On la confondrait presque avec Catwoman, ce soir, Scar. Débardeur noir, blouson et jean en faux cuir - faut pas déconner, elle a pas assez d'sous pour s'en payer des vrais, bonnet noir, un vrai caméléon nocturne, elle s'accorde parfaitement avec l'obscurité tombée sur la ville.  L'seul truc, c'est qu'elle joue pas franchement les héroïnes. Elle est là pour braquer cette putain d'baraque. Elle a déjà repéré les entrées, elle connaît les emplois du temps d'ses occupants qui sont partis à un dîner d'cons ce soir, et elle a l'plan des pièces dans le fond d'ses poches. 22:07. L'opération devait commencer à 22:00, mais une nana, 'fin une Scar, c'est toujours en retard alors, y'aura sept minutes de décalage, puis c'est tout. Elle règle une alarme pour 23:07, au moment où elle sonnera, elle devra quitter la maison et s'casser. Elle prendrait trop d'risques à rester plus longtemps. Déterminée, la belle commence par escalader le grand portail. Y'a même pas d'pics sur l'sommet, c'est trop facile, en trois secondes elle est déjà de l'autre côté. Elle sort sa bombe lacrymo et la garde à portée de main, avançant avec prudence vers l'entrée d'la demeure. Accroupie, elle se relève doucement en levant son bras en premier pour noircir la caméra de surveillance avec du poivre. Les bons bails. Un truc d'moins à faire, soulagée, il n'lui reste plus qu'à ouvrir la porte avec les clefs d'cachées sous l'paillaisson. Sont vraiment cons ces riches. Alors qu'elle va s'exécuter, un bruit d'verre cassé la fait sursauter. Y'a un mec, là, à la fenêtre d'à côté qui vient d'péter la vitre.  « 'tain mais t'es qui toi? » s’exclame-t-elle pas trop fort quand même. Elle plonge son regard dans l'sien, il est sérieux? « T'as pas trouvé plus bruyant pour rentrer chez eux? » Vu sa dégaine et sa posture, elle n'se pose même pas la question, c'est évident, il est là pour les mêmes raisons qu'elle.

Il l'a fait exprès. D'défoncer la vitre, il l'a fait exprès. Scar le comprend qu'en l'voyant s'avancer vers elle, c'n'était qu'un moyen de l'avertir d'sa présence. Elle reprend son soufle plus sereinement, c'est qu'il l'a fait sursauter, c'con. « Qui t'dit qu'j't'aurais pas mis à l'amende? » un peu naïve, la belle, mais pas craintive. Elle sait comment s'défendre, elle sait garder l'sang froid. Dans une scène comme ça, elle saurait faire d'son illusion d'fille pur un vrai atout. Elle saurait observer l'agresseur, comprendre sa mécanique et ruser d'tout c'qu'elle a pour soit l'défoncer, soit fuir. C'qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas peur, la belle. Encore moins d'la mort. La réaction du gars la fait réfléchir, il préfère s'casser. Elle aurait fait tout ça pour rien ? No way. « Donc t'es l'genre d'mec à fuir quoi. » Comme tous les autres finalement, l'provoque-t-elle pour capter son attention. Sur un air de défi, elle hoche la tête en sa direction. « Combien d'temps avant qu'les flics ne débarquent ? » demande-t-elle, décidant d'accorder sa confiance à c'gars là, qui a l'air cent fois plus expérimenté qu'elle dans c'genre de plans. Elle crève d'envie d'y aller quand-même, d'braquer cette baraque coûte que coûte. Puis, peu importe l'voisin, même s'il la voit, impossible de la reconnaître sous son camouflage d'voyou. « M'dis pas qu't'as pas envie d'rentrer quand-même. Tu prends l'côté gauche, moi l'droit. » Si jamais t'y vas, sinon, elle prend tout, la voleuse. Son coeur palpite de plus en plus vite, ils ont peut-être cinq minutes grand maximum pour rentrer, chopper d'quoi remplir leurs sac à dos et s'carapater avec l'poids du crime sur leurs épaules. C'est jouable.

Malgré l'air insistant d'Scar, il lâche rien, l'bonhomme. Pour lui, c'est niqué. Il s'apprête à repartir avec la désillusion à travers l'crâne, comme il pourrait repartir la queue entre les jambes après n'avoir pas réussi à bander d'vant la meuf la plus bonne qu'il puisse voir d'sa vie. Scar, elle est conne. On l'sait. Pour elle, l'plan n'fait que commencer. « Tu vas en taule qu'si tu t'fais prendre. » rétorque-t-elle, l'air rebelle. C'est une sale inconsciente, la môme. Elle y croit, à la vie facile. La vie adrénaline. « Bah fais c'que tu veux. T'as l'air d'être assez borné et d'savoir c'que tu veux ou non. Du coup, rentre bien, bisou ! » lui lance-t-elle en lui envoyant un baiser volant. « Moi j'le tente ! » Et sur ces mots qui sonnent une putain d'détermination, elle chope les clefs sous l'paillasson et rentre dans la baraque. Elle fouille un peu partout, elle fout des trucs dans son sac sans trop regarder c'que c'est. Qu'est-ce-qu'elle en a à foutre, la surprise n'sera que plus belle à la fin. Là, l'plus important c'est l'excitation qui l'imprègne. Elle bug un peu lorsqu'elle entend la sirène retentir dans une rue parallèle, elle sourit dans un souffle avant d'se remettre à sa chasse au trésor. Alertée par la lumière des gyrophares, elle monte à l'étage - et, conne qu'elle est, elle n'pense pas qu'dans chaque vendredi 13, l'mec qui monte à l'étage s'fait toujours buter. Pas l'temps d'penser au film d'horreur, elle est trop occupée à interprêter l'premier rôle d'sa propre vie. Arrivée en haut, elle fonce dans les pièces et récupère encore quelques trucs. Maintenant, il est temps qu'elle s'taille si elle n'veut pas finir derrière les barreaux. Alors elle s'approche d'une fenêtre qu'elle défonce avec son coude, passe à travers, descend d'abord prudemment sur l'toit avant d'se sentir glisser d'un seul coup. Elle s'rattrape aux tuiles, et elle s'laisse tomber par terre, amortissant l'choc avec ses bras en avant. Les flics entrent dans la maison par l'entrée principale tandis que Scar s'relève pour s'enfuir à l'opposé. Elle court l'plus vite qu'elle puisse sur la route, son sac sur le dos, et tente d'lever son pouce à plusieurs reprises mais elle s'dit qu'entrain d'courir et en pleine nuit, ce s'ra pas forcément fructueux d'faire du stop maintenant. Alors elle continue sa course, sans s'arrêter, l'coeur qui palpite et l'corps qui la pulse d'adrénaline.

Scar, des égratignures sur le bras, une balafre sur le front, un hématome fraîchement senti sur la cuisse, d'la poussière plein les cheveux et d'l'écume d'effort qui lui perle le front pour fuir vers ses tempes, elle l'a fait, cette salle gosse. Quitte à s'défigurer et s'faire souffrance, elle l'aura braqué, leur putain d'villa de merde à ces gros bourges. Ce soir, elle n'aspirait qu'à une chose, sentir son coeur battre trop vite dans sa poitrine sans pouvoir le contrôler, le sentir battre trop fort à lui rugir ses pulsations dans les tympans. Elle enchaîne les foulées sans ralentir d'une seule seconde, comme si elle courrait vers un autre monde, tellement distant du sien qu'il lui faille avoir excessivement de force dans le corps et surtout les jambes pour pouvoir traverser un portail aussi imperceptible que l'air. Dans une pensée plus ou moins clairvoyante, Scar regrette le dernier joint qu'elle s'est fumé, peut-être deux heures avant l'opération. Ses poumons intoxifiés traduisent le gris de leur apparence par un souffle haletant incontrôlable. La course est dure, pas comme la bite du lâche. Et en parlant d'lui, l'voilà qui la nargue. Déconcentrée dans son parcours effréné, elle tourne la tête en l'regardant droit dans les yeux avant d'lui offrir son plus beau majeur. « Non mais va t'faire foutre ! » répond-t-elle d'une seule traite, le voyant s'casser en riant, sur sa sale bécane avec son siège libre à l'arrière. Il aura au moins le privilège de s'dire que Scar pensera à lui en ouvrant son sac rempli d'trésors, fière d'avoir saboté son plan à deux balles.

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