Aimée sourit, un brin rougissante face à cette révélation. Voilà qu’il lui propose de poursuivre la soirée. Il faut dire qu’il n’est pas très tard, même si elle commence déjà à être fatiguée. Foutus restes de son cancer… Elle dormira mieux demain matin, c’est ce qu’elle se dit. Il est si rare qu’elle sorte avec des hommes, que ce soit en toute amitié ou plus, qu’elle n’a pas envie de tout gâcher et au contraire, d’en profiter à fond. « Je connais un endroit qui est juste magnifique le soir. C’est à une dizaine de miles d’ici. On peut y aller si ça ne t’ennuie pas de faire un peu de route. » Elle sourit encore. Elle a envie de lui montrer ce château auquel ses parents l’emmenaient souvent lorsqu’elle était enfant. Il est éclairé de différentes lumières tout l’été, et ce jeu de lumière est sublime. De quoi régaler les yeux et au moins, ça a le mérite d’être original comme sortie. Cela permettra peut-être qu’il se souvienne un peu plus d’elle que ‘la simple fille avec qui il aura été boire un verre’. Oui, Aimée n’aime pas être comme les autres, ou en tout cas, elle l’a trop été pour continuer à l’être après l’année qu’elle vient de traverser. « C’est un château sur lequel il y a des jeux de lumière l’été. » Elle préfère tout de même préciser, bien que lui faire la surprise aurait pu être sympa. Disons que si ce n’est pas son genre d’activités, il vaut peut-être mieux ne pas se déplacer pour rien…

Et pendant qu’elle vagabonde à ses petites idées, les deux hommes derrière sont limite en train de s’entretuer. Elle se demande s’ils ne devraient pas intervenir, mais le risque est qu’ils se prennent des coups sans n’avoir rien demandé. « Tu permets ? » Elle pointe le volant du doigt et sans attendre la réponse, elle donne deux coups de klaxons bruyants, espérant ainsi faire réagir ces deux messieurs et leur faire arrêter leurs bétises.

La proposition est tentante et la jeune femme se sent particulièrement chanceuse en l’entendant. C’est une occasion en or et pourtant, son cœur se serre. Peut-être vraiment avec les médicaments qu’elle a pris aujourd’hui ? Il est déconseillé qu’elle conduise à la base et elle ne souhaite pas risquer la voiture de quelqu’un d’autre. « A vrai dire, j’ai bien envie de garder mon baptême d’Impala pour le désert. » Elle lance comme si de rien n’était, sur un ton qui se veut enjoué. « J’imagine depuis tout à l’heure et du coup, c’est vraiment là bas que j’ai envie de découvrir mes premières sensations. » On dirait presque qu’elle parle d’une chose extraordinaire, comme de celles qu’on a sur notre liste des choses à faire avant de mourir. Au final, même si elle cherche à cacher sa peur de conduire ce soir, ce qu’elle dit est la vérité. C’est dans le désert qu’elle a envie de prendre le volant du bolide pour la première fois, avec le sable volant autour d’eux en nuage.

Ils sortent bientôt du parking après encore un peu d’attente et Aimée indique la route au brun, à mesure des routes qui passent. Elle profite de la légère musique pendant le trajet, fermant également les yeux par intermittence pour apprécier pleinement l’air frais qui se dépose sur son visage de par la fenêtre entrouverte. « C’était quoi ta manière préférée à l’école ? » Demande-t-elle bientôt, sorti de nulle part. Apparemment, elle en est au stade des questions à la con. La vérité, c’est qu’elle repense à la sienne, qui l’amène en partie dans le lieu qu’ils s’apprêtent à rejoindre.

C’est étrange cette sensation qu’Aimée ressent à chaque fois qu’il ouvre la bouche pour parler. Elle attend ses paroles avec impatience. Elle a envie de le connaitre, de savoir la moindre chose de lui. Pourtant, ils ne sont encore que des inconnus, ou presque. C’est peut-être cette sensation de sécurité qu’elle a lorsqu’elle est en sa présence, qu’elle ne saurait pas non plus expliquer.

Sa réponse la fait rire. C’est tout ce qu’elle détestait le plus pour sa part, même si elle ne lui avouera pas. « En même temps, il n’y a rien d’excitant à essayer de comprendre ce qu’un auteur a voulu dire. Comme s’il s’était relu 20 fois pour changer le moindre mot en se disant qu’on ferait une étude de son texte… » Elle rit encore de bon cœur. Bon, elle se doute toute de même que tous ces écrivains du 15ème au 19ème siècle faisait vraiment attention à chacun des mots employés mais tout de même…

Bientôt, ils arrivent à destination. « C’est là, à gauche. » Lui dit-elle alors avant qu’ils ne se garent. C’est comme dans ses souvenirs, magnifique. Elle sort de la voiture pour pouvoir poursuivre à pied. Ils pourront ainsi faire le tour du château. Toute excitée et sans vraiment se rendre compte de son geste, elle attrape la main de Sonny et l’entraine d’un pas pressé. Une centaine de mètres plus loin, après avoir franchi les premiers remparts, ils ont une vue imprenable. « Regarde comme c’est beau ! » Ses yeux brillent. Les dessins sur les pierres anciennes n’ont jamais été aussi beaux, aussi colorés. « J’aurais tellement aimé vivre à cette époque. » Laisse-t-elle bientôt échapper, comme une confidence.

Aimée a le regard pétillant de joie. « Oh mais si ! » Dit-elle bientôt pour tenter de le convaincre. « Tu aurais pu tenter de me faire la cour dans nos habits d’apparat. » Elle se met à rire en imaginant la scène. Elle le taquine. Ce n’est pas comme s’il avait cherché à la draguer depuis le début, loin de là. En vérité, la vie à cette époque là n’était pas aussi rose que celle qu’elle peut vivre aujourd’hui. Seules les personnes les plus fortunées avaient un peu de chance, et encore quand la guerre ou les maladies n’emportaient pas leurs familles et êtres aimés… Et la pâtissière a bien conscience de ces faits.

Elle va s’asseoir sur un petit banc, quelques pieds derrière elle et son regard se noie dans les jeux de lumière. Comment réussissaient-ils à monter de si grands bâtiments sans la technologie d’aujourd’hui ? C’est ce genre de questions pratiques qui lui accaparent bientôt l’esprit, mais elle finit tout de même par reposer son regard vers Sonny. « Il y en a qui joue à Tetris avec les pièces de leur voiture, d’autres pour assembler des pierres dans des murs comme celui-ci. » Elle a un large sourire.

Aimée sourit. Bien entendu, elle est d’accord avec les paroles de son interlocuteur. « C’est sûr, mais en attendant, ça fait de bonnes animations. » Son regard se pose de nouveau sur la vieille bâtisse. « Ça te dérangerait de me ramener ? » demande-t-elle après un long instant de silence. A vrai dire, elle apprécie beaucoup la soirée et n’a aucunement envie de quitter la compagnie de Sonny, mais la fatigue la gagne et elle sait pertinemment que si elle attend trop, elle sera même incapable de se coucher seule, ses jambes ne supportant plus le poids pourtant maigre de son corps dans ces moments là. « La journée a été longue et je tombe de fatigue. » Tente-t-elle de s’expliquer en espérant que le brun comprendra.

Une fois la réponse obtenue, elle se lève difficilement et prend la direction de la voiture. Sur le trajet du retour, ils fixent enfin une date pour leur voyage à venir et c’est avec les yeux pétillants que la jeune femme s’endort, un peu plus tard ce soir là.

Spoiler: