Aimée a désormais repris le travail à temps plein. Le cancer n’est pour autant pas un lointain souvenir puisque ses cheveux sont loin de repoussés. Les séances de chimiothérapie sont presque terminées, ou en tout cas, elles sont bien moins fréquentes. Il y a toujours cette visite bihebdomadaire chez le médecin, mais franchement, c’est bien mieux qu’il y a quelques mois, alors qu’elle n’était même plus capable de se tenir sur ses deux jambes.

Il y a quelques semaines, elle a accepté une grosse commande de viennoiseries et pâtisseries pour un événement ayant lieu aujourd’hui à un cars & coffee du coin. Elle n’a jamais été très passionnée de voitures, bien qu’elle flash tout de même facilement sur les vieilles bagnoles originales. C’est surtout qu’elle serait bien incapable de les conduire, et qu’elle trouve qu’elles polluent beaucoup pour la plupart. Puis, elle a souvent cette vision des vieux qui mettent dix ans à démarrer alors qu’ils sont à un feu rouge, juste parce que la direction assistée et autres avancées techniques n’existaient pas à l’époque où ils ont acheté leur voiture. Oui, c’est cliché tout cela, mais pourtant tellement vrai… L’avantage avec l’événement du jour, c’est qu’il y a peu de papis/mamies au final, mais surtout des jeunes ou des pères de famille qui ont pour la plupart moins de 50 ans, des passionnés quoi.

Alors, elle finit d’emballer tout ce qu’il faut. Elle entasse tout dans le coffre de sa voiture, ainsi que sur la plage arrière et la voici ensuite en route. Elle arrive rapidement au point de rencontre, avant tout le monde, évidemment. Puis, elle passe presque une heure à tout mettre en place avec une de ses employées, déplacée pour l’occasion. Quand tout est enfin prêt, il n’y a plus qu’à prendre une petite pause café avec les premières personnes arrivées. Néanmoins, Aimée profite de ce répit pour trouver un coin libre où elle peut s’asseoir et se reposer. La maladie la fatigue encore un peu quand elle fait trop d’efforts. C’est donc seulement après avoir écumé tous les jeux de son téléphone qu’elle se relève pour aller vadrouiller dans la foule désormais pleine. L’événement bat son plein. Alors, elle observe chaque voiture, plus ou moins rapidement et s’arrête enfin devant une qui lui rappelle une des séries qu’elle regarde souvent. « La fameuse voiture de Supernatural ! » Elle s’exclame avec un large sourire, plus pour elle-même qu’autre chose.

Aimée sourit. Elle aime bien tomber sur de petites anecdotes du genre. Elle a l’impression que ça pimente sa vie et que ça lui donnera enfin quelque chose à raconter aux prochains repas de famille. D’ordinaire, en dehors des séries & films qui ponctuent ses derniers mois, sa vie est d’une monotonie déconcertante. Il n’y a que lorsqu’un des autres patients a quelque chose d’intéressant à raconter qu’elle a enfin l’impression de vivre par procuration. C’est ça le souci quand vous êtes malades : votre vie s’arrête et vous ne faites plus rien, surtout quand vous êtes alitée ou trop faible pour sortir de chez vous, voir même de votre lit. Alors, le moindre trajet jusqu’aux toilettes est la meilleure chose de votre journée, c’est dire… Bref, elle n’en est plus là aujourd’hui heureusement, mais qui c’est si ça ne recommencera pas d’ici quelques semaines ou quelques mois. Ainsi, la moindre distraction est bonne à prendre dès aujourd’hui.

« Oh pardon… C’est vrai que pour moi, c’est exactement la même chose, mais pour des passionnés comme vous, j’dois limite être offensante. »

Elle n’est pas vraiment désolée, ou en tout cas pas au point d’être triste, mais elle est sincère lorsqu’elle mentionne qu’elle ne voulait pas paraitre déplacée.

« C’est le problème lorsqu’on y connait rien, on dit souvent des bêtises. »

Histoire que l’homme ne lui en veuille pas trop, elle pose le plus beau sourire sur son visage. Elle s’approche de la voiture et en fait le tour. Pour tout dire, elle est plutôt impressionnée et se permet de regarder à l’intérieur pour voir tout ça de plus près. Elle est quand même capable de reconnaitre si les sièges sont en cuir ou non, et ce genre de choses, mais ça n’ira jamais plus loin malheureusement.

« On reconnait la petite touche masculine. » Dit-elle bientôt en se relevant, avec un sourire malin aux lèvres. Elle pointe du doigt un carton de pièces mécaniques sur les sièges arrière, histoire de plaisanter. Pour autant, la voiture est bien entretenue, bien mieux que celle d’Aimée d’ailleurs, qu’elle passe au Lavomatic bien trop rarement.

« Vous venez souvent à ce genre d’événement ? » Elle ignore s’il y en a souvent d’ailleurs, mais sans doute que oui.

L’homme a l’air enjoué, ou en tout cas de bonne humeur, ce qui ne manque pas de ravir Aimée. Elle a toujours préféré les personnes qui ont le sourire aux lèvres et la joie de vivre, aux autres ui vivent dans la tristesse et la négativité. Elle hoche la tête lorsque le brun lui répond. Rouler, elle aussi a toujours aimé ça, même si elle a passé son permis assez tardivement, vers l’âge de 23 ans.

« C’est la première fois à vrai dire, mais j’aimerais bien que ça devienne plus régulier. Faut avouer que c’est un bon contrat et ça fait de la bonne pub qui plus est. »

Elle sourit. C’est une commerçante aimante et adorable que tous apprécie à sa juste valeur dans le quartier où est sa boutique. Elle a remarqué sa dernière phrase bien entendu et d’ailleurs, le rose lui est déjà monté aux joues, jeune femme qui n’a pas l’habitude de se faire draguer. Elle se contente de sourire un peu bêtement, n’ayant pas pour réflexe de rendre la pareille bien qu’elle n’en pense pas moins.

« Je m’appelle Aimée. » Se contente-t-elle alors d’ajouter, toujours aussi enjouée, en tendant sa main vers l’homme. Lorsque c’est fait, elle se recule et passe ses doigts fins sur la carrosserie de la voiture.

« Et qu’est-ce qui vous plait tant dans le fait de rouler ? La liberté que ça procure ? Le vide que ça fait dans la tête ? »

Ces deux choses, c’est exactement ce pourquoi elle, aime conduire parfois pendant des heures, pourquoi quand elle part en vacances, elle choisit toujours une destination assez loin.

Aimée est de nature bavarde, bien qu’on la croit souvent à tort, réservée. C’est surtout qu’elle n’aime pas spécialement parler pour ne rien dire et qu’elle est encore moins du genre à déranger les gens. Mais partir sur des discussions passionnées en revanche, c’est son dada, même si elle a trop peu l’occasion de mettre cela en pratique. Pour le coup, il semblerait que là, il y ait une chance à prendre.

« Je ne trouve pas cela ennuyant. » Dit-elle bientôt pour défendre l’homme. « Bon, faudrait pas m’expliquer en long, en large et en travers comment monter le moteur, ni m’expliquer chaque pièce que compose une voiture, mais sinon, c’est plutôt intéressant d’en apprendre sur un sujet qu’on ne connait pas. » Elle sourit, laissant apparaitre ses grandes dents blanches qui provoquaient tant de moqueries lorsqu’elle était enfant, avant qu’elle porte un appareil dentaire.

« Vous avez le mérite de vous démarquer en plus, et ça, c’est plutôt sympathique ! »

Ne pas faire comme tout le monde, Aimée aurait aimé avoir ce courage mais pour autant ne l’a jamais eu. Ce n’est pas qu’elle se complait dans une routine, loin de là, mais son chemin était tout tracé dès son enfance : reprendre la boutique familiale et la faire prospérer. Pendant de longues années, elle a laissé ses propres rêves de côté et dès que tout commençait à bien tourner, il a fallu qu’elle tombe malade, ce qui l’a empêché de vivre ses rêves comme elle l’aurait voulu. Elle sait qu’un beau jour viendra où tout sera possible mais en attendant, elle doit faire preuve de patience.

« Avec plaisir ! »

Depuis combien de temps ne l’a-t-on pas invité à boire un verre ? Il y avait bien eu un ou deux hommes rencontrés à l’occasion de divers festivals ou autres événements, mais rien de bien concluant.

« Une chose à savoir cependant : les pâtisseries sont pour moi, ce qu’est l’automobile pour toi. »

Ils avaient arrêté les politesses d’usage et Aimée avait dit tout cela sur le ton de la plaisanterie. S’il ne voulait pas mourir d’ennui à son tour, vallait mieux éviter les discussions autour de la nourriture en général ou des affaires en fait. Sacrée commerçante notre Aimée lorsqu’elle le désir. Pour continuer de discuter, elle demande :

« Et quel est l’endroit le plus exotique où t’as emmené ce bolide ? »

Discussion voyage, au moins, ça pourrait être intéressant, même si elle s’est servi du thème du jour pour poser la question.

Aimée confirme par un signe positif de la tête et elle garde le silence alors que les deux jeunes se dirigent vers la terrasse. Elle observe du recoin de l’œil la tenue de son compagnon. Puis, son regard remonte jusqu’au visage de l’homme avant d’être détourné vers le sol. Elle s’installe sur la chaise qu’on lui tend, tout en remerciant Sonny pour sa galanterie, qualité qui se fait rare chez les hommes que la demoiselle rencontre généralement. Puis, elle l’écoute attentivement, imaginant chacun des voyages, chacun des sentiers empruntés par le bolide et son conducteur, chacun des paysages qu’il a pu observer.

« Je t’envie sincèrement. Je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de voyager. J’ai toujours été prédestinée à reprendre les affaires de mes parents et les années ont passé sans que j’ai le temps de prendre des vacances ou de voir le temps défiler d’ailleurs. »

Elle le regrette un peu au fond, avec le recul, même si elle referait sans doute tout à l’identique si elle en avait l’occasion. Avec un sourire bien nostalgique, la voici qui reprend :

« Depuis que je suis petite, j’entends parler de la fameuse route 66. Bon, il parait que ce n’est plus ce que c’était autrefois mais ça me fait quand même rêver. Pour moi, c’est la métaphore de la liberté ! On roule. Route à perte de vue, qui semble infinie et donc où tout est possible. »

On pourrait presque croire que cette visite parmi les voitures la rend philosophe. Pourtant, il n’en est rien. Aimée laisse libre court à ses pensées, espérant avoir trouvé face à elle quelqu’un qui sera capable de ne pas la juger, tout simplement.

« J’ai toujours rêvé de Las Vegas et de Miami dans d’autres genres, même si je vais te paraitre hyper clichée en disant ça. »

La pâtissière se met à rire, l’innocence ne l’ayant pas quitté une seule seconde. On s’avance vers eux. On leur demande ce qu’ils veulent boire et Aimée commande un jus de fruit. De bonne heure ainsi, elle ne se voit pas avaler un apéritif, et le café, très peu pour elle depuis sa maladie.

« Si je te dis que c’était un peu le but, tu vas m’en vouloir ? » Lance-t-elle amusée. Ce n’était pas vraiment le cas mais après tout, pourquoi ne pas le laisser penser cela. C’est lui qui lui avait donné l’idée avec sa voiture en premier lieu. Bon certes, elle aurait pu penser à autre chose, comme le fait d’aller au travail en voiture, ou d’autres choses encore, mais bon, quand on a un modèle pareil, on pense forcément à l’évasion non ?

« Je suis bien allée au canada une fois pour une formation mais à vrai dire, j’étais tellement occupée à travailler et étudier que je n’ai même pas pris le temps de découvrir la ville dans laquelle nous logions. Au point que je ne me souviens même plus du nom, c’est pour dire… »

La demoiselle a légèrement honte d’avouer cela, bien qu’elle l’ait fait de bonté de cœur à l’époque, trop investie dans sa carrière et poussée par son envie de réussite. Au final, ça caractérise presque toute sa vie quand on y pense.

« J’aurais bien du mal à m’accorder deux semaines de vacances je crois. Le problème d’avoir trop de responsabilités. »

En vrai, elle le pourrait. Elle avait bien été absente plusieurs mois à cause de son cancer et les choses avaient continué de tourner sans elle. Personne n’était mort. Rien n’avait brulé et le chiffre d’affaire est toujours aussi bon. C’est plutôt qu’elle a peur de déléguer ou qu’elle n’ose pas déranger ses parents davantage.

« Et personne avec qui partir aussi. C’est sans doute ça le plus gros souci en fait. »

Aimée se met à rire. Il y a bien Lyla, sa meilleure amie mais depuis que cette dernière a rencontré un bel italien avec qui elle file le parfait amour, elle n’a plus une minute à consacrer à la patissière. Et puis Sarabella, elle n’en a plus vraiment entendu parler, depuis la fois où elle a retrouvé la famille biologique de la brune. Quelle vie compliquée quand on y pense.

La jeune femme lève son verre à son tour. Même pas eu le temps de sortir la monnaie que l’homme avait déjà tendu son billet. Tant pis, elle lui payera une autre tournée dès qu’elle en aura l’occasion. Ouais, Aimée n’est absolument pas ce type de femmes à se laisser entretenir, bien qu’elle aime bien qu’on lui offre un verre de temps à autre, comme Sonny vient de le faire. Elle lui sourit en guise de remerciements.

Puis, la pâtissière fait une moue qui indique qu’elle est malheureusement d’accord avec son partenaire de boisson. Elle boit une gorgée de cette dernière, ce qui lui permet de se désaltérer. Puis, la voilà qui se met à sourire comme une enfant. Elle n’avait pas entendu une telle proposition depuis des lustres, et ça fait franchement du bien au moral, même si ça peut aussi paraître effrayant, venant d’un parfait inconnu. Que dire ? Que faire ? Sa petite voix lui indique de foncer alors que sa raison lui rappelle qu’elle ne peut pas s’absenter bien longtemps de la ville à cause de son foutu cancer pas encore totalement guéri.

« Franchement, j’avoue que c’est tentant ! » Un rictus malin prend la relève sur son visage. « Bien qu’un peu flippant, venant d’un inconnu. » Elle se met à rire cette fois. Impossible qu’il n’ait pas pensé qu’elle dirait ça. Elle pose alors ses mains à plat sur la table avant de répondre : « On a qu’à faire un pacte ! Pour l’instant, je ne peux pas m’absenter d’Austin avant trois semaines car j’ai… » Elle hésite, n’ayant pas envie d’effrayer l’homme. Après tout, elle n’est ni contagieuse ni sur le point de mourir… « …quelques obligations médicales. » Elle attend quelques secondes de voir le visage de l’homme à cette annonce avant de reprendre de plus belle : « Alors, on se fait une petite soirée pendant ce temps là pour apprendre à se connaitre – histoire que je sois sure que tu n’es pas un psychopathe, tu vois – et après, on part ! » Elle se met à rire, tentant de dédramatiser le tout. Ce serait mentir de dire qu’elle n’a pas envie de saisir cette occasion de partir à l’aventure, elle qui dit toujours que sa vie est trop monotone.

Elle est heureuse qu’il comprenne et qu’il ne prenne pas mal le fait qu’elle soit prudente. Elle hoche la tête, puis il lui tend son téléphone. Elle compose son numéro, comme demandé par l’homme, avant de répliquer : « Je suis prudente mais quand même pas à ce point. » Elle se met à rire. Ce n’est qu’un numéro et si on en vient au point de ne pas vouloir le donner, autant s’arrêter de vivre immédiatement. Son téléphone vibre dans sa poche et elle retend l’appareil à son propriétaire après y avoir rentré son nom également, au cas où il aurait oublié entre temps. Elle, se souvient parfaitement du sien, parce qu’il lui a fait tout de suite pensé au soleil d’une belle journée d’été. Ouais, Aimée aime beaucoup mettre des images sur les gens qu’elle rencontre…

La jeune femme entend bientôt son nom au loin, et un homme lui fait de grand signe. Elle fronce les sourcils. Elle n’était pas censée être dérangé avant un petit moment… « Mle Coldman, on a un besoin urgent de nouvelles pâtisseries ! » Et merde… Elle les avait prévenu pourtant que vu le nombre de personnes qu’ils attendaient pour cet événement, leur commande ne suffirait sans doute pas. Elle fait un signe comme quoi elle arrive et se tourne vers son compatriote. « Je suis vraiment désolée. Je vais devoir vous abandonner plus vite que prévu… » Elle fait une moue déçue avant de reprendre d’un ton affirmatif. « On s’appelle pour fixer notre soirée ! »

Sans plus attendre, la commerçante finit d’une traite son café avant de s’éloigner après un dernier sourire désolé. Elle téléphone ensuite en urgence à ses employés pour les informer de préparer au plus vite une nouvelle commande, quitte à mettre tout ce qu’ils ont en vitrine. Puis, elle rejoint la personne qui l’avait interpellée un peu plus tôt pour connaitre les détails exacts… C’est ainsi que quelques minutes plus tard, elle reprend sa voiture en direction de sa boutique.

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