont des occasionnels. Ils prennent donc rarement part à ce type de projets. Secundo Kenna vient quand elle veut. Par contre il faut juste faire attention car quand certains animaux arrivent, ils sont parfois porteurs de maladie ou sont très agressifs, selon leur histoire personnelle. Du coup est-ce que tu penses que c'est approprié pour elle ? Il faut savoir que tu seras responsable d'elle, comme tu l'es au quotidien. Je ne te dis pas ça pour te faire la leçon,c 'est question de vous protéger toutes les deux, et le refuge et les gens qui y travaillent aussi. Et je n'aimerais pas qu'il lui arrive quelque chose. D'un autre côté, je suis sûre qu'elle pourrait être un atout majeur pour aider les autres animaux à se sentir plus en confiance et en sécurité ici. Je pense que sa présence pourrait les apaiser.

Je sais que ça fait beaucoup d'infos à avaler mais je voulais qu'elle ait toutes les cartes en main, quitte à dire non. Je ne pourrais pas lui en vouloir dans tous les cas :

-Tu n'es vraiment obligée de rien. Je veux juste que tu puisses décider en tout état de cause, car c'est vrai que ça peut être dangereux pour Kenna.

Je me verrais mal laisser la petite chienne attachée dans cette pièce tandis qu'on s'occuperait des autres animaux. Je jette un œil sur la fifille que je caresse finalement à la tête, l'air ravi.

hs:

Heather a l'air d'avoir vraiment les pieds sur terre et la tête sur les épaules. Elle semble extrêmement bien connaître son animal et je suis certaine qu'elle dit vrai. Je n'ai aucun de doute concernant la petite Kenna qui a l'air mignon comme tout. Ce sont des animaux d'ici que j'ai peur, car même parfois les plus gentils et doux ont des agissements étranges, qui peuvent surprendre.

Les cas de figures qu'envisage Heather sont très réalistes et elle propose des solutions concrètes et sensées. Ce qui me fait dire que ça sera une véritable bonne recrue si elle se décide à nous rejoindre. Mais encore une fois, je ne cherche à forcer la main de personne et je préfère qu'elle réfléchisse car c'est quand même un sacré engagement:

-Je veux juste éviter qu'un truc dérape et que du mal soit fait à ta chienne. Mais si tu penses que c'est ok pour vous, moi ça me va aussi. Je peux te laisser mes coordonnées ou les coordonnées du refuge, si tu veux?

J'attends sa réponse tout en m'approchant doucement de Kenna pour la regarder avec des yeux d'enfants:

-Oui, t'es vraiment choute ma belle!

Je la papouille encore un peu puis propose à la jeune femme en relevant mon visage vers elle, mais aussi au chien:

-Cela vous dit qu'on se promène un peu dans le chenil?

Indépendamment de ma proposition, cela ne coûtait rien de faire faire une visite à la jeune femme et à la chienne. Et cela me ferait plaisir.