Dix heures. La parfumerie venait tout juste d’ouvrir et comme nous étions en semaine, j’étais seule pour la matinée. Ca allait sans doute être une matinée monotone, chiante et ennuyeuse ou je n’aurais personne avec qui discuter, et ou les clients défileraient sans jamais rien acheter… Parfois, je pensais à changer de travail. Puis je me ravisais, ayant bien conscience que je n’avais pas réellement les diplômes nécessaires pour me réorienter. Quel dommage… J’hésitais à utiliser le téléphone du magasin pour faire des canulars téléphoniques à Nell, mais à force, il connaissait la blague.

En relevant la tête, je me rendis compte qu’un homme était de dos, admirant les étagères avec les différents flacons. Et instantanément, mon coeur fit un bond douloureux. Mathias. Non, ça n’était pas possible. Il n’avait pas le droit d’être là. Il ne pouvait pas venir ici, même si notre histoire remontait à des années. Je lui avais fait croire que j’avais porté plainte contre lui. Cela ne voulait-il pas dire qu’il devait se tenir à distance ? Qu’il n’avait plus le droit de m’approcher ? Et pourtant, j’avais réellement l’impression que c’était lui. Cette coiffure, cette veste… Cela me rappelait bien des souvenirs. Mon corps tremblait déjà. J’allais céder à la crise de panique. Il fallait que je réagisse. Sans attendre, je quittais le comptoir pour aller à sa rencontre. « Non, non… Tu n’as pas le droit d’être ici. » Je fis encore quelques pas supplémentaires. « Sors d’ici tout de suite Mathias ! » Criais-je, d’une voix beaucoup plus menaçante cette fois. Et il se tourna. Et ça n’était pas lui. Merde alors.

Noël approchait à grands pas et je n’avais toujours pas de cadeau pour ma petite Granny. Celle qui avait pris soin de moi durant des années, celle qui avait été ma plus belle rencontre, ma grand-mère adoptive réclamait ma présence à corps et à cris à travers des lettres où elle m’avouait que je lui manquais. J’allais rendre visite à Granny dans quelques jours et je ne devais pas arriver les mains vides. Elle avait cette fâcheuse tendance à mettre du parfum qui piquait les narines et qui donnaient le tournis comme la plupart des vieilles personnes. Du genre eau de Cologne mais de mauvaise qualité. J’arpente le centre commercial en recherche d’une parfumerie. Je ne prends pas la peine de comparer les prix entre plusieurs, je n’ai pas envie de perdre mon temps. C’est pourquoi je m’engouffre dans la première que je vois.

Je me dirige vers les parfums pour femmes et je vois un milliers de flacons. Putain, j’y connais rien en parfums. Je prends une languette et je vaporise un peu d’un parfum pris au hasard dessus. Ca chlingue. Je jette la languette à la poubelle et je réitère l’expérience, une fois, deux fois, trois fois. Plusieurs fois. Je perds patience. Je devrais peut-être demander un coup de main à une vendeuse. D’un coup, on m’agresse. On me hurle dessus. Je dois sortir. Pourquoi , Hein ? Mathias ? Quoi ? Je ne comprends rien et la petite vendeuse blonde agite les bras l’air menaçant. « WOW ! Du calme, je ne suis pas Mathias ! » dis-je en levant les mains en l’air pour plaider mon innocence en me retournant. « Promis, je n’ai rien volé ! Je m’appelle Leevi, pas Mathias ! Calmez-vous s’il vous plait ! » Vu la rage dans son regard, elle pourrait me balancer un truc à la gueule sans que je ne voie rien venir. Elle me fait peur cette dame. Est-ce que les autres vendeuses sont aussi tarées qu’elle ?!

Ma voix déraillait, mon corps tout entier s’était mis à trembler du fait que Mathias puisse se trouver à nouveau dans la même pièce que moi. Alors je n’avais absolument pas réfléchi et j’étais allée le trouver, lui criant de sortir. Peu importe que l’on m’entende, de toute façon nous étions seuls dans la boutique. Seulement… Je n’avais absolument pas envisagé la possibilité que je puisse me tromper de personne. Il s’était tourné face à moi, confirmant qu’il n’était pas Mathias. Seulement un homme avec qui il partageait une vague ressemblance. Et pour autant, je n’arrivais pas à me calmer. Ma vie était si paisible ces derniers temps que l’imaginer une seule seconde de retour me mettait dans tous mes états. « Je… Je… » Je fis quelques pas en arrière, respirant un bon coup. La honte commençait peu à peu à m’envahir. Et qu’allait penser ce client de moi ? A sa place, j’appellerais l’hôpital psychiatrique direct. Je pouvais faire une croix sur lui en tout cas, il ne reviendrait sans doute pas. A moins que je ne me rattrape. « Pardonnez moi. » Lançais-je alors que je commençais enfin à reprendre mon calme. « Je vous ai confondu avec… Quelqu’un qui n’a pas le droit d’entrer ici. De dos, la ressemblance était flagrante. J’ai conscience du ridicule de la situation… » Sourire crispé, gêné, joues en feu. « Vous vouliez de l’aide pour choisir un parfum ? » Parce qu’à la base, il était surement là pour ça. Pas pour se faire agresser.

Toujours les bras en l’air, je continue de fixer la vendeuse avec effarement. Je ne bouge pas. Je ne dois pas bouger. Elle semble folle, complètement à côté de ses pompes. Je regarde à gauche puis à droite, personne pour être témoin de ce qu’il était en train d’arriver dans cette parfumerie. Je ferme les yeux assez fort pour voir des petits points lumineux s’agiter dans mes paupières mais je ne reçois rien sur la tête. J’ouvre un œil, puis l’autre, et je respire. Soulagé, je baisse doucement les bras. Je regarde la vendeuse et son visage se déraidit, il était bien plus agréable à regarder sous cette forme. Elle recule, bégayant un peu prenant sans doute conscience que je n’étais pas le Mathias en question. Elle s’excuse mais elle semble toujours troublée. En effet, elle vient de m’avouer qu’elle m’avait pris pour quelqu’un d’autre. « Ce n’est rien » dis-je en souriant. Elle me demande si j’ai besoin d’aide pour choisir un parfum mais, elle ne semble pas aller très bien. Je pose une main sur son bras « Vous devriez vous assoir, vous voulez un peu d’eau ? » dis-je en sortant de mon sac une bouteille d’eau que je n’avais pas encore entamée. « Prenez votre temps, les parfums attendront » Je me dirige dans une autre allée et ramasse un tabouret que j’amène près de la jolie serveuse et je l’invite à s’assoir et lui tends la bouteille.

M’asseoir. Oui, il n’avait pas tort. J’allais tomber de faiblesse si je restais debout. Trop d’émotions d’un coup alors qu’il ne s’était rien passé. Mon esprit semblait aimer me jouer des tours, à mon plus grand désespoir. Heureusement, le client n’avait pas fuit. Je ne sais absolument pas ce que j’aurais fait, seule. Je serais morte, morte de honte, dans un coin de la boutique. J’exagère. J’avais attrapé l’un des tabourets de la boutique -oui, certains ont l’intelligence de faire des étagères trop hautes pour les vendeuses- et je m’étais assise, fixant le sol, me demandant comment j’avais pu croire un instant que Mathias était revenu. Il avait dû m’oublier depuis déjà bien longtemps et c’était tant mieux. « Je veux bien merci ! » Je levais enfin la tête pour lancer un sourire compatissant à mon client et potentiel sauveur. Je buvais une gorgée, reportant enfin mon attention sur lui. « Vous êtes drôlement sympa pour un type qui s’est fait agresser gratuitement. » Petit rire. La plaisanterie, ça allait m’apaiser. Et ça allait peut-être le rassurer aussi. Non, je n’étais pas folle, promis juré.

Elle semblait écouter mes conseils, ce qui était rassurant. Son délire paranoïaque retombait, elle retrouvait petit à petit une certaine sérénité. La jolie blonde accepta mon siège et bu au goulot de la bouteille en me remerciant. Je lui rendis un sourire poli et croisa les bras, analysant si tous les symptômes de son angoisse avaient bel et bien disparu. J’éclate de rire « Oh vous savez, j’ai eu affaire à bien plus agressif que vous, vous êtes un agneau à côté de certains cas. » Son visage reprenait un peu vie, chassant la laideur du blanc pour retrouver des joues légèrement rosies. Elle semblait avoir vécu un gros traumatisme avec ce certain Mathias. J’haussais les épaules, ce n’étais pas mes oignons mais s’il pouvait surgir à tout moment pour l’agresser, il était de mon devoir de m’en inquiéter, juste pour apaiser ma conscience. « Ce Mathias, il est heu... Violent avec vous ? Il vous veut du mal ? « Je me racle la gorge un instant, peu sûr des mots que j’utilise « Parce que si c’est le cas, vous ne devez pas rester là comme ça à angoisser de le voir partout où vous aller… » J’essaie de jouer au mec sympa, le psychologue n’est pas trop loin, toujours aux aguets.

Moi, un agneau ? Je me demandais bien quel genre de personne il avait pu croiser pour que cela soit pire que ça. Si je n’avais pas rapidement compris qu’il n’était pas Mathias, il n’était pas exclu que quelques flacons se soient fait fracasser au sol. « Je suis rassurée alors. » Avouais-je avec un petit sourire. Il me posa des questions sur Mathias. Immédiatement, la douleur se ravivait. Ca avait été terrible pour moi, cette époque. Je détestais en parler et c’était à cause de cela que je n’avais plus aucune confiance en les hommes. Il n’y avait vraiment qu’avec Nell, mon colocataire, que je n’avais aucune crainte ou méfiance. « Il l’a été… » Psychologiquement autant que physiquement. « Qu’est ce que je devrais faire ? » Demandais-je, curieuse. « Il est parti, normalement. Il n’est pas censé revenir. » C’était ce qu’il avait promis, après que j’ai menacé de porter plainte. Cet homme semblait savoir faire face à la détresse des gens. C’était bizarre, mais sa présence me rassurait.

A défaut de ne pas avoir été le héros de Silver, j’pouvais être le héros de cette petite vendeuse. Elle était vraiment jolie, un peu étrange tout de même mais suffisamment attirante pour que je puise tenter une ouverture si l’occasion se présentait mais je partais avec un gros désavantage, elle m’avait confondu avec un psychopathe qui lui cherchait la misère. Néanmoins, j’avais envie de l’aider, elle semblait prise dans les filets d’une espèce de pervers narcissique et ne savait comment s’en défaire. « Vous pourriez porter plainte à la police. Ce genre d’affaire est pris très au sérieux même si je ne sais pas de quoi il en retourne… » Et puis, elle m’annonce qu’il est parti, qu’il n’est pas sensé revenir, malgré ça, elle vivait toujours dans la peur de le recroiser. « S’il est parti, vous ne devriez pas avoir peur dans ce cas… » Je m’accroupis en face d’elle et plonge mon regard dans le sien « Mais si vous sentez que vous auriez besoin d’un garde du corps, je peux éventuellement accepter la mission… » Je laisse quelques secondes de silence s’installer entre nous avant d’ajouter, « Evidemment, ça ne sera pas gratuit, je compte sur vous pour me dénicher le parfum parfait. »

Porter plainte. L’idée m’avait souvent effleurée mais par peur, par honte je n’avais jamais osé. J’avais fait croire à Mathias que je comptais le faire, et puis il était parti et je ne l’avais plus jamais vu. Peu à peu, l’idée m’était sortie de l’esprit. « Je l’avais menacé de le faire, mais je n’ai jamais osé… » C’était le genre d’histoire traumatisante que l’on préférait oublier. Quant à arrêter d’avoir peur… C’était compliqué. Rien ne l’empêchait de revenir. Et j’étais certaine que si il revenait, cette emprise qu’il avait sur moi serait toujours là. « Je sais. C’est difficile. » Avouais-je en haussant les épaules, le regard triste. Plongeant son regard dans le mien, il proposa d’être mon garde du corps, en échange de parfums. Je me mis à rire, retrouvant sans doute des couleurs. « Comment ça ? » Il était adorable. Et client avant tout, il était temps de se reprendre ! « Pas de soucis. Vous avez des préférences en terme de fragrance ? C’est pour vous ou quelqu’un d’autre ? » Après tout, il pouvait aussi s’agir d’un cadeau pour quelqu’un, une petite amie ou autre.

Il était courant pour les victimes de ne pas porter plainte et de se réfugier dans un mutisme particulièrement pesant. Elle s’avait avoir été fortement affectée par ce type, assez pour avoir failli m’assommer si elle en avait eu l’occasion. Elle m’avoue qu’elle n’avait jamais eu l’occasion et je ne pouvais que comprendre. Moi non plus je n’avais pas porté plainte lorsque j’étais adolescent. J’aurais pu, mais j’avais peur. Et la peur ça tétanise. « Je comprends » dis-je en souriant. Je pose ma main sur la sienne, sans brutalité. Je la soutenais à travers ce geste. Je ne voulais pas parler de mon passé à une inconnue mais je comprenais. C’était déjà pas mal. Elle ne semble pas être contraire à ma proposition de la protéger, être son super-héros, je commençais à gagner du terrain. « Vous me trouver le parfum parfait pour ma grand-mère et je pourrais passer l’après-midi avec vous, à boire un café par exemple et ainsi garder un œil sur vous, prêt à sortir les poings si mon jumeau maléfique se ramène ? » Moi aussi je souris, mais je suis sérieux. Je venais de l’inviter à boire un café de manière déguisée, peut-être qu’elle allait entrer dans mon jeu et rendre cette journée un peu plus agréable. "Pour le parfum, je vous avoue, j'y connais rien. C'est une femme à la fois douce et forte, je vous fait confiance !"

Il avait cet air gentil et ce comportement protecteur qui me donnaient envie de lui faire confiance. Il avait posé sa main sur la mienne, de manière bienveillante et je ne pus m’empêcher de sourire. L’espace d’un instant, j’oubliais Matthias et mes craintes. « Moi c’est Avalon. » Il était temps que je lui dise, que Leevi puisse enfin mettre un prénom sur la folle que j’étais. Bon, il était temps de se remettre au travail ! Un parfum pour sa grand mère, une femme douce et forte. En échange, un café et une garde rapprochée. Plutôt pas mal comme deal. En plus, j’avais mon après midi. « Ca marche ! » Réfléchissant à la description qu’il m’avait faite de sa grand mère, deux idées me vinrent en tête. Prenant les testeurs des flacons, je parfumais deux petits embouts permettant de les sentir. « D’un côté, Mon Paris d’Yves Saint Laurent, plutôt fruité. » Je lui tendais le second embout « Et de l’autre, Flower de Kenzo. Plus fleuri, comme son nom l’indique. » Plongeant mon regard dans le sien, je demandais « Vous avez une préférence? »

Les parfums de femme, je n’y connais rien du tout même si lorsque je sens une odeur elle peut me rappeler quelqu’un. C’est peut être ça la finalité ? Se souvenir des personnes et de leur odeur ? Je lui souris lorsqu’elle me dévoile son prénom. Avalon. C’est joli et poétique. Mystérieux également. En échange de trouver le parfum idéal, elle aurait droit à un café et à ma compagnie. Et étrangement, elle accepte. Son ex ne devait plus être qu’un lointain souvenir. Tant mieux. Elle s’éloigne pour me chercher des flacons pour que je puisse sentir. J’approche les deux tiges l’une après l’autre au niveau de mes narines et je me laisse enivrer. « Je trouve le second trop… désodorisant de toilettes » dis-je en éclatant de rire, ne sachant pas trop à quoi le comparer d’autre. « Par contre, j’aime beaucoup le premier. Mais vous pensez qu’il pourrait convenir à une dame de quatre-vingt balais ? »

Désodorisant de toilettes. Je ne pus m’empêcher de rire. Quasiment tous les hommes n’aimaient pas les parfums fleuris. Au moins j’aurais tenté. « Bon, ok, on abandonne l’idée alors. » Le premier lui plaisait, mais il doutait. Quatre vingt ans ? Et alors ? Ca ne changeait pas grand chose pour moi. Certes, certains parfums faisaient plus jeunes, mais j’étais convaincue que celui ci pouvait tout à fait convenir. « J’en suis sure. C’est l’une de nos meilleures ventes, et pour tout âge. » J’ajoutais un clin d’oeil afin de le convaincre davantage. Faire du charme pour conclure la vente ? Mhm, pourquoi pas après tout.  [/b]

Spoiler:

Je la fait rire. Je préfère entendre ça que les menaces qu’elle a proféré à mon égard alors que je n’avais rien fait. Son rire était agréable à mes oreilles et sonnait comme des petites clochettes. Changement de parfum. Je lui donne des indications concernant le caractère de Granny, peut-être que ça allait l’aider à trouver le parfum qui lui conviendrait. « Une de vos meilleures ventes ? » Je glisse mes doigts sous mon menton, incertain. « Je pense qu’il lui faut quelque chose d’original, un parfum insolite, inattendu. Des senteurs qui sentent de l’ordinaire. » Je marque une pause avant de me pencher vers une vitrine « Vous savez, elle met du patchouli et ça à le don de m’irriter les narines. Alors si vous avez un truc du style mais moins agressif, je suis preneur. » Je me tourne vers elle et je lui lance un clin d’œil « Quel qu’en soit le prix… »

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