Je ne sais pas ce qui me prend. Peut-être que c'est une envie vraiment trop forte de reprendre ma vie mains... Mais peut-être aussi que je ne suis tout simplement pas prête pour ça. J'ai peut-être encore besoin d'un peu de temps... Je soupire, assise seule dans ma voiture. J'ai laissé Ewan à la maison, il ne sera pas accepté dans l'endroit où je vais. Malheureusement. Je regarde la devanture de l'établissement. Quelle mouche m'a piquée pour que je me retrouve stationnée devant un bar? Avec en plus dans l'idée d'entrer dans ce bar? On se demande. « Aller Heather, tu peux le faire. Si tu ne fais rien pour reprendre le contrôle, il aura quand même gagné d'une certaine façon. Ne lui fais pas ce cadeau... » Je me murmure ces quelques mots d'encouragement pour tenter, tant bien que mal, de me convaincre qu'entrer dans le bar est une bonne idée. C'est mal barré, je vous le dis. Je soupire une nouvelle fois puis je prends mon sac et sors de ma voiture pour y aller. Prendre sur soi pour réussir quelque chose. Prendre son courage à deux mains. Il me faudrait plus que deux mains pour avoir le courage de rester plus que cinq minutes à l'intérieur.

Une fois à l'intérieur, je regarde autour de moi. Il n'y a pas encore trop de monde. Tant mieux. Je m'approche du comptoir et m'installe sur un tabouret. Ça fait longtemps que je ne suis pas allée dans un bar. J'allais au restaurant avant, quand Max avait ses dîners d'affaires, mais un restaurant, c'est encore autre chose qu'un bar. Le barman vient vers moi et me demande ce que je veux. Un coca? C'est peut-être pas la bonne boisson et puis, j'ai besoin d'un verre pour ne pas me lever et partir en courant. « Une bière, s'il vous plait... » Je n'ai pas envie d'un cocktail, je n'ai pas envie de quelque chose de plus sophistiqué et je ne veux rien de trop fort non plus. Une bière fera l'affaire, même si ça peut paraître être un choix plutôt masculin. Le barman me sert et je le remercie, le gratifiant d'un petit sourire. Je ne suis pas à l'aise et c'est flagrant. Je regarde un instant autour de moi. Mais quand mon regard croise celui d'un homme, je détourne la tête et pose mes yeux sur ma bouteille. Je murmure, pour moi-même: « Ne bouge pas, reste là-bas... » Loupé. Le voila qui s'approche et qui tente une conversation. Je lui dis poliment que je n'ai pas envie de parler mais il se montre insistant. Il n'est pas très... comment dire... respectueux. Il cherche juste un coup d'un soir, rien de plus. Comme il n'arrête pas, malgré mes demandes, ça commence à être trop pour moi. Je me lève, paye ma bière, et commence à me diriger vers la sortie. Je n'ai pas remarqué qu'une demoiselle a vu toute la scène...

En venant, je ne savais pas si c'était une bonne idée. Je voulais juste essayer de faire quelque chose de normal, sans mon chien. Je l'aime, mon chien. Là n'est pas la question. Mais si un jour il venait à lui arriver quelque chose, je deviendrai quoi? Je ne peux pas rester uniquement cramponnée à lui, comme si ma vie en dépendait. Même si ce fut le cas quand j'étais captive. Je dois réussir à passer outre sa présence de temps à autre. Je ne vais pas le rejeter, le mettre de côté ou quoi que ce soit. Je passerai toujours autant de temps avec lui, là n'est pas le problème. Mais si je dois aller à une endroit où il n'est pas accepter, je dois pouvoir y aller. C'est comme ça. Sauf qu'avec ce type à côté de moi qui me gavait, se montrait plus qu'insistant, je commençais à regretter très sérieusement d'être venue. C'est une erreur de m'être aventurée dans un bar, seule. J'allais partir, mais apparemment, l'homme n'avait pas l'intention de me laisser seule puisque j'ai pu entendre derrière moi une voix féminine. "Eh, ducon. T'as pas compris ce qu'elle t'a dit ? Elle a dit non. Tu la laisses tranquille maintenant, sinon je t'assure que t'auras pas de descendance." Je me retourne et observe la scène, les yeux ébahis, ronds comme des tomates. "Ca te dirait de terminer ta bière avec moi ?" Je regarde toujours la demoiselle l'air choquée. Elle s'est interposée, a remballé ce type, et me propose maintenant de terminer ma bière en sa compagnie? Sérieusement? Depuis quand ce genre de comportement existe et surtout venant d'une femme? Je crois que je viens de décider que je l'admire. Même sans la connaître. Je l'admire pour avoir su être si convaincante avec ce type, si... Bref. Elle l'a remis en place et rien que pour ça, je suis admirative. "J'ai des tapas." Je n'ai rien à perdre et puis, je peux bien accepter, demandé si gentiment et je pourrais lui payer un verre pour la remercier d'être venue à mon secours. En sommes-nous arrivés là? Les femmes se secourent entre elles parce que les princes charmants sont pas fichus de lever leurs fesses de leurs chaises? Véridique. Aucun homme n'a bougé, c'est elle la seule qui a ouvert sa bouche. Quels progrès. "D'accord.." Que dire de plus? Je récupère ma bière et l'accompagne à l'endroit où elle était assise. Je m'installe. "Merci. D'être intervenue. T'as géré ça d'une main de maître." Ça doit carrément se voir que j'ai plus mit les pieds dans un bar depuis perpet' les oies. "Je dois avoir l'air pathétique..." Autant être réaliste. Je bois une gorgée de ma bière, sans rien ajouter. Pour être honnête, je n'ai pas spécialement faim. J'ai presque envie de me cacher dans un petit trou de souris pour ne pas être fichue d'être plus... cash, disons voir ça comme ça.

Je dois avouer que depuis ma très mauvaise expérience avec mon ex-mari, j'ai du mal avec les gens. Les gens en général. Pas seulement les hommes. J'ai du mal à me mêler à la foule, j'ai du mal à me séparer de mon chien. J'ai l'impression que les animaux, mon chien en particulier, se montrent plus protecteurs que les êtres humains eux-même. Ils ont un sens de la loyauté, de la protection, que nous autres, êtres soi-disant civilisés, n'avons plus forcément. Heureusement que ce n'est pas le cas de tous. La preuve. Cette femme est intervenue pour m'aider alors qu'elle ne me connait ni d'Adam ni d'Eve. Rien que ça, c'est une preuve que finalement, peut-être bien que la civilisation et le savoir vivre n'ont pas encore totalement disparus de la surface de la Terre. Je vais finalement m'installer à côté d'elle au bar, acceptant son invitation à me joindre à elle. Je ne suis pas très à l'aise à l'idée de rester ici après cette scène, surtout en sachant que ce type est toujours dans les parages, mais je prends sur moi. Je dois vaincre mes peurs. Et pour les vaincre, rien de mieux que de me bouger les fesses et de les affronter. Pas vrai?

"Alexis, enchantée." Je souris doucement en serrant sa main dans la mienne. "Heather." Elle rapproche les tapas de moi mais je refuse poliment. Je dois admettre ne pas avoir très faim. Je me sens un peu pathétique, ce que je lui confie. "Pathétique ?! Mais tu rigoles ou quoi chérie ? C'est pas toi qui est pathétique dans l'histoire, c'est ce gros con." Je souris un peu plus en la voyant faire un majeur au type. "T'es loin d'être pathétique, ce qui est pathétique c'est que personne n'ait osé bouger." J'hoche la tête. C'est vrai que ça aussi, c'est pathétique. Compter sur les autres pour avoir de l'aide, c'est globalement terminé dans la vie. "A la tienne !" Je lève ma bière et lui adresse un sourire. "Non, à la tienne. T'es ma sauveuse ce soir. Comment je peux te remercier?" Je bois une gorgée de ma bière avant de simplement déclarer, dans un soupire: "J'ai pas toujours été comme ça." Et c'est vrai. Avant, j'étais pleine de confiance en moi, pleine de vie, de joie, d'ambition. Maintenant, j'ai la trouille d'aller boire un verre en début de soirée sans mon chien. Cherchez l'erreur. Je pensais pas, quand j'étais dans l'entrepôt, que cette expérience allait me changer autant. Je pensais que ça allait me rendre plus forte. J'avais tort. "T'as pas eu la trouille qu'il t'en mette une?" Question peut-être idiote mais il fallait que la pose.

Spoiler:

On se serre la main. Le contact ne me dérange pas. C'est surtout le contact des hommes. Enfin, ça dépend aussi du contexte. Si je me fais trop bousculer, que ce soit un homme ou une femme, je n'apprécie pas trop. Ça me rend nerveuse. Mais là, c'est juste un serrage de mains alors ça passe bien. « Enchantée Heather. » Je lui souris et lui réponds très simplement: "De même." Je suis bien contente qu'elle se soit manifestée. Je ne connais encore personne en ville, peut-être que la jeune femme pourrait devenir ma première connaissance après tout. Les relations se tissent, ça demande parfois du temps et parfois, ça se fait tout seul, naturellement. L'avenir nous le dira.

« Mais non, arrête un peu. » Je souris. Elle doit penser que j'exagère mais ce n'est pas le cas. Si elle n'était pas intervenue, j'aurais sans doute fini par rentrer chez moi et ne plus oser remettre un pied dans un bar. Elle ne se rend sûrement pas compte de ce que son intervention peut représenter pour moi. « Tu me remercies de rien du tout, c’est normal entre nanas. » Elle trouve ça normal? Ce n'est pas ce que tout le monde pense. Elle ne veut pas que je la remercie mais ça me gêne quand même un peu, je dois l'admettre. J'avoue que je n'ai pas toujours été comme ça. C'est tendre la main à Alexis pour qu'elle pose des questions. Je ne peux décemment pas m'attendre à ce qu'elle ne soit pas curieuse après une phrase comme ça. C'est comme si ma déclaration appelait à des questions. Du coup, je ne la prends pas pour une curieuse. « Ah.. Si jamais tu veux m’en parler, tu peux, sinon, tu n’es pas obligée Heather.. » J'hoche la tête en la regardant et je souris doucement, tristement, avant de baisser mon regard. "Tu ne me croirais pas..." Comment puis-je le savoir? Je ne peux pas. Mais soyons clair: qui pourrait imaginer que mon histoire est vraie? Tenir si longtemps en captivité, manipuler le preneur d'otage qui n'est autre que mon mari à ce moment-là... C'est digne d'un roman policier non? Et pourtant, c'est bel et bien réel...

Je lui demande si elle n'a pas eu peur que l'autre lourd lui en colle une. « Euh… si. Mais je me dis qu’un mec qui frappe une nana à plus de chance de se faire éclater la gueule par les autres gars du bar donc bon. Il pouvait essayer. » Je ris en l'écoutant. Elle croit encore en l'humanité on dirait. Je ne suis pas sûre d'avoir autant de gentillesse à penser envers les êtres humains. "Il aurait eu plus de chance mais c'est pas sûr que les autres auraient bougé. Il y a plein d'incidents où les autres ne lèvent pas le petit doigt pour aider la victime. C'est triste." Triste mais réaliste. « Tu viens d’ici ? Je viens d’arriver d’Angleterre. » Changement de sujet mais c'est agréable aussi. "New-York. Je suis arrivée il y a quelques semaines." Je lui souris et tente même un peu d'humour: "J'espère que tu n'es pas représentative du charme British parce que sinon, je vais réfléchir à deux fois avant d'aller en Angleterre si l'occasion se présente." Je la taquine et mon sourire le montre bien. J'espère qu'elle ne prendra pas ça mal car c'est juste une plaisanterie pour détendre l'atmosphère.

Je crois que je l'aime bien, cette Alexis. Elle a l'air pleine de vie, gentille, mais avec ce qu'il faut de cran pour ne pas se laisser bouffer par la vie et par les gens. J'admire la force qu'elle a l'air d'avoir en elle. Bien sûr, je ne la connais pas. Mais c'est ce qu'elle m'inspire aux premiers abords. Je me trompe peut-être. Qui sait? L'avenir me le dira. Mais pour le moment, c'est ce que je ressens envers la jeune femme. « Comme tu le sens mais si jamais tu as besoin de parler, n’hésite pas. » Je souris doucement, reconnaissante qu'elle n'insiste pas trop à ce sujet. Je lui confierais peut-être, plus tard. On verra comment se déroulera la soirée ou les jours à venir, si on se revoit. J'ignore ce que cette rencontre signifie, vers quoi elle va aboutir. Je ne m'attends pas à la suite. « Toi, t’as un chien.» Je fronce les sourcils et elle retire un long poil de ma veste. Je ris doucement en hochant la tête. « Un gros, je dirais même. » Quel sens de l'observation. "Un labrador. Je ne sors pratiquement jamais sans mon chien." Je souris alors qu'elle enchaîne sur les poils. « C’est une galère les poils, j’ai un chat et il y en a partout ! » Quelqu'un qui aime les animaux? C'est un bon point pour elle. Je cite une phrase de Lamartine: "On n'a pas deux coeurs, un pour les animaux et un pour les humains. On a un coeur ou on n'en a pas." Donc obligatoirement, elle marque un point. "J'adore les animaux. Même si c'est vrai que les poils peuvent être agaçant, il faut faire avec. Comment s'appelle ton chat?" Je lui adresse un sourire. C'est un bon moyen pour commencer à apprendre à se connaitre.

« Les gens qui ne bougent pas sont des lâches. C’est tout. Je ne vois pas d’autres explications. » J'hoche la tête, je suis tout à fait d'accord avec elle. Je n'ai rien d'autre à redire à ce sujet puisque j'adhère à ce qu'elle vient de déclarer. On change donc de sujet. Elle vient d'Angleterre, moi de New-York. Nous sommes toutes les deux des étrangères à Austin. « Trop chouette ! Je me sens moins seule d’un coup. » Je ris en acquiesçant. Je mentionne ensuite le charme anglais, ce qui la fait rire. Pari réussi. Pour une fois que j'arrive à être drôle et à avoir envie de plaisanter comme ça. « On est comme ça, nous les anglais. On frappe fort mais on est toujours là pour réconforter ensuite. » Je ris à nouveau. C'est agréable de rire. Ça fait du bien. Tellement de bien. « Tu devrais y aller, c’est super joli l’Angleterre. » "Je n'en doute pas... Pourquoi être venue ici, si ce n'est pas indiscret?" Elle a l'air d'aimer son pays alors je pense que c'est légitime que je lui demande pourquoi elle l'a quitté. « Tu prends un verre de vin avec moi ? » "Avec plaisir." On termine nos verres et on commande un verre de vin qui nous est rapidement servis. Je lève mon verre. "Aux étrangères d'Austin?" Je n'ai jamais été douée pour porter des toasts, ça doit se remarquer.

J'avoue qu'elle a vu juste. En même temps, pas compliqué quand un long poil dépasse de la veste. Je souris en la voyant faire une sorte de danse de la victoire avec les bras quand je lui confirme qu'elle a raison. « C’est rassurant les gros chiens, je comprends. Et puis, ça dissuade vite. » C'est vrai que ça dissuade. Je suis rarement abordée quand j'ai mon chien, à moins que des personnes aiment les animaux ou n'ont rien à se reprocher. Après tout, Kenna n'a rien de menaçant si on ne fait aucun mouvement brute envers elle ou moi. C'est un chienne des plus adorables. On en vient à parler de son chat et des poils en général. « C’est un véritable calvaire. Heureusement que la maison est en travaux et qu’elle n’est pas terminée pour le moment. Il en colle partout ce salopard. » Je ris en hochant la tête. Je comprends parfaitement que les poils sont agaçants mais malheureusement, quand on aime les animaux, on doit faire avec. On ne peut pas avoir l'un sans l'autre. A moins d'avoir un de ces chats qui sont nus peut-être? "Alors tu fais des travaux chez toi?" Je lui demande ensuite le nom de son chat. J'avoue être curieuse. « Ne te fous pas de moi, s’il te plait. » J'imagine déjà un nom bien tordu. « Il se nomme « Le chat », je sais, c’est totalement con mais ça lui va si bien. » Je me mets à rire. "Je m'attendais à tellement pire que ça. Même si je dois bien admettre que c'est totalement con." Je lui fais un petit clin d'oeil pour ne pas qu'elle le prenne mal.

« Oh non, ça n’a rien d’indiscret. », me répond t-elle quand je lui demande pourquoi elle a quitté l'Angleterre. « J’ai décidé de bouger. J’adore l’Angleterre mais elle me rappelle beaucoup trop de souvenirs de ma tante – Odile – et puis, j’ai décidé qu’il me fallait un nouveau jeu, un nouveau terrain pour m’amuser. » Encore une qui a décidé de fuir les mauvais souvenirs? "Il est arrivé quelque chose à ta tante Odile? Encore une fois, tu n'es pas obligée de répondre si c'est indiscret." Je ne veux pas qu'elle se sente obligée de répondre, tout comme je ne répondrais pas si je ne me sens pas apte à parler d'un sujet tout particulier. « Il me fallait de l’air frais et puis, j’ai rien à perdre. » J'hoche simplement la tête, comprenant parfaitement ce qu'elle veut dire. Moi non plus, je n'ai plus grand chose à perdre. « Et toi alors ? New-York ne te plaisait plus ? » Je souris doucement et décide de répondre honnêtement à la question. "Oh si. J'avais tout là-bas. Ma famille, mon travail. Mais comme toi, j'ai fuis de trop mauvais souvenirs." Je soupire doucement. "Prendre un nouveau départ. Ou en tout cas, essayer." Je ris légèrement avant qu'on ne porte un toast. « Aux étrangères d’Austin. » On fait tinter nos verres l'un contre l'autre puis on boit une gorgée. « Alors, t’as rencontré des gens ici ? » J'hoche la tête ne la regardant dans les yeux. "Quelques unes oui. Et toi? Tu t'es fais de nouveaux amis?" J'ai effectivement rencontré quelques personnes, certaines très sympathiques, d'autres un peu bizarres mais pas méchantes pour autant. Il faut de tout pour faire un bon et c'est cette diversité qui est justement intéressante.

Je crois que dans un sens, je l'admire. Alexis fait tout elle même, elle n'a besoin de personne pour se protéger, pour faire ce dont elle a envie. Elle est libre, indépendante. Alors que moi... Moi je suis dépendante de ce que l'autre crétin m'a fait. Je suis dépendante... Je crois que je suis encore dépendante de lui, même à cette distance l'un de l'autre. Parce qu'au fond, il a toujours cette emprise sur moi. Tant que je n'arriverais pas à me débarrasser de mes craintes, il aura toujours une main mise sur moi, sur ma vie, sur mes choix. Je n'ose pas faire certaines choses parce qu'il m'a traumatisée. Et j'ai beau en avoir totalement conscience, c'est dur de se séparer de ce calvaire, de l'oublier, de le mettre derrière soi et de faire les choix qu'on aurait avant ce qui s'est passé. Être dépendante de quelqu'un qui n'est même pas près de moi... C'est dingue, non? Et pourtant, c'est bien. Alexis elle, semble être tout le contraire. Alors oui, je crois que pour ça, je l'admire. « Oui, oui. J’ai acheté une petite baraque quand je suis arrivée. Je me suis mise en tête de la retaper entièrement, seule avec mes petits bras. » Je souris. C'est un beau projet. « Bon, je te cache pas que j’ai demandé un petit peu d’aide à Andrew. » Andrew, hein? « Il tient la casse dans le sud d’Austin, un mec adorable. » Serait-elle par hasard amoureuse de cet homme? Vu la façon dont elle parle de lui en tout cas, elle l'apprécie vraiment beaucoup. Innocemment, je demande: "Et c'est qui ce Andrew pour toi? Un ami ou... plus?" Moi aussi j'ai été amoureuse. Et vu la façon dont elle le mentionne... Je dirais qu'elle n'est totalement insensible à son charme. On mentionne ensuite nos animaux de compagnie. Kenna est l'amour de ma vie actuellement. «Mais tu verrais sa tête de con aussi, ça lui va trop bien de s’appeler comme ça. » Elle me montre une photo de son chat. Je souris en regardant la photo. J'adore les animaux. "Il est super beau ton chat! Je comprends pas pourquoi tu l'as appelé comme ça. Il aurait bien mérité un nom du genre... Rouxy, ou un truc comme ça." Je dis ça d'une voix douce, ce n'est nullement une critique de ma part. J'attrape mon téléphone et lui montre une photo de mon labrador. "Je te présente Kenna." Un beau labrador couleur beige. Ma sauveuse lors de ma détention. Mais ça, c'est encore une autre histoire.

On parle ensuite de sa tante Odile. « Oh, ça n’a rien d’indiscret. Elle est décédée il y a quelques années, et elle m’a élevé depuis que je suis petite. Vraiment petite. Elle a du me récupérer quand j’avais 3 ou 4 mois je crois. » Waouh. Elle a eu de la chance d'avoir une tante pareille alors. « J’connais pas mes parents mais Odile m’a élevé correctement, de façon à n’avoir besoin de personne. » Je souris, elle a l'air de tellement bien vivre les choses. C'est fou. "Et bien, je ne connais pas ta tante Odile mais quelque chose me dit qu'elle devait être très fière de toi et qu'elle aurait continué à l'être." Je ne dis pas ça pour être gentille, je le pense. Si sa tante l'a élevée de façon à n'avoir besoin de personne, vu ce que j'ai vu et appris ce soir, mon petit doigt me dit qu'elle a réussit à l'élever comme elle le voulait. Je bois une gorgée de mon vin. « J’espère que tu y arriveras ma biche. » Moi aussi je l'espère. « Plus ou moins. Je ne sais pas si j’ai rencontré de nouveaux amis mais j’ai rencontré quelques personnes assez sympathiques. » J'hoche la tête. Je comprends ce qu'elle veut dire. J'ai rencontré des personnes très sympathiques mais quitte à devenir amis, ça, c'est autre chose. « Tu fais quoi dans la vie, au fait ? » Mon métier, ma passion. "Je suis éditrice. Et toi?" Alexis s'est confiée à moi sans tabou, sans que mes questions ne la gênent. Se pourrait-il que je puisse, pour une fois, en faire de même? Parler à quelqu'un d'autre qu'à un psy? "J'ai été mariée. A New-York." C'est déjà un bon début, j'imagine. Non? Il faut bien commencer à quelque part, je ne peux pas lui balancer ce qu'il m'a fait subir comme ça, comme on lancerait un ballon à quelqu'un. Je pense qu'il faut le faire subtilement, avec tact, en quelque sorte. Ce n'est pas quelque chose que l'on met facilement sur le tapis.

Je la trouve mignonne. Sous ses airs de dure à cuire, elle a l'air bien plus sensible que ça. Elle rougit quand on parle d'Andrew et que je lui demande ce qu'il représente pour elle. Je suis curieuse, peut-être même indiscrète, mais qu'y puis-je? Si on veut apprendre à connaître quelqu'un, il faut parfois oser poser des questions, même si elles peuvent paraître très personnelles sur le coup, surtout qu'on ne se connait pas. « Hein ? Ah, euh, je sais pas trop.. Un ami avec un plus peut-être ? » Peut-être? Elle n'est pas sûre de ce qu'il représente pour lui. « J’sais pas, on se cherche beaucoup mais j’sais pas si ça donnera quelque chose » Je souris en la regardant. C'est mignon. L'innocence d'un début d'une relation, quand on ignore vers quoi on va, loin de la routine dans laquelle un couple risque de s'installer tôt ou tard. Une relation pleine de surprises, quand deux personnes se cherchent mutuellement. "Tu ne sais pas si ça va donner quelque chose mais tu aimerais que ça devienne sérieux?" Je me rends compte que je pose des questions vraiment de plus en plus personnelles et intimes. "Désolée, je suis vraiment très curieuse." Je ris légèrement avant de boire une gorgée de vin. La conversation tourne vers son chat qui s'appelle "Le Chat". « Moi j’trouve que ça lui va bien. Et puis, c’est rigolo » C'est vrai que c'est amusant mais je suis d'avis qu'un animal a droit à un prénom, histoire de montrer qu'il fait vraiment partis de la famille. Je suis très attachée aux animaux, je suis peut-être un peu trop "idéaliste" ou je ne sais pas. Après, il a un prénom, même s'il est bizarre. « Mon diiiiiiiiiiiiiiieu ! Elle est magnifique ! » C'est vrai que Kenna est magnifique. Elle n'était pas tout à fait comme ça quand je l'ai eu mais on s'est sauvé mutuellement et voila le résultat. « Tu m’étonnes que t’aies autant de poils de chien sur tes fringues avec cette grosse bouille. » Je ris en hochant la tête. "C'est vrai. Elle est belle. Mais elle a pas toujours été comme ça. Et puis, elle a rien à envier à ton chat qui est très beau aussi." De toute façon, à mes yeux, tout les animaux sont magnifiques alors...

« Je pense que tu l’aurais adoré, et elle t’aurait adoré aussi je pense. Mais merci en tous cas, Heather. Ca m’fait chaud au coeur. » Ce qu'elle me dit là me fait sourire mais me gêne aussi un peu. Ça me touche beaucoup. "De ce que tu me dis d'elle, ça avait l'air d'une femme bien. J'aurais aimé la rencontrer." Jusqu'à maintenant, je ne regrette vraiment pas ma rencontre avec Alexis et si ce qu'elle me dit d'Odile est vrai, elle devait être une sacré femme. Je lui indique je suis éditrice. Sa réaction est un peu étonnante. « Wooooooooow. Mais c’est trop génial ! » C'est génial oui. J'ai toujours voulu travailler là-dedans, j'ai la chance de vivre de ma passion. Tout le monde ne peut pas en dire autant, bien au contraire même. « Mh, je gère une galerie qui fait maison d’artiste aussi en Angleterre. J’ai mis la maison d’Odile à disposition des artistes qui veulent percer dans le milieu. J’ai pour objectif de faire la même chose ici, ou du moins, de les amener ici » Waouh. Ce qu'elle fait me paraît très intéressant. "Je ne suis pas très manuelle mais j'apprends vite. Si jamais tu veux un coup de main un jour, n'hésite pas. J'ai la chance de pouvoir gérer mon emploi du temps comme bon me semble, ce qui me laisse autant de temps libre dont j'ai besoin." Il est vrai qu'à part de la décoration, je n'ai jamais retaper quoi que ce soit. Mais si je peux aider, je ne dis jamais non et puis, il n'est jamais trop tard pour apprendre à faire des choses. "Ce que tu fais a l'air carrément génial." Je suis bien plus enthousiaste que je ne l'aurais cru. Je lui lâche alors une bombe. Puisqu'on en est aux confidences, je juge que c'est le bon moment... « Je suppose que tu n’es plus avec ici ? » Je secoue simplement la tête en guise de réponse avant de boire une gorgée de vin. « Attends, me dit pas que t’as quitté New-York à cause de lui quand même ? » Je plaide coupable. "Hum... En partie. Mais c'est pas aussi simple que ça..." Comment dire à quelqu'un qu'on vient de rencontrer ce que son ex-mari nous a fait subir? "Je vais te lâcher une autre bombe... Alors..." Je commande un autre verre de vin pour chacune. "Comment dire ça...? Mon mari m'a fait kidnapper et m'a torturée pendant des semaines... Donc... Quand j'ai pu partir de New-York, je suis partie... Il est en prison mais j'ai dû fuir les mauvais souvenirs, en quelque sorte..." C'est le résumé court de ce qu'il s'est passé. Je n'ose pas trop lui donner de détails, à elle de voir si elle les souhaite ou non. Je bois une autre gorgée de vin avant de reposer mes yeux sur elle.

Elle me fait rire. Non, je ne me moque pas d'elle. Je la trouve adorable et autant contradictoire que logique. Je comprends son point de vue mais je sais aussi qu'on a beau avoir des avis bien tranchés, parfois, le coeur l'emporte sur la raison. « Je t’avoue que je n’y ait pas forcément réfléchi, Heather.. Je me doute qu’Andrew doit avoir pas mal de nanas qui lui courent après et puis, j’ai pas envie d’avoir un fil à la patte. Je préfère qu’on se voit de temps en temps et que tout se passe bien plutôt que de tomber dans une routine horriblement chiante et désespérante. » Il est vrai que certaines personnes ne sont pas faites pour la vie de couple, pour la routine. Mais il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas obligés de nous enfermer dans cette fameuse routine chiante et désespérante comme le dit si bien Alexis. La flamme, elle s'entretient. Il y a toujours du piment à rajouter dans un couple pour ceux qui aiment les sensations fortes et n'aiment pas être casaniers ou enfermés dans leurs rituels. "C'est pas obligé que ce soit une routine qui s'installe..." Je dis ça de manière tout à fait innocente. On aurait pu me mettre une auréole au-dessus de la tête. Je n'essaie pas de l'influencer mais je parle par expérience. La flamme s'entretient, c'est tout. C'est une vérité. Et pour l'entretenir, j'avoue qu'il faut éviter trop de routine. Il en faut aussi un peu, je pense, pour le côté sécurité de la relation etc... mais comme dit, rien n'empêche de pimenter les choses. « Il m’emmerde avec ses beaux yeux, bordel. » Là, je ne peux plus m'en empêcher et je me mets à rire. "Tu craques totalement pour lui en fait." C'est chou. Je m'excuse d'être trop curieuse et elle me répond simplement que non, je ne le suis pas. On parle ensuite de nos animaux de compagnie et on se montre des photos. « Ils sont tout aussi beaux l’un que l’autre, à leur manière. » J'hoche la tête avec un grand sourire aux lèvres. Parler de mon chien, ou des animaux en général, j'adore ça. Mais on ne peut pas parler que de ça malheureusement dans la vie. "Je suis tout à fait d'accord avec toi.", je conclus en souriant. Il est temps pour nous de changer de sujet avant qu'on ne nous prenne pour deux tarées d'animaux.

Le sujet dévie sur sa tante Odile. J'informe très honnêtement Alexis que j'aurais beaucoup aimé la rencontrer et que de ce qu'elle me dit, elle avait l'air d'être une femme bien. « Oh oui, elle l’était. D’une bonté et d’une gentillesse sans pareille. Et intelligente en plus. » Ça se voit comme le nez au milieu de la figure qu'elle tient beaucoup à elle et j'imagine qu'elle doit énormément lui manquer depuis son décès. "Elle doit beaucoup te manquer." C'est dur de perdre quelqu'un qu'on aime. « Ce serait avec plaisir mais pour l’instant, je m’occupe de la maison, ensuite je m’occuperais du reste. C’est déjà compliqué. Pas besoin d’être manuelle, en plus. Punaise, c’est vachement cool ça. » J'hoche la tête en souriant, tout simplement. "Et bien si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésites pas." Peu importe que ce soit pour les travaux de la maison ou quoi que ce soit d'autre. Attendez... Je la connais même pas cette femme. Pourquoi je lui propose de l'aider? Allez savoir. Je l'aime bien. Et si on donne pas suite, on ne peut pas savoir si une relation amicale peut naître ou non.

« Bordel de merde. » Je bois une gorgée de mon verre de vin puis deux. En parler me soulage, aussi étonnant que ce soit. J'ai eu du mal à me lancer mais maintenant que c'est fait, ça fait du bien. "Comme tu dis..." C'était un gros bordel aussi à cette époque là, si je puis dire. « Je comprends que tu sois partie, putain. » Je souris tristement. Il m'a quand même tout pris ce type. Ma liberté pendant un temps. Ma famille et mes amis qui sont restés là bas. Mes collègues, même si je travaille toujours pour et avec eux. Ma dignité. Ma confiance en moi. La preuve. Il a toujours une forme d'emprise sur moi, même après tout ces mois passés depuis qu'ils m'ont sortis de l'enfer dans lequel il m'avait plongée. « Mais, c’est un psychopathe, hein. J’espère qu’il va y rester. » "Moi aussi j'espère qu'il va y rester... Si un jour il sortait, je sais pas ce que je ferais..." Une chose est sûre, il va me traquer et me faire payer de l'avoir fait enfermer. Et si ça devait arriver, je ne suis pas sûre de pouvoir gagner du temps en lui mentant parce que cette fois-ci, je doute qu'il prenne des semaines à me torturer... A mon avis, s'il sortait un jour de prison, il me ferait la peau. Très clairement. "Tu vois, j'admire ton assurance... Moi je l'ai totalement perdue et... Ce type m'a tout pris. J'essaie de récupérer petit-à-petit tout ça mais... C'est vraiment pas chose aisée." Parler de mes problèmes de confiance, de tout ça, ça me soulage. Et j'ai l'impression que je peux tout lui dire à cette femme, qu'elle ne me jugera pas.

Je n'aurais jamais pensé rencontrer une personne comme Alexis en mettant les pieds dans ce bar ce soir. Je pensais ne rencontrer personne en fait. Je ne regrette pas d'avoir franchis une ligne et d'avoir mit ma peur de côté pour une fois. Parce que je crois que mon cercle social s'agrandit et ce n'est clairement pas pour me déplaire. « Oui, c’est sûr.. Mais j’veux pas perdre mon essence et encore moins la sienne, tu vois ? » Je souris doucement en hochant la tête. Je comprends ce qu'elle veut dire. J'aurais tendance à dire qu'on ne perd pas son essence parce que mon ex-mari n'a rien perdu de la sienne durant notre relation: il est resté le même criminel psychopathe, menteur et manipulateur qu'avant qu'on se rencontre. Mais je sais par écho que certaines personnes se sont en quelque sorte perdues dans leur relation et ont oublié qui elles étaient réellement, au fond d'elles-mêmes. Seulement, ma nature plus ou moins optimiste - tout dépend des jours - aurait tendance à croire que ce n'est pas une fatalité et qu'il y a une solution à ça. "Je comprends ce que tu veux dire. Mais je pense que si vous avez tout les deux l'espace qu'il vous faut, l'espace nécessaire à chacun d'entre vous pour exister, sans mettre l'autre de côté pour autant, vous ne devriez pas vous perdre. Enfin... Pour ce que j'en sais hein." Je ris doucement. Je me permets de donner des conseils, ou des trucs comme ça, alors que je suis mal placée pour le faire. Et puis finalement, y a t-il une solution miracle? Je ne sais pas. Si quelqu'un a la recette, qu'il le dise. Quoi qu'il en soit, elle a l'air totalement accro à ce mec et je pense sincèrement que ce serait dommage de prendre le risque de passer à côté d'une relation qui pourrait s'avérer merveilleuse par crainte de "perdre leur essence". Entre autres choses. « N’importe quoi. Pffff. J’craque pas du tout pour lui. » Je ris en levant les yeux au plafond et je n'ajoute rien d'autres. Elle le réalisera bien par elle-même tôt ou tard.

« Si tu savais.. » Oh mais je sais. J'ai perdu des êtres chers aussi et ils me manquent à chaque jour qui passe. Même si le manque devient différent au fil du temps, il reste toujours là, tapis dans l'ombre. « Mais je suis sûre qu’elle fait la nouba là où elle est. » Je souris et lève mon verre pour trinquer à leur fête céleste. "Je lève mon verre à leur nouba alors. Qu'ils boivent à notre santé et on boit à la leur." Je mets au pluriel pour mentionner mes êtres chers par la même occasion. « Merci ma belle, je te promet de t’inviter quand elle sera terminée. Tu rencontreras le fameux mâle comme ça. » Je souris doucement et accepte sa main sur la mienne. Peut-être parce que je commence à apprendre à la connaître et que je crois que c'est une femme bien. Encore une mention du fameux Andrew, hein? Je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu'elle réalise ce que je ne cesse de lui dire depuis que je connais son existence. « Putain, t’as raison. Je l’ai dans la tête ce type. » Je ris en la regardant prendre conscience de la chose. "Qu'est-ce-que je te disais?" Je ne parle pas de son invitation. Les gens, le monde, c'est plus mon truc. Mais qui sait? D'ici là, j'aurais peut-être progressé après tout. Alors pourquoi pas?

Je lui parle de mon ex-mari. C'est la première fois que j'en parle à quelqu'un d'autre que mes parents ou mon psy. Ça me fait bizarre. Mais c'est assez libérateur aussi. Elle reprend ma main. Je ne dis rien. « T’as tellement de courage ma belle.» Du courage? Je ris nerveusement. Je ne suis pas sûre qu'on puisse dire que j'ai du courage. Je le laisse gagner en ne réussissant pas à avancer. Il a beau être derrière les barreaux, je suis tout autant enfermée que lui. D'une autre manière, mais ça revient presque au même. "Je ne sais pas si on peut dire ça..." Puis je mentionne le fait que je ne sais pas ce que je ferais si il sortait de prison. « Bha déjà, il sait pas que t’es ici. Ensuite, j’irais lui péter la gueule. » Je souris en la regardant. Elle est gentille. Mais elle ne sait pas à qui elle a à faire. "Il ne sait pas mais je pense qu'il mettrait tout en oeuvre pour me retrouver et me faire la peau cette fois. Il est rancunier. Si je ne suis pas dans un cercueil c'est uniquement parce que j'ai réussis à gagner du temps pour qu'on me retrouve." Et c'est vrai. Si je n'avais pas mentis sur une copie des documents compromettants, je ne serais déjà plus de ce monde depuis longtemps. Je lui dis que j'admire son assurance. « Heather, t’es partie de New-York. Déjà, c’est une preuve de courage. Une grosse même. Et puis.. Il faut du temps pour ces choses là, tu t’en doutes bien. Ca se retrouve pas en un jour mais je pense que t’es assez maline pour le savoir. » Je le sais oui. Je le sais très bien. "Je suis pas sûre d'être partie par courage. J'ai surtout fuis les mauvais souvenirs et les regards qui en disent long. La pitié des gens de mon travail, de ma famille et de mes amis, pour ceux qui restaient dans la course en tout cas, j'en avais assez. Et... La vérité c'est que je pensais que ce serait plus facile de retrouver une vie normale loin de cette ville..." Je soupire en haussant les épaules et boit quelques gorgées de mon verre. Alors, est-ce vraiment par courage que je suis partie? Personnellement, j'aurais plutôt tendance à dire par facilité ou lâcheté. « En plus ! Regarde, tu t’es fais une nouvelle copine ! » Je ris en la regardant et en hochant la tête. « T’es bien plus forte que tu le penses alors fonce ! » J'ai envie de croire qu'elle a raison mais c'est plus facile à dire qu'à faire, il faut bien l'admettre. "J'essaie... Mais une fois qu'on a perdu la confiance, elle n'est pas si simple à retrouver. C'est comme quand tu arrêtes de faire confiance à une personne, elle doit galérer pour que tu la lui accordes à nouveau. Et bien là c'est pareil sauf que la personne, c'est moi-même." Ouais, ça devient compliqué. "En tout cas, je suis contente de t'avoir rencontrée." Je lui adresse un sourire sincère.

Je me sens bien en compagnie d'Alexis. Je me sens un peu rassurée de ne pas être seule dans ce bar. Je dois admettre que je ne pensais pas - en venant ici - que je me ferais une amie. Je pensais même pas réussir à rester plus de cinq minutes, ce qui a faillis se produire. Si la jeune femme n'était pas intervenue, je serais repartie d'ici en un claquement de doigts, en moins de temps qu'il n'en faut pour dire ouf. « Oui, tu as sûrement raison. Et puis, il est grand, moi aussi. On devrait pouvoir se débrouiller, enfin, j’espère. » Je souris en la regardant. Je comprends ce qu'elle veut dire. Passer à une étape supérieure, ça risque de changer des choses entre eux, c'est certain. Mais c'est parfois pour le meilleur. Ça ne veut pas dire qu'ils vont perdre ce qui a fait leur relation au début, même si c'est vrai que c'est un risque à prendre. La vie est faite de risques après tout. Il faut oser en prendre si on veut avancer. Dixit celle qui a une peur panique de prendre ce qu'elle considère être des risques comme sortir seule sans son chien. Je ne suis pas sûre d'être crédible pour le coup. Elle me donne un coup de coude. Ça se voit qu'elle craque pour lui, c'est comme ça. Je ris quand elle reprend la parole: « Chut, hein. » J'hoche la tête. "Motus et bouche cousue." Je fais celle qui ferme sa bouche de sa main. De toute façon, même si je voulais le dire, je n'aurais personne à qui tout raconter. En plus, je peux être une tombe pour garder les secrets des autres. On rit quand elle mentionne à nouveau Andrew et qu'elle constate à voix haute qu'elle l'a bien ancré dans sa tête. « Ca va, hein. » Honnêtement? Ça fait longtemps que je n'ai pas ris comme ça, et encore moins en parlant de garçons. Comme quoi, la vie est pleine de surprises.

Je lui avoue que je ne sais pas si on peut parler de courage. « Comment ça ? » Je soupire doucement en regardant mon verre. "J'ai fuis. Une fois que le procès a été terminé, que mes séances chez le psy ont été finies, je suis partie. En deux temps trois mouvements, j'ai pris mes cliques et mes claques et je suis partie. C'est un peu lâche aussi, si on y pense." Je fais la moue. C'est vrai que j'ai pas essayer de reprendre une vie normale là-bas. Je suis restée à New-York parce que j'étais témoin et que je devais voir un psy. Sinon, je serais partie dés que j'aurais pu sortir de l'hôpital. J'ai pas essayé. J'ai choisis de fuir parce que pour moi, c'était ce qui me paraissait le plus simple. « Je ne sais pas mais j’ai un très bon magnum qui pourrait lui aérer le cerveau. » Je souris doucement et relève les yeux vers elle. "Promets moi de ne jamais t'en servir contre lui. Il n'en vaut pas la peine." Même si en y réfléchissant bien, je ne serais sûre d'être à l'abris de lui qu'une fois qu'il sera mort, ce qui en théorie ne devrait pas arriver avant de nombreuses années. « Promet moi de me le dire si jamais il sort, s’il te plait Heather. » Alors on va garder contact elle et moi? C'est vraiment le début d'une amitié? A croire que oui. Je souris en hochant la tête. "Je te le promets." J'espère être mise au courant si ça devait arriver d'ailleurs. Elle prend ma main dans la sienne. « Peu importe, tu l’as fais pour toi. La vie n’est pas mieux ici ? Tu es loin, personne n’est au courant, tu peux vivre normalement. Tu peux faire en sorte d’aller mieux, ici. New-York est à des milliers de kilomètres. » C'est gentil, mais si facile que ça non plus. "Je pourrais habiter à l'autre bout du monde que ça ne serait pas plus facile de reprendre ma vie en mains. Tu sais... Il est toujours là-dedans..." Je lui montre ma tête en tapotant deux-trois fois sur ma tempe de mon index. C'est la première fois que je dis à voix haute qu'il est encore dans ma tête. « Je suis sûre que le travail payera, Heather. » Je souris encore plus en voulant me montrer aussi convaincue qu'elle même si au fond, je n'en suis pas si sûre. Je l'espère de tout mon coeur mais espérer n'est pas toujours suffisant. J'avoue que je suis contente de l'avoir rencontrée. « Figure toi que moi aussi ! » C'est réciproque et tant mieux! « Tiens, d’ailleurs. Maintenant que j’ai une amie, je ne veux pas la perdre. » Elle me tend son téléphone que je prends mais avant d'y inscrire mon numéro, je lui demande: "Tu ne fais pas ça à cause de ce que je t'ai raconté hein?" Certaines personnes ont de la pitié pour celles qui ont un passé comme le mien. Je veux juste m'assurer que ce n'est pas son cas. Elle a l'air très honnête et rentre dedans, donc ça m'étonnerait qu'elle fasse partie de ces gens là mais ne sait-on jamais! J'y inscris ensuite mon numéro. "N'importe quelle heure du jour ou de la nuit." Je lui rends son téléphone.

Je ne m'attendais pas à une réaction pareille de la part d'Alexis. D'accord, je dois avouer que me traiter moi-même de lâche, c'est fort. Le mot utilisé est assez puissant. Mais ce n'est pas de ma faute si c'est ce que je ressens au plus profond de moi. « Heather, arrête. Tout le monde aurait fait la même chose que toi. Ca m’parait totalement dingue de pouvoir rester dans une ville où on a subit des choses horribles. Ce n’est pas lâche de fuir, c’est totalement normal dans ton cas ! Qui ne l’aurait pas fait ?! » Elle est virulente, elle a les sourcils froncés et je baisse mon regard quelques secondes. Je prends ce temps pour penser à ce qu'elle a dit. Peut-être qu'elle n'a pas tort. Après tout, peut-être que je prends ça trop à coeur, que je ne me rends pas compte que c'était une réaction normale. Je fais la moue en relevant les yeux vers elle. "Tu as peut-être raison..." Je ne suis pas encore convaincue à cent pour cent, mais disons que c'est plus près des cinquante pour cent alors qu'avant, c'était le seuil zéro. Il y a du progrès, non? «Juste une couille, s’il te plait ? Une toute petite couille. » Je me mets à rire en hochant la tête. Finalement, ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée. "D'accord, t'auras le droit de le castrer." J'avoue que ça me ferait même plutôt plaisir de le savoir castrer et de le voir souffrir comme j'ai souffert dans cet entrepôt miteux.

« C’est normal, poupée. Mais tu travailles là dessus, tu vas passer dessus et il le faut parce que la vie doit continuer. Tu dois continuer et ne pas te laisser abattre à cause de ce fils de pute, Heather. C’est ta vie. Tu fais ce que bon te semble, pour toi. Personne n’a le droit de se mettre en travers de ton chemin. » Elle a raison, je le sais. Mais c'est tellement plus facile à dire qu'à faire. Je lui adresse cependant un sourire franc et sincère. Je vais travailler dessus, c'est ce que j'essaie de faire au fur et à mesure, autant que possible. "Personne n'a le droit de se mettre en travers de mon chemin, c'est ma vie." Je répète ça comme une sorte de mantra. J'espère qu'en me le répétant plusieurs fois, ça rentrera dans ma petite tête et ça m'aidera à assurer et à passer à autre chose. « Comme si tu m’inspirais de la pitié ? Nop, pas mon genre, chérie. Mais entre nanas, on doit se serrer les boobs. » Je ris en la regardant. "C'est toi qui vas serrer les miens, tu les as plus gros." Je dis ça de manière innocente. C'est juste une petite plaisanterie. On a parlé d'assez de sujet sérieux pour la soirée. Je crois que les bombes ont été lâchées et qu'on peut essayer de passer à autre chose. Alors je tente de l'humour, même si je ne suis pas toujours très douée pour ça. « Toi aussi. Quand tu veux. » Je rentre le nouveau contact dans mon téléphone en souriant. Ma première vraie amie en ville. C'est plutôt cool. Elle nous commande deux autres verres et lève le sien. « A nous deux ! » Je lève le mien vers elle à mon tour. "A une amitié naissante." Je bois une gorgée. "Tu sais que je dois rentrer chez moi après? Faut que je retrouve mon appartement." Je ris. Je ne suis pas encore saoûle, c'est juste histoire de détourner la conversation des sujets sérieux dont je ne veux plus parler pour le moment.

Je comprends ce qu'elle veut dire et je sais qu'elle a raison. Mais parfois, la raison n'est toujours suffisante à convaincre un cerveau un peu trop borné. M'enfin, j'abdique parce qu'au plus profond de moi, je le sais que c'est vrai. Je sais que rester aurait été horrible et que je ne l'aurais sûrement pas supporté. « Bien sûr que j’ai raison. Tout le monde serait parti dans ton cas, et puis, t’imagines le regard des gens s’ils t’avaient reconnu dans la rue ? Ce regard aurait encore plus compliqué la tâche, ils t’auraient rappelé, à chaque fois qu’ils posaient le regard sur toi, ce que t’avais subit auparavant. Je comprends que tu sois partie, personne ne te jugera là dessus Heather. Tout le monde aurait fait pareil, chérie. C’est normal et tu n’as pas a te considérer comme lâche ou quoi que ce soit. T’es humaine, c’est tout. » Humaine... Oui. C'est ce qui me différencie de Max d'ailleurs. Je suis humaine. Lui, je crois qu'il a vendu son âme au diable il y a bien longtemps. Puis oui, j'avoue que le regard des autres aurait aussi été difficile à gérer. Beaucoup trop difficile pour mon petit et fragile esprit. "Merci Alexis. Tu sais trouver les mots." Elle peut paraître un peu brute de décoffrage mais c'est exactement ce dont j'ai besoin. J'ai besoin qu'on ne me prenne pas en pitié. J'ai besoin qu'on me dise les choses cash, même si sur le coup, je risque de le prendre comme une claque. Alors oui, je la remercie. Je l'autorise ensuite à castrer mon ex-mari et ça semble lui procurer un peu trop de joie. Je ris quand même en la voyant lever les bras et dire: « Ouiiiiiiiiiiii ! ».

« Personne n’a le droit de te mettre en travers de ton chemin. Personne. » Je l'ai répété comme un mantra et j'adresse un sourire à Alexis en hochant la tête. Non, personne n'a le droit de me priver de ce dont j'ai droit. Elle parle ensuite de se serrer les boobs et je place une petite blague en mentionnant que les siens sont plus gros. « Mais non, c’est parce que j’ai tout mon attirail dedans. Portefeuille, téléphone, clopes. » Je ris alors qu'elle sort son téléphone d'entre ses seins justement. "T'arrive à mettre tout ça là-dedans?" Je ne l'ai jamais fait, pour être honnête. J'ai toujours mon sac sur moi, c'est un réflexe. Je devrais peut-être essayer, c'est moins encombrant qu'un sac à mains. On lève ensuite nos verres à notre amitié. « A notre amitié mon p’tit chat ! » Et on boit un coup, simplement. Avant que je ne parle de rentrer. « Ca va, j’ai la voiture au pire. Sinon, j’appellerais le brun. Et au pire, on rentrera en taxi. » Je ris parce qu'elle fait encore référence à son cher Andrew. "Encore ce brun! Vous vous êtes rencontré comment?" Question qui dénote peut-être du reste de la conversation mais c'est une question qui vient de s'imposer à mon esprit alors il faut que je la pose avant de l'oublier.

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