La chimio semble faire effet de plus en plus. La jeune femme tient de nouveau sur ses jambes et pour une des premières fois, elle tente une sortie en ville, seule. Elle a dû rassurer sa mère plus d’une fois, précisant qu’elle avait son téléphone au cas où et qu’elle serait au milieu d’une foule de gens, donc que quelqu’un viendrait bien à son aide en cas de soucis. Elle est majeure depuis longtemps, Aimée, et pourtant, elle a bon nombre de comptes à rendre à ses parents encore. C’est un peu étrange. Ce n’était pas comme ça avant sa maladie !

Au final, elle a une idée assez précise pour cette sortie. Elle veut se rendre à l’église. Cela fait un moment qu’elle y pense, bien qu’elle ne soit d’aucune religion. Quel mal est-ce que ça peut faire, d’aller chercher de l’aide dans des rites auxquels certains croient ? Alors la voilà qui rentre dans l’église d’Austin. Elle y est déjà venue une fois, au tout début de sa maladie. Ca n’avait pas fait grand-chose, mais elle est toujours là aujourd’hui, et sans doute en rémission, donc autant continuer…

Ne sachant pas comment on s’y prend dans ces endroits-là, elle finit par se diriger vers le confessionnal et on lui propose bientôt une tasse de thé. Elle est surprise, mais elle l’attrape quand même. « Je suis désolée. Je ne sais pas si j’ai vraiment le droit d’être là ou non… Je ne suis pas vraiment catholique et je ne crois pas en votre dieu… » Comme ça, c’est dit… En même temps, c’est mieux d’être honnête non ? « Je suis malade. J’ai un cancer et… j’espérais pouvoir trouver un peu d’aide ici. Prier pour aller mieux ? » Elle n’est pas sure de ses paroles, ne sachant pas si c’est quelque chose qui se fait vraiment…

Aimée est soulagée. Elle préfère largement entendre cela qu’être jetée dehors à coups de pied aux fesses, ce qui aurait été sacrément plus désagréable. Puis, c’est un sentiment assez étrange qui prend la demoiselle. Elle n’imaginait pas les prêtres comme ça, aussi… expressif disons, aussi familier également. Elle décide de répondre sincèrement, bien que dubitative. « Un cancer du sein, depuis l’été dernier. Je suis une chimiothérapie. Ils disent que je vais m’en remettre mais rien n’est jamais sûr avec le cancer… Il peut revenir à n’importe quel moment. » Elle baisse les yeux, regarde fixement le rideau qui est face à elle et attrape la tasse qu’elle avait mise de côté, avant d’en boire une gorgée. Puis, elle tourne de nouveau son regard vers l’endroit où se trouve le curé, avant de retrouver son sourire. « Je n’imaginais pas les curés aussi… Enfin, comme vous quoi ! » Elle ne sait pas quel mot est le plus adéquat pour le caractériser mais ce qui est sûr, c’est que ça lui a redonné le sourire, ce qui est déjà un sacré bon point. « Enfin, j’imagine qu’il faut compenser le fait de ne pas pouvoir avoir de femmes… » Aimée dit ça sans aucune arrière-pensées et surtout, sans être informée. Elle ne connait rien au monde de la religion et elle a des choses en tête qui ne sont pas forcément vraies. Elle garde cette information de sa formation passée en Italie à l’époque. Bref… Elle s’en veut presque aussitôt de s’être permis ces paroles pas digne d’une femme correcte.

« Je gère… comme je peux. » Ou plutôt, elle ne gère rien du tout, se contentant de subir les semaines à l’hôpital, le manque de force, la douleur, tout ce sur quoi elle n’a absolument aucun contrôle quoi. « Mes proches sont vraiment géniaux dans l’ensemble ! Mes parents m’aident au travail. Ils sont présents pour moi. Mes amis aussi d’ailleurs, bien que certains se soient éloignés, comme si mon cancer leur avait fait peur. » Elle pense en particulier à Sarabella, qu’elle n’a plus jamais revu depuis cette fameuse foi où elle lui a avoué avoir cherché et retrouvé la trace de ses parents biologiques. Aimée avait essayé de la recontacter pourtant, étant donné qu’elle avait promis qu’elle viendrait avec elle, le jour où la brune voudrait enfin les rencontrer. Mais le silence radio complet…

Après ces pensées bien négatives et bien tristes, c’est comme si la pâtissière avait besoin de se changer les idées et elle dit alors quelque chose de complètement déplacé, mais qui ne semble pas choquer le curé tant que ça. « Ah pasteur… » Dit-elle comme si elle connaissait la différence. Elle regarde la télévision alors forcément, elle a quelques notions mais tout de même… Elle comprend qu’il a le droit de se marier, contrairement à ce qu’elle a vu en Europe. C’est tant mieux pour lui. Ca ne doit pas être si facile d’être seul à longueur de temps, bien qu’il ait son Dieu pour compagnie à priori. « Disons que… vous semblez atypique… Mais ne le prenez pas mal, je vois cela comme un compliment. » Elle espère vraiment qu’il ne lui en voudra pas d’être aussi honnête mais après tout, dans la maison de Dieu, le mensonge est péché d’après ce qu’elle sait.

« La chimio vous voulez dire ? J’suis pas sure qu’il y ait besoin d’y croire. C’est la médecine, ça a fait ses preuves. » Elle fronce les sourcils, déstabilisée. Peut-être qu’il parlait d’autre chose après tout, mais elle avait déjà mentionné ne pas être croyante donc… « Je suis prête à tout essayer en tout cas. » Elle pose un silence. Il y a un petit quelque chose dans la voix du pasteur qui ne semble pas normal, sans qu’elle n’arrive à mettre le doigt dessus. Un manque de sérieux vis-à-vis de sa profession peut-être ? « Je dois dire une prière du coup, c’est ça ? » Demande-t-elle bientôt.

Aimée se croirait presque chez le médecin qui serait en train de lui donner une ordonnance, avec sa prière à répéter tous les matins. Cela parait tellement solennel, tellement précis. Elle voulait juste un truc qui se fait d’un coup, à la fois rapide mais efficace… A croire qu’il n’existe rien de tel malheureusement, elle aurait dû s’en douter. Au final, c’est plus fort qu’elle et ça sort presque tout seul : la révolte. « Mais, j’ai rien fait pour mériter ça… » Elle est indignée, et elle s’en veut aussitôt d’avoir dit cela dans un lieu sacré. Ne devrait-elle pas être prête à tout pour guérir, même à dire des choses qu’elle pense fausse ? La pâtissière a toujours été une femme douce et bonne, jamais adepte des mauvaises intentions ou des mauvaises actions d’ailleurs. « Je ne vais jamais réussir à retenir tout cela. » Poursuit-elle, plus triste qu’autre chose, ne voyant aucune solution à son désespoir. Elle fera ce qu’elle pourra avec sa mémoire. Heureusement, le curé semble avoir cerné son désarroi car il lui propose de prier pour elle chaque jour, ce qui lui remet du baume au cœur. « Merci. » Puis, elle est invitée à sortir de là, ce qu’elle fait après quelques secondes de réflexion sur tout ce qui vient de se passer. Elle adresse un large sourire au pasteur lorsqu’elle croise son regard et s’apprête à partir, sans savoir si elle peut. Qu’est-ce qu’on est censé faire dans ce genre de situation ? « Vous faites ce métier depuis longtemps ? » lui demande-t-elle alors subitement.

« Oh… » Répond tout simplement Aimée, assez surprise au final, bien qu’elle ne devrait pas l’être. Que faisait-il avant, se demande-t-elle alors. Parce qu’il n’a pas l’air très jeune, ou en tout cas trop vieux pour avoir arrêté la faculté il y a 8 ans. Elle ne sait pas si elle peut se permettre de lui poser la question. Après tout, il n’a sans doute rien à cacher et elle pourrait faire passer ça pour le simple fait de vouloir apprendre à le connaitre, ou quelque chose du genre. Il lui prend la main et l’entraine un peu plus loin, vers son bureau. Elle en profite pour poser sa question : « Et vous faisiez quoi avant, si ce n’est pas indiscret ? » Elle arbore son plus beau sourire, celui qu’elle a quand elle veut obtenir une réponse.

Une fois dans son bureau, il lui tend un collier, en lui expliquant ce symbole. « C’est un peu… glauque comme histoire. » Répond Aimée, dans un élan de sincérité absolue. Bon, la fin est plutôt belle et bientôt, les paroles du Pasteur font qu’elle se sent sacrément idiote. Il a l’air si attaché à toutes ces croyances, qu’elle se dit qu’elle ferait bien d’y laisser une chance, sans compter que ça serait plus poli de sa part. « Je vous remercie et je vous promets que j’en prendrais grand soin. » Elle pourra même lui ramener dès qu’elle sera enfin guérie pour que ça puisse aider quelqu’un d’autre. Elle ne se sent pas très à son aise dans ces locaux, bien qu’ils soient accueillants et visiblement plein de personnes chaleureuses et aimantes. Elle ne s’en sent pas digne en fait, alors elle n’a pas envie d’abuser. Après un échange cordial de dernières politesses et au revoir, elle prend alors le chemin du retour vers chez elle, après avoir fait un petit tour supplémentaire en ville.