Je devais être en congés et passer du temps avec Théo à la sortie de l'école mais il a attrapé une forte fièvre. J'ai téléphoné à maman la veille pour la prévenir que je ne le déposerais pas chez elle et que j'allais rester pour m'occuper de lui. Elle a débarqué à la maison, et après un petit scandale dont elle a le secret, j'ai été bien forcée d'abandonner la lutte. Elle voulait que je prenne cette journée que moi. J'ai donc cédé et déposais le poussin chez elle le lendemain matin seulement. Je suis restée là-bas un long moment, peu décidée à décoller, et maman m'a juste fichue à la porte:

-Et tu ne reviens pas avant l'heure du goûter, ce n'est pas négociable!

Je suis sûre que Neil aurait été d'accord avec elle si je le lui avais dit. Ou risqué de perdre sa journée juste pour veiller sur Théo. De toute façon je suis quasiment sûre que maman l'a appelé dans mon dos et qu'ils se sont arrangés entre eux.

La porte claquée au nez, je n'ai d'autres choix que d'obéir. Je rentre à la maison, mais rien n'y fait, je ne me sens pas bien de ne pas pouvoir m'occuper de mon petit garçon et c'est sans conviction que je pars me changer les esprits à la piscine avant le déjeuner.

Je vais nager, et cela me fait du bien, puis au bout d'une petite heure, je sors de l'eau, les doigts tous fripés, et m'enroule dans une serviette de bain, en culpabilisant encore. Je m'installe sur un transat et soupire, pensive, quand j'entends une voix geignarde me parler sur un drôle de ton:

-Et la pétasse! Dégage, c'est ma place!

Je regarde à droite, à gauche du transat, et aucune serviette ou aucun sac n'y est posé. Je réponds avec le plus de calme possible:

-Je ne vois aucune de vos affaires ici. Et merci de rester polie.
-Et alors! C'est ma place, je viens tous les jours, et je m'installe là d'habitude, alors tu vires ou c'est moi qui te vires!

J'arque un sourcil. Je me lève pour me mettre à sa hauteur et la regarder bien droit dans les yeux. Je vois le sourire satisfait qui s'inscrit sur ses lèvres. Elle pense probablement avoir gagné la partie puisque je me suis levée.

-Ecoutez-moi bien, je ne sais pas ce qui vous a laissé pensé que vous étiez une privilégiée, mais cette place ne vous est pas attitrée. Choisissez-en une autre!

Et voilà qu'elle m'attrape les cheveux, rageusement et me donne une gifle. Autant dire que c'est la goutte de trop, je ne compte pas me laisser faire. Mon poing s'écrase sur son joli nez refait, et deux mains agrippent ma taille de derrière, comme pour m'empêcher de continuer, tandis qu'une autre ramène en arrière la pimbêche avec son nez en sang:

-Lâchez-moi! Je vais me la faire!

Je vois bien que l’autre pleurniche sur son nez, et je me dis que c’est probablement son outil de travail vu comment elle a l’air de tenir à son apparence,  mais je m’en moque, après tout, elle n’avait eu que ce qu’elle méritait, et je n’allais pas me laisser dicter ma loi par une bimbo défraîchie qui pense que la Terre lui tourne autour.

Si un tiers n’était pas intervenue, je pense qu’elle aurait pris plus cher que ça. D’ailleurs, au début, je me mets à gesticuler pour me défaire de l’étreinte, en même temps vu que je n’aime pas être touchée par des inconnus, encore moins quand je suis en maillot de bain, mais je dois bien dire que la personne qui me maintient en respect a une sacrée poigne.

J’arrête cependant bien vite de me débattre, quand j’entends les mots Texas Ranger et arrêter. Si cela ne me calme pas les nerfs, ça a au moins le don de me court-circuiter le cerveau en en rappelant ma famille à mon bon souvenir. Je ne voulais ni les décevoir, ni être séparée d’eux et aller en prison. Et pour le travail, n’en parlons même pas.

C’est bien tentant, de partir de nouveau en live quand la pimbêche me lance un regard sournois pour se payer ma tête et me provoquer juste avant de se faire entraîner par le maître nageur pour des soins, mais je n’ai pas envie que la dame qui avait prononcé ces paroles mettent ses menaces à exécution.

-Si vous voulez que je me calme, lâchez-moi tout de suite… S’il vous plaît.

Je le siffle entre mes dents serrées car je suis encore sous le coup de l’énervement et surtout parce que j’ai de plus en plus de mal à supporter qu’on me retienne. C’est comme si j’allais étouffer. Je me suis d’ailleurs arrêtée de me débattre dés lors que la femme nous a demandé de revenir au calme.  J’espérais que l’effort n’était pas passé inaperçu, m’attendant à un minimum de subtilité si la personne est bien réellement ce qu’elle prétend être.

Je ne sais pas comment j’allais gérer mes nerfs quand elle me lâcherait, mais en attendant, je me contenais encore un peu.

-S’il vous plaît… Je n’aime vraiment pas qu’on me maintienne de cette façon, ça me rend folle.  

Je me sens bien mieux une fois que la jeune femme m’a relâchée et avec l’autre peste hors de ma vue. J’ai la sensation de reprendre le contrôle et même si je ne suis pas super calmée pour autant, c’est un bon début. Je souffle un bon coup et me retourne pour voir à qui je dois rendre grâce de m’avoir empêché de finir au poste de police du coin.

A ma grande surprise, moi qui m’attendais à me retrouver face à une nana au physique de catcheur, je découvre une dame, très jolie au demeurant, très bien conservée et bien proportionnée, certes musclées mais sans que ça soit à outrance. En attendant, elle a une sacrée force.

Ce constat plus la surprise de recevoir un compliment à un acte assez répréhensible, même en cas de légitime défense, ont le don de me recadrer et même si je ne suis pas encore calmée, je redescend d’un bon étage.

-Euh…

Je ne suis pas bien sûre si je dois répondre un merci ou s’il vaut mieux m’en tenir au silence mais comme elle enchaîne juste après sur les conséquences de mon acte, je dois dire qu’il n’est pas difficile de choisir.

J’avoue que la dame marque un point, je n’ai pas eu le temps d’envisager ce cas de figure, car trop aveuglée par ma colère.  Ce n’est que quand elle se présente et se recule que je remarque que durant quelques secondes, j’ai presque arrêté de respirer. Je me présente à mon tour :

-Et bien moi c’est Kathlyn Espinosa, et merci pour ce que vous avez fait… Me séparer, la carte, la proposition de témoigner… J’avoue que la demoiselle a l’air d’aimer chercher les ennuis et je n’aimerais pas être séparer de mon fils parce que je ferais de la prison ou devoir payer une amende salée.

Truc que je ne pourrais pas me permettre non plus.

- Je ne sais pas comment vous rendre la pareille en fait ? Si vous voulez, j’ai quelques gâteaux à grignoter… Et sinon… Vous êtes avocate ou… ? En fait, j’aurais vraiment besoin de me défouler, donc si ça vous dit, on peut aussi faire quelques longueurs, sinon je crois que je ne vais pas réussir à me vider l’esprit…A la base j’étais là pour essayer de me détendre un peu…

Et comme c’est rare que je me le permette, je n’avais pas envie de me laisser gâcher la journée comme ça. J’aurais bien proposé de venir dîner à la jeune femme aussi, c’est ce que Théo aurait proposé automatiquement :

-Et euh… Vous aimez manger épicé ?

Peut-être que je pourrais lui apporter un petit plat mexicain sur son lieu de travail un de ces jours, pour la remercier. Avec sa carte professionnelle, si tant est qu’il y ait une adresse indiquée dessus, cela ne sera pas difficile de le lui apporter.

Je secoue la tête, et j’ai presque envie de me gifler quand elle me rappelle qu’elle est Texas Ranger. J’étais tellement empêtrée dans mes émotions que je ne m’en suis pas souvenue. Et c’est vrai que quelque part, même si je pourrais me montrer sceptique comme cela peut m’arriver à bien des moments, je dois bien reconnaître qu’avec la facilité avec laquelle elle m’a maîtrisée laisse peu de place au doute. Elle pourrait faire du karaté, ou quelque chose dans ce goût-là mais si elle avait voulu dire cela pour uniquement me stopper, elle n’aurait pas réitéré le mensonge maintenant qu’elle n’en avait plus besoin. Et puis ses arguments sur les possibilités que la jeune femme aille porter plainte parlent également en sa faveur. Je fais un demi-sourire :

-C’est vrai que sans uniforme ce n’est pas aussi flagrant.

Je hoche la tête, quand elle propose de garder mes affaires. Convaincue qu’elle fait partie des forces de l’ordre, je n’ai pas peur qu’elle s’en aille avec le peu d’affaires laissées près du transat. Je me sentirais même plus détendue à l’idée que quelqu’un de confiance les surveille.

-Merci, ça serait très gentil de votre part, je veux bien.

Et puis cela ne m’en coûte pas trop d’accepter ce type d’aide, malgré mon amour pour mon indépendance et ma tendance à vouloir me débrouiller avec mes propres moyens. De toute façon, je suis tellement tendue, que je sens à quel point j’ai les muscles du dos noués, ce qui m’incite à ne pas tergiverser.

Je me mets à rire franchement quand elle parle de son amour pour la nourriture. Si en temps normal l’humour me refroidit quand je suis en colère, là, il ne s’agit pas d’un manque de sérieux dans la conversation ou une tentative d’apaiser les esprits, et du coup, la pression se relâche un peu d’un cran :

-Et bien…

Je réfléchis un peu, car je n’aime pas trop acheter mes repas en règle générale :

-Je ne suis pas une pro de la nourriture industrielle, mais… Si vous dîtes que c’est bon… Enfin, un foodtruck… On peut espérer que ça soit fait un peu maison, au moins pour l’accompagnement, non ?

Je me dis qu’on pourrait toujours tester et qu’il faut garder l’esprit ouvert :

- Je suis d’accord, une fois n’est pas coutume… Je pourrais m’en servir comme point de comparaison avec les repas que je fais à la maison et les améliorer.

Je souris et vais alors faire mes longueurs. Une fois que je ressors de l’eau, je ne peux pas dire que tout l’incident m’est sorti de la tête mais ça aura au moins le mérite de m’avoir grandement calmé. Je crois que j’ai dû battre mon record, moi qui suis généralement assez lente à les terminer. Je ne sens plus les crispations dans mon dos, et c’est avec plaisir que je reviens vers la jeune femme pour me sécher le corps. Je retire tranquillement le bonnet de bain sensé protégé mes cheveux, en me disant qu’heureusement que Neil ne m’a pas vu ainsi. Car niveau sex-appeal on repassera. En fait, plus ça va, et plus je me dis, tout en m’essuyant, un peu perdue dans mes réflexions et avec un peu plus de hargne affichée sur le visage à la seule pensée suivante : je ne devrais jamais aller à la piscine avec mon amour, sinon je deviendrais une vraie harpie face aux demoiselles qui oseraient porter un œil sur lui, surtout en maillot.

Les traits crispés, je ne me détends qu’en voyant la femme de tout à l’heure passer devant les baies vitrées qui nous séparent du dehors, ressortir avec un truc immonde sur le nez, habillée et son sac à la main, tout en s’appuyant sur les deux bras des maîtres nageurs qui ont l’air mi-excédés, mi-moqueurs, visiblement amusés par le manège de la pintade. Je reporte alors mon attention sur la demoiselle Quinn et lui souris :

-Merci d’avoir gardé mes affaires. On reste un peu ou vous voulez aller manger tout de suite ?

Je fais un signe de tête à Tamara pour lui marquer mon assentiment. Mon estomac commence également à gronder même si je n'y avais pas encore prêté attention jusque là, possédée par d'autres émotions plus fortes. Maintenant que j'étais plus calme, j'étais plus attentive aux messages que mon corps me transmettaient.

-Le programme me convient parfaitement.

Je calque mon attitude sur celle de la jeune femme et je lui emboîte le pas jusqu'aux douches. Cela ne sera pas du luxe. Je n'aime pas sentir cette odeur de chlore sur ma peau, et ça commence à me tirer un peu, alors je suis pressée de me passer le gel sur la peau, celui à la vanille, que j'ai emprunté  à mon fils, puisqu'il ne restait qu'un fond.

Une fois lavée et shampouinée, je m'empresse de m'habiller et de sortir des vestiaires, les cheveux en chignon pour ne pas les faire goutter au sol. Ils sécheront au soleil. Je sens que les longueurs ont déjà fait effet, et j'ai un peu mal dans les jambes sans que ça soit violent. J'allais devoir envisager de me remettre sérieusement au sport.

Je cherche la jeune femme du regard dans les locaux. Est-ce qu'elle est déjà sortie ? Pas encore ? Une fois que nous nous retrouvons je la laisse me guider jusqu'au foodtruck, tout en surveillant un peu mes arrières en jetant des coups d’œil deçà, delà, probablement dignes de ceux d'un grand paranoïaque, tout le long du trajet . Je ne peux m'empêcher de penser qu'il y aura un retour de manivelle par rapport à ce qui s'était passé à la piscine.

-Alors comme ça, vous aimez les fajitas, fis-je pour tenter de relancer la machine ou d'entamer la conversation. Et si vous aimez trop manger alors je peux vous dire que ça ne se voit pas du tout.
Je me dis qu'elle doit perdre ce qu'elle ingurgite au travail, mais peut-être que c'est juste son métabolisme qui est ainsi.

Je suis un peu gênée par la fumée de cigarette de la jeune femme, mais c'est juste mon problème personnel vis-à-vis des addictions des autres, alors je ne l'embête pas avec ça, mais je n'aime vraiment pas ça la clope. Tant qu'elle ne me la crache pas à la figure, ce n'est pas bien grave, et comme elle ne le fait pas, alors je fais avec.

En quelques secondes, elle me confirme ce que j'avais déduis, et je lui souris en hochant la tête en me calant sur son pas, marchant à côté d'elle. Je me demande pourquoi on change tout à coup de sujet, mais quand elle me donne sa carte, la lumière s'allume au premier étage. J'avais totalement zappé cette histoire de carte bien que je n'ai pas oublié l'incident de la piscine:

-Merci. Je n'y pensais plus.

Je la prends tranquillement et la range soigneusement dans mon porte-feuille, à l'intérieur même de mon sac à main. Je ne prends pas le temps de vérifier, je ne remets pas sa parole en doute. Je rigole un peu et me mordille la lèvre:

-J'essaierai de ne pas faire de meurtre, mais je ne peux rien vous promettre. En tout cas merci encore, je vous dois une fière chandelle.

Je rigole un peu même si je sais que je pourrais en venir une nouvelle fois aux mains si l'autre pintade revenait me chercher. L'idée d'avoir le numéro de la jeune femme à proximité me rappellera sûrement à l'ordre:

-Ce serait une bonne idée. J'aimerais me remettre un peu à l'exercice.

On devait aller courir avec Neil mais c'est vrai qu'on a tellement envie de profiter de l'un l'autre au réveil qu'on ne s'y est pas encore remis assez régulièrement. Travailler avec l'eau sera peut-être plus doux pour me re sculpter une silhouette digne de ce nom:

-Enfin, je crois que vous êtes un peu trop douée en natation pour que j'arrive à suivre votre rythme.

Nous reprenons notre marche et je ne peux m'empêcher de la questionner:

-On dirait que vous avez quand même ça dans le sang, cette autorité naturelle... Vous avez toujours souhaité faire partie des forces de l'ordre? C'est trop personnel de vous demander votre parcours?

Je ne sais pas si je cherche à l'encourager à me parler d'elle ou si c'est parce que j'ai besoin de partager certaines conversations avec une autre femme mature mais je me mets à parler de moi plutôt naturellement. Disons que ça change des mamans que je croise dans le parc avec leurs bébés braillards dans les bras ou dans la poussette:

-Je suis infirmière. C'est quelque chose que j'ai toujours voulu faire, et j'ai fait en sorte d'y arriver, même si ça n'a pas été facile car la dernière année, je l'ai faite enceinte de mon fils.

Je ne dis pas cela pour me vanter ou pour me faire louer sur mon courage, mais juste parce que c'est un fait.

-Vous avez des enfants?